Matière, Énergie et Liant

L'appartement (version longue)

Après une longue discussion derrière une tasse de café, maintenant vide depuis un moment, après de nombreuses questions de Natacha sur le Décodeur, dont les réponses des deux sœurs étaient souvent les mêmes: "Vous verrez lors de la conférence, vous le saurez en même temps que le reste du peuple", Henri intervint une nouvelle fois:

"-Vous manquez d'énergie mesdemoiselles, vous devriez vous reposer un peu.

-Merci mais nous n'avons nul part où dormir, répondit Mira.

-Ce n'est pas un problème, nous avions déjà prévu cela. Je vous cède pour une semaine mon appartement secondaire, il est un peu petit mais la vue y est formidable.

-Merci de votre générosité, répliqua Alya."

Natacha invita tout le monde à la suivre, ils montèrent un escalier pour finalement arriver sur le toit du palais. Là était amarrée une méduse au chapeau plat. Tous la rejoignirent et se postèrent debout sur la masse gélatineuse et transparente, le Décodeur les suivait toujours. Cet animal était étrange, en effet on pouvait apercevoir dans la chair translucide une sorte de machine. Voyant le visage étonné des deux filles, Natacha leur expliqua que cette méduse était en fait une création de sa part. Elle avait eu l'idée d'allier animal et machine pour des raisons d'économie d'énergie et de matière à la création, elle parlait du véhicule de demain. L'animal était génétiquement modifié pour vivre à l'air libre comme dans l'eau. Il était en lévitation grâce à la machinerie qui fusionnait avec sa chair, celle-ci permettait aussi de créer une bulle de respiration pour les voyages subaquatiques.

Les six personnes se tenaient debout sur l'animal, sur cette plateforme de dix mètres carrés environ. Ils survolaient Paris à cent cinquante mètres du sol environ, soit à une hauteur que l'on pouvait qualifier de vertigineuse, phénomène amplifié par la transparence de la chair. Les toits des immeubles atteignaient une centaine de mètres pour la plupart, ils étaient tous semblables, ce qui faisait déjà perdre à la ville du romantisme une grande partie de son charme. Ces grandes tours d'habitation faisaient apparaître les rues en contre-bas comme des crevasses au fond desquelles semblait bouillonner un torrent de voitures électriques. Les jumelles n'avaient vu de ville aussi grande que dans les livres et elles comparaient la nouvelle cité à l'ancienne qu'elles avaient étudiée en géographie. Elles retrouvaient des similarités entre les monuments mais il y avait quelque chose de différent . La matière de construction n'était pas la même, la taille non-plus. Par exemple, Notre Dame était faite avec du béton imitation pierre et ne faisait que deux tiers de ses dimensions d'origine. Il en était de même avec la Tour Eiffel bien plus petite que l'originale. La ville y était mais pas son charme...

Le véhicule bionique s'arrêta près de la grande tour, symbole de Paris, avant de commencer à monter verticalement jusqu'au sommet. Il s'amarra avec ses tentacules à l'antenne laissant ainsi descendre les voyageurs. Ils étaient juste sous la source d'où partaient les éclairs violets qui alimentaient la bulle de protection de la ville. Ils descendirent un escalier en colimaçon jusqu'à une terrasse faisant le tour d'un appartement dans lequel le groupe entra et se posa dans le salon assis sur des canapés de velours rouge disposés en U. Henri lança la conversation:

"-Soyez les bienvenues dans mon appartement secondaire. Comme vous n'avez nul part où loger je vous le prête. Il est un peu petit mais reste confortable, surtout que vous n'y passerez qu'une semaine."

Il fut remercié par les adolescentes qui pour exprimer l'envie d'être seules, baillèrent et firent semblant de se sentir fatiguées par le voyage beaucoup trop long pour venir jusqu'à la capitale.

"-Mes amis et moi allons vous laisser, répondit Henri en voyant la fatigue des deux jeunes filles.

-Merci monsieur pour votre accueil et votre générosité, dirent-elles en symbiose, leurs deux voix étant superposées et suivant le même rythme, nous nous excusons de notre état qui nous empêche de discuter un peu plus longtemps avec vous et nous vous remercions de l'avoir compris et de nous laisser un peu de répit, cela témoigne d'une grande générosité de votre part, Alya avait terminé seule ce petit discours.

-Ce n'est rien d'ailleurs vous devriez aller vous coucher tôt ce soir, car à votre âge il est bon d'avoir au moins dix heures de sommeil dans la nuit et puis demain aucun retard ou faux pas ne sera accepté durant votre conférence. Passez une bonne nuit, c'était Matt, qui parlait d'une voix grave, il venait de prendre la parole pour la première fois devant les filles."

A ces mots les adultes sortirent de l'appartement laissant les deux complices seules. Celles-ci eurent un soupire de soulagement et esquissèrent un petit rire.

"-Cet appartement est petit mais bon, Mira imitait Henri sur un ton ironique, tu parles le truc fait au moins 100m² c'est le plus grand qu'on est jamais vu.

-Je crois qu'ils ne savent pas que le peuple vit dans des 30m² avec deux misérable prises par appartement. Ici il y en a au moins trois par pièces. Et puis l'autre: j'ai construit, j'ai eu l'idée, j'ai fait ci, j'ai fait ça... Comme si elle était toute seule à la NASA et que c'était elle qui faisait et avait inventé tout ce qu'il y a de bien dans le monde.

-Je suis d'accord avec toi, de ces quatre snobes c'est celle que je déteste le plus mais tous me font pitié à ignorer la misère du monde et à se comporter comme ils le font."

Les filles se firent la remarque que depuis le début parmi les trois Empereur c'était surtout Henri qui prenait la parole, les interventions des autres étaient plus rares. Les siennes étaient dynamiques alors que celles de Matt par exemple avaient plus de poids, c'étaient surtout des conseils qui semblaient comme obligatoires à appliquer. Ling par contre restait en arrière, laissait les autres parler sans intervenir, comme s'ils étaient au-dessus.

La soirée se poursuivit sur différents sujets de conversation mais la fatigue des adolescentes les contraignit à aller se coucher vers 22 heures dans un lit plus douillet que tous ceux dans lesquels elles avaient pu dormir auparavant.