Malaisance. 41

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- Putain mais c'est pas possible, dis je dans un souffle en détournant aussitôt le regard. Pas ici... Pas ici...
- De quoi tu parles ?
- Ya un de mes voisins qui est là, avec sa copine ou je sais pas qui.
- Et alors ?
- C'est un pote à ma mère !! Elle l'a sorti de la déprime et il dit qu'il a une dette envers elle.
- Bah tu devrais aller lui dire bonjour nan ?
- Mais non ! Ça serait hyper gênant ! Ça fait un mois que je lui ai pas parlé, je lui ai même pas dit au revoir...

Carlos, en toute discrétion, se contorsionne pour essayer d'apercevoir Rémi. Mais le problème, c'est que Carlos et la discrétion, c'est un couple qui n'est absolument pas compatible.

- Carlos ! Discret, putain...
- Je vois pas où est ce qu'il est...
- Mais si, c'est le BG là bas, avec la fille...
- Où tu vois un BG toi ?
- Mais si, là ! Oh non, non, non, il se lève...
- Ça ? Putain mais t'as des goûts de merde, c'est pas du tout un BG ça.
- Chuuut... Cache moi !

J'essaie de me faufiler sous la table, mais soit je suis trop grosse, soit la table est trop mince, toujours est il que je reste à moitié bloquée entre la banquette et le sol, dans une position extrêmement gênante.

- Faut que t'arrêtes de te cacher dans des endroits improbables hein...
- Dit celui qui avait pour passion de suivre sa crush partout.
- Hum.
- Viens m'aider plutôt ! Ça me fait mal...
- Mais quelle idée t'as eu aussi, purée... Ah, ya le "BG" qui arrive.
- Non !
-Ben... Si.
- Euh... Alma ?

Bejziaodkjzzkkzkdjdbekaoksjdjdjzk1odkkdjd.

Ça fait peut-être un moment que je ne l'ai pas vu, je pourrais reconnaître sa voix entre mille.
Si grave.
Si belle.
Si...

- Aïe !

En voulant me relever trop vite, je me suis cogné la tête... Et ça fait très mal.

J'arrive à émerger de sous la table et lui fais alors face.
Il a pas changé.
La seule différence est une nouvelle paire de lunettes.

Je rougis. Parce que j'ai essayé de l'éviter et il est devant moi quand même.

Lui aussi est mal à l'aise.

- Ça va ? parvient il à demander d'une voix rauque.

Je me racle la gorge. Carlos me juge, amusé. Je lui réglerai son compte plus tard.

- Eh bien, euh... Oui. Merci. Et toi ?
- Je suis au chômage.
-... Ah.
- Et ma sœur vient de me dire qu'elle était enceinte d'un connard.
-... Ah. C'était ta sœur du coup, avec toi ?
- Et tous les soirs, ta mère vient pleurer devant ma porte parce qu'elle s'en veut à mort de t'avoir laissée partir.

Allez, balance moi ça dans les dents tant que c'est chaud.

Je reste muette. À quoi ça sert de parler, de toute façon ?

Sans même qu'on lui ait permis de s'asseoir, Rémi s'installe à côté de Carlos, ce dernier se serrant contre la fenêtre afin de laisser le plus de place possible à notre "invité".

Il affiche un air grave.

- Ta mère est en pleine dépression Alma, m'avoue t il. Elle est pire que moi quand je me suis fait larguer, et pourtant j'étais à un point avancé.
- Tu veux que je te dise quoi ? je lui crache alors à la figure. C'est elle qui a insisté pour que je me casse. Tant mieux si elle s'en veut.

Quel genre de fille dit ça de sa mère ?...

Moi.

Rémi soupire et embraye sur le même sujet :
- C'est la vérité, tous les soirs je suis obligé de lui ouvrir tellement elle fait du bruit. Elle s'achète des tas de bouteilles et se les enfile sans arrêt. Je sais pas si elle se nourrit, en tout cas elle va plus bosser. Elle est dans un état pitoyable et je suis à deux doigts de prévenir les services sociaux.
- Ce n'est pas la faute d'Alma, remarque Carlos. Judith s'est embourbée dans la merde toute seule.
- On t'a pas parlé, toi, l'agresse Rémi d'un air mauvais. T'es qui d'ailleurs ?
- C'est pas le sujet, je les interrompts, sentant qu'une embrouille est proche. En gros tu veux quoi de moi ? Que j'aille la voir pour m'excuser ?
- Pas pour t'excuser, juste la voir, pour que vous vous réconciliez. Elle reste ta mère...

Du coin de l'œil je vois Gringe et Orel venir dans notre direction, un plateau à la main.

- Euh... Bonjour ? lance Gringe à l'attention de Rémi.

Celui ci relève la tête et blémit en reconnaissant Orelsan.

Oops.
J'avais oublié qu'il ne l'appréciait pas des masses.

- Un pote à vous ? me demande mon père.
- Une connaissance, corrige Rémi en se levant. Je reste pas en présence d'un macho, du coup tu m'excuseras, Alma, mais je dois y aller. Réfléchis à ce que je t'ai dit.

Et hop, il s'éloigne aussi vite qu'il est arrivé.

- Il a dit quoi le ptit con là ? s'offusque mon père en le regardant rejoindre sa sœur.
- T'en occupe pas, dis je rapidement. C'est un ancien voisin.
- Il te voulait quoi ?

Il dépose le plateau sur la table et se laisse tomber à mes côtés. J'attrape un des quatre Sundae et commence à l'attaquer. Ça m'a donné chaud, tout ça.

- Rien de spécial... Il me demandait juste des nouvelles.

Carlos me fait des gros yeux, mais je lui lance un regard de la mort, un de ceux qui ne donnent pas envie de répliquer.

- Il te demandait des nouvelles mais finit par te dire de réfléchir à ce qui t'a dit ? synthétise Gringe en tapotant sur son portable.

Les rouages de mon cerveau tournent à toute vitesse à la quête d'un mensonge.

- Ouais. Il m'a donné quelques conseils pour le bac.
- Aah, d'accord. Je comprends mieux. Et il s'appelle comment ce jeune homme ?
- Rémi.
- J'aime pas sa manière d'être, marmonne mon père en plongeant sa cuillère dans le Sundae. C'est un ptit péteux et pis c'est tout.
- Rooo, il a juste plus de charme que toi et t'apprécie pas, le charrie Gringe.
- Lui ? Du charme ? Tout est superficiel chez lui, il est moche.
- Ah ! s'exclame Carlos, l'air de dire "tu vois je te l'avais bien dit".

Je lui fait une tête du genre "c'est pas le moment" puis reporte mon attention sur la discussion.

- J'espère qu'on va pas le croiser trop souvent, menace mon père. C'est mon poing dans sa gueule qu'il se prendra. Nan mais oh.

J'esquisse un sourire gêné et m'occupe alors de terminer mon sundae.

Quinze minutes plus tard, on plie bagage, et on revient à l'appartement. Je souhaite un bon vieux "merde" à Carlos si on se revoit pas avant lundi, jour fatidique, puis m'en retourne réviser.

La nuit, vers trois heures du matin, alors que je suis censée dormir pour arriver à l'épreuve reposée, je repense à ce que m'a dit Rémi.

Qu'est ce que ça me coûte de passer à Hérouville vite fait et de revoir maman ? Si elle est aussi dépressive qu'il n'y paraît, je n'ai pas envie de jouer les cœurs durs.

Décision prise. J'irai la voir juste après l'annonce des résultats.


Mon père et ses histoires à raconterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant