Mon père et ses histoires à raconter

Mauvaise idée. 8

Le soir en rentrant chez moi, sous le coup de la colère j'ai jeté mon sac contre un mur et je l'ai tout de suite regretté. Un sac c'est un sac, et le mien ne vaut pas la peine d'être encore plus déglingué la faute à ce con de Carlos.

- Merde, ai je simplement pesté en le ramassant.

Je sens mon téléphone vibrer.
Maman.

- Bonsoir ma chérie !
- Salut maman, tu rentres tard c'est ça ?

Je l'entends soupirer.

- C'est le directeur. Il m'a dit que la femme de ménage était malade et que je devais la remplacer au moins ce soir.

C'est moi qui soupire maintenant.

- Maman, quand est ce que tu vas comprendre que ce mec se sert de toi ? C'est pas ton rôle de faire le ménage et il le sait très bien, il veut juste t'user à la tâche parce que tu lui coûte moins cher que de chercher un remplaçant. Alors tu m'écoutes bien : tu vas le voir et tu lui dis bien ce que je viens de dire et tu te casses, c'est clair ? Tu sais très bien que c'est un putain de connard.
- Mais enfin Alma, si je fais ça j'en ai plus de boulot !
- Normalement il a pas le droit de te virer pour ça, les boss ils ont des lois à respecter. Je te préviens, si t'es pas rentrée d'ici une demie heure je fais un scandale.

Et je raccroche.
Ce problème me titille beaucoup aussi. Ça fait neuf ans que ma mère travaille là où elle est, et neuf ans que le directeur agit comme un connard envers elle, sous prétexte que c'est simplement une cantinière et qu'elle ne mérite pas le respect. Autant dire que ça m'énerve au plus haut point.

Le silence m'envahit. J'ai l'impression que ça m'arrive beaucoup en ce moment.
Peut être parce qu'il y a beaucoup de choses qui m'arrivent et qui prennent une place importante dans ma vie.

Mon téléphone vibre de nouveau.

Hey. Je m'excuse psk je crois que j'ai merdé et jsuis dsl. Si tu veux plus me parler je comprendrais
C.

Un peu que t'as merdé mon gars.
Mais je suis pas une connasse non plus .
Enfin je pense pas.
Bref.

Je lui réponds aussitôt et tout est réglé.

Puis je fais rapidement mes leçons (enfin, rapidement est un grand mot, disons juste que j'essaie de m'appliquer bien partout et de réviser à fond mon français... Eh oui ya le bac à la fin de l'année) et je décide de faire un tour sur YouTube.
Je tape Orelsan dans la barre de recherche et fais défiler les vidéos. Une me tape à l'œil.

"J'essaye, j'essaye"

J'ai déjà entendu cette chanson dans Comment c'est loin, mais je n'y ai pas fait plus attention. Alors je la réécoute et je me laisse submerger de nouveau par la magie de la chanson, par les voix mélodieuse (oui bon oké je m'emporte). Mais sa grand mère est quand même ultra mignonne et apporte de la douceur.

Sa grand mère, que dis je.

Mon arrière grand mère.

Wooo...

Je n'ai jamais connu mes arrières grands parents. Déjà, c'est un miracle pour moi de connaître ma grand mère maternelle parce qu'elle a enchaîné les cancers depuis une dizaine d'années, alors que demander de plus ?

Pour la peine je m'écoute toutes les autres chansons disponibles sur YouTube. En particulier les Casseurs Flowters.
Parce que je viens de me rendre compte que l'inconnu dans le bus est en réalité...

Gringe.

Oui ça paraît très con.
J'aurais dû m'en rendre compte dès que je l'ai vu, mais j'avais l'esprit ailleurs et il portait des lunettes qui le rendaient méconnaissable.
J'ai réussi à rencontrer le meilleur pote de mon père mais pas lui en personne.
Faut comprendre la logique.

Me voilà fan des Casseurs Flowters maintenant. Jusqu'à au moins 22h j'écoute toutes leurs chansons.
Et je me rends compte aussi que ma mère n'est pas rentrée.

Ni une ni deux je sors de ma chambre, enfile une veste et claque la porte de l'appartement.
Ma mère se laisse trop faire, ça lui jouera des tours.

Il faut à peine cinq minutes pour aller jusqu'à mon collège. J'arrive toute essoufflée devant la porte de service, tape le code (combien de fois l'ai je tapé ce code pour retrouver ma mère à l'intérieur...) et me précipite dans le bâtiment.

Je m'arrête un instant. Je suis dans un long couloir sombre qui mène, si je me souviens bien, jusqu'aux cuisines. Au pas de course je le longe et débouche comme prévu dans l'immense cuisine.
Putain j'avais oublié comment c'était moche. Les tables en lino se collent les unes aux autres, donnant à la pièce un air de morgue du XIXe siècle.

J'ouvre une porte donnant cette fois sur le self.
Personne.

Je le quitte, pour aller cette fois dans les étages du bâtiment.
L'escalier central est désert lui aussi.
La salle des profs.
Les couloirs du premier étage.
L'escalier du deuxième.
Non.
Toujours rien.

Je commence à paniquer. Où est ce qu'elle a bien pu partir ? J'ai pas rêvé, elle m'a bien dit qu'elle restait tard ici parce que le directeur lui a ordonné de faire le ménage.

Le directeur...

J'ai comme une illumination et redescends en toute vitesse jusqu'à son bureau, situé au rez-de-chaussée.

À dix mètres de sa porte J'entends des éclats de rire.

Je me rapproche un peu plus.

J'aurais peut être pas dû.

Le bureau du directeur est caractérisé par de grandes baies vitrées, ce qui fait que tous les élèves peuvent voir ce qui se passe à l'intérieur. Bien sûr, il y a des stores qui permettent un minimum d'intimité.

Je m'approche donc.
Doucement.
Un peu trop près.

Et c'est là que...

Je vois mal mère allongée sur le bureau.

Sous le directeur.