Capute. 36

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- Ya eu un hashtag sur Twitter par rapport à hier soir ? questionne mon père. J'étais pas au courant, ça fait trop longtemps que j'y suis pas allé.
- Une amie m'en a vaguement parlé, j'avoue d'une petite voix.
- Ya des vidéos qui circulent, du coup ?
- Je sais pas...
- Bah attends, on va voir ça.

Il sort son téléphone, le déverrouille et ouvre de grands yeux une fois sur le réseau social.

- Ah ouais, d'accord...
- Ya quoi ? s'empresse de demander Gringe.
- Les gens ont tout filmé... Quand je m'arrête de chanter et que je la prends dans mes bras et tout...
- Fais voir...

Je m'approche aussi du téléphone.
La personne qui a filmé n'était pas en fosse, si on juge à la vue qu'elle avait sur la scène. On voit donc Orelsan s'arrêtant de chanter pour venir à ma rescousse, puis l'incompréhension qui se lit sur les visages. À un moment, l'objectif de la caméra est fixé sur la scène, et on entend quelqu'un dire à haute voix : "Il est sérieux, il a tout arrêté pour une meuf qui a pas supporté de voir son idole de trop près ?"
Il y a une multitude de tweets qui me traitent de fragile et qui m'accusent d'avoir tout préparé.

- Cette grosse blague, grommelle Gringe en fronçant les sourcils. Va falloir que tu réagisses, Orel, ça va trop loin.
- Grave. Heureusement, me dit il, on voit pas bien ta tête, du coup t'es protégée. J'espère, en tout cas.

Je hoche juste la tête, pas rassurée pour autant.

Espérons que les emmerdes ne vont pas recommencer.

Après ça, on revient à l'appartement. Gringe retourne s'affaler dans le canapé et fait glisser son bonnet sur ses yeux. Moi, je prétexte une envie pressante pour aller m'enfermer dans les toilettes.

Je me laisse tomber sur la cuvette et me prend la tête dans les mains.

Putain.

Si ces filles groupies commencent à répandre des rumeurs sur mon compte, on n'a pas fini. Elles ont bien analysé mon visage, peut être même qu'elles ont pris des photos à mon insu.

Et là, déjà que la situation était compliquée, mais elle deviendrait encore plus invivable.

Je n'ose pas imaginer tous les paparazzis postés sous les fenêtres, à attendre qu'on vienne répondre à leurs questions. Je les vois, armés de leurs micros, demander d'une voix trépidante : "Quel effet cela fait il d'être la fille d'un des plus grands rappeurs français ? Mademoiselle, comment l'avez vous appris ? Qui était votre mère ? Comment votre père l'a t il vécu ?"

Pouah, l'horreur.

Je suis peut être un peu trop... Pessimiste. Je me fais trop d'idées.

Je sors des toilettes et discrètement, je monte dans ma chambre. Je vais m'allonger sur le lit, en ramenant la couette sur moi.
Quelques instants plus tard, on toque à ma porte.

- Alma ?

Orel.
Mon père, plutôt.
Purée, j'arrive toujours pas à m'habituer.

Je me relève, et lance un :
- Oui, vas y, entre.

La porte s'ouvre dans un léger grincement, et sa tête apparaît.

- Ça va pas ?
- Je me sens un peu fatiguée.
- Tu m'étonnes, t'as vécu pas mal d'émotions... J'ai posté un message sur Twitter disant que l'incident d'hier soir était un accident et que je condamnais toutes les critiques. T'es tranquille, comme ça.
- Merci, dis je simplement avec un grand sourire.

Silence.

Il y en a beaucoup trop.

C'est gênant.

Un peu beaucoup trop gênant.

- Je.. Je vais te laisser tranquille alors, m'annonce t il en se raclant la gorge. Si t'as besoin, Gringe et moi, on est en bas. Et une question, aussi, tu vas au lycée demain ou pas ?
- Euh... Je pense, oui, je suis plus trop malade.
- Comment tu vas faire ? T'es où ? À Sainte Marie, Jeanne d'Arc ?

Je reste confuse.
Je suis pas le genre de fille à aller dans les grands lycées privés moi.

- Pas du tout. Je suis à Rostand en fait.

C'est lui qui reste confus cette fois.

- Ah d'accord... Eh ben euh, tu veux que je t'emmène ? Tu commence à quelle heure ?
- Le lundi, 8h.

Nouveau choc pour lui.

-... 8h ?
- Ouep. Le lycée, c'est pas open bar, dis je pour le taquiner.
- J'avais oublié que c'était à l'aube, grogne t il. Mais pour une fois que je peux t'emmener à l'école, je peux bien sacrifier une matinée...

Je médite sur ces paroles.

Tous les parents emmènent leurs enfants à l'école, il est vrai. Surtout quand ils sont petits.
Ils leur tiennent la main sur le passage piéton, leur rappellent d'être gentils avec les autres enfants, de bien obéir aux instits, et leur promettent un beau goûter en rentrant à la maison, puis leur donnent un bisou sur la joue en les poussant vers la cour.

Je n'ai jamais eu droit à ça.

Ma mère était tellement pressée le matin qu'elle me traînait par le bras, me réprimandait constamment parce que j'étais souvent en retard, me laissait en plan devant le portail. Rarement une promesse positive pour le retour. Mais à part ça, j'ai eu droit à une assez belle enfance, on ne va pas se mentir.

- T'avais beaucoup de leçons à faire pour la semaine ?
- J'ai le bac de français et de sciences en juin, les profs nous laissent un peu plus tranquilles en ce moment...
- Aaah, bah ça va alors... Bon, ben je vais te laisser te reposer un peu. À plus tard.

Et il referme la porte doucement.

Je ne suis pas décidée à dormir, du coup je prends mon téléphone et appelle Carlos.

- Heey !
- Alma ? Comment ça va ?
- Tu devineras jamais où je suis.
- Ben euh... À Hérouville ? Où tu veux être ailleurs ?
- Réfléchis un peu...
- Bah je sais pas je te dis.
- Chez mon père...
- Juuuure t'es sérieuse ?
- Ouais.

Je commence à lui déballer toute l'histoire.
Au fil de ma narration, j'entends de sa part des "oh" et des "putain sérieusement ?" qui me font juste raconter plus précisément tous les détails.

Je suis tellement absorbée dans ma conversation que je n'entends pas la porte d'entrée s'ouvrir bruyamment et une voix féminine crier "C'EST MOI QUE VLAAAA".
Je n'entends pas non plus cette personne se jeter dans les bras de mon père en lui chuchotant des "tu m'as tellement manqué mon chat" et en l'embrassant passionnément, sous l'air gêné de Gringe.
Je n'entends pas non plus Orel essayer de lui annoncer, je cite, "un truc hyper important".
Je n'entends pas non plus cette personne- oui, bon, Capucine quoi, répondre un truc du genre "tu me raconteras ça après chéri, faut que j'aille prendre une douche, je vais prendre celle du haut parce que j'aime pas la salle de bain du bas".
Et pour finir, je n'entends pas non plus Capucine monter rapidement les escaliers sous les légères protestations d'Orel, arriver sur le palier, entendre du bruit dans ma chambre, et ouvrir la porte avec une tête troublée.

Enfin, troublée...

C'est une surprise énorme.

Le bruit de la porte qui s'ouvre m'a faite sursauter et mon téléphone m'a sauté des mains. Il est allé tomber derrière une table de nuit.

Capucine et moi, on reste là à se regarder en chiens de faïence.
Jusqu'à ce que je la vois plisser les sourcils, poser les mains sur ses hanches et crier très fort :
- Aurélien !! Tu m'expliques ce que peut foutre une gamine même pas majeure dans ton lit ?

Mon père et ses histoires à raconterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant