Fifa. 33

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Il est à peu près midi.

Ça fait quatre heures que j'ai quitté Hérouville pour venir ici. Pour combien de temps, seul dieu le sait.

Mon père m'a laissée seule, pour m'installer. Il est descendu au rez-de-chaussée avec Gringe, et si j'en juge au bourdonnement qui me parvient ils regardent la télé.

Je n'ai pas déballé mes affaires.
Pas envie.
À la place, je me suis laissée tomber sur le lit, les bras en croix, et depuis je regarde le plafond.
Beau plafond, au passage. Je vais pas m'amuser à le décrire, mais c'est un beau plafond quoi.

La fenêtre est ouverte et une petite brise vient me caresser le visage. Des coups de klaxons aussi me parviennent. Encore des chauffards qui ne pensent qu'à arriver à l'heure chez mamie pour le traditionnel repas du seigneur.

Qu'est ce que je dis, moi...

Oublions les chauffards.

Je me relève brusquement et esquisse une grimace de douleur. J'ai fait un faux mouvement et le bas de mon dos me le fait sentir.
Je mettrai de la crème, si je la trouve.

Ah oui, non. La crème miracle est restée à Hérouville.

Chez maman.

Je secoue la tête. Je suis passée à autre chose, elle fait partie du passé maintenant.

Je me lève donc, m'étire un peu et explore le reste de la chambre. Il y a une armoire incrustée dans le mur, une table dans un coin et deux graaandes fenêtres qui font toute la longueur du mur.

Je m'approche de celle qui est ouverte et me cale contre la balustrade.

J'ai une belle vue sur la rue remplie de commerces, et sur la route un peu plus loin.

Ça change d'Hérouville où je ne voyais que des voitures garées en rang d'oignon.

Il fait beau. Peut être qu'on pourra sortir, cet aprèm.

Inchallah, comme dirait Eulalie.

J'entends des cris de protestation, en bas, au rez-de-chaussée, suivis par des rires.

Je vais essayer de faire ma sociable et d'aller les voir.

J'ouvre doucement la porte et reste un peu sur le palier.

- Putain Orel, tu fais grave chier.
- Je sais... On s'en refait une ?
- Mdr crois pas mec, j'ai eu ma dose pour aujourd'hui là.

Silence.

- Tu crois qu'elle fait quoi, là ?
- Je sais pas, elle téléphone à son mec sûrement pour lui dire qu'elle crèche chez le grand Orelsan.
- Arrête de déconner. Sérieusement, tu crois qu'elle fait quoi ?
- Mais je sais pas moi, des trucs de meuf... Elle fait quoi Capucine quand elle est toute seule ?
- Je sais pas.
- Ben voilà tu sais pas, et quand tu sais pas ce que font les meufs quand elles sont toutes seules... Ben c'est qu'elles se branlent.
- Putain arrête Gringe c'est pas drôle.
- Rooo si on peut plus rigoler... Nan mais sérieusement, peut être qu'elle parle avec ses potes, ou son mec je sais pas.
- La vérité ça me perturbe. Jsuis pas habitué, j'ai l'impression que je vais jamais assurer avec elle.
- Si tu tiens vraiment à être un bon daron, va la voir et pose lui des questions.
- Je vais pas venir m'incruster comme ça au calme en lui demandant "alors ma ptite, parle moi de ta vie". Nan, ça fait psychopathe.
- Mais on est des psychopathes Orel, la preuve on est allé voir ton ex ce matin alors que ya deux jours tu te souvenais plus de son existence.
- Nan mais...
- Ya pas de "nan mais", tu bouges ton cul de ce canap et tu vas voir ta gamine. C'est pas en vous regardant trois heures dans le blanc des yeux que vous allez réellement devenir père et fille.
- Père... Rien que ce mot il me fout les jetons.
- Quel dégonflé c'est pas croyable... Tu faisais comment avec les meufs quand tu me connaissais pas ?
- J'étais gay avant de te connaître. Et pis tu m'as dégoûté des hommes.
- Ah, la bonne blague. La vérité si tu bouges pas par toi même c'est moi qui vais t'éjecter.
- Comment t'es relou...

Je fais le moins de bruit possible, puis dévale les escaliers en quatrième vitesse. Je fais comme si je n'avais jamais entendu leur conversation, et avec un grand sourire leur demande :
- Vous faites quoi ?

Ils restent là à me dévisager tels des merlans frits.
Gringe daigne répondre après deux secondes :
- Fifa. Orel est en train de me fister.
- Je peux jouer ? je demande, pleine d'espoir.

J'y ai joué des tas et des tas et des tas de fois chez Carlos et je gagnais tout le temps, si bien qu'après une vingtaine de parties Carlos m'abandonnait en bougonnant ce qui ressemblait à des insultes.

D'ailleurs, en pensant à lui, faudrait que je l'appelle.

- Vas y, mais fais gaffe viens pas pleurer si tu te prends une claque, prévient Gringe en se levant.

Orel le regarde avec un air paniqué, l'air de dire "ramène toi ici pauv con me laisse pas seul avec elle je vais rien gérer". Gringe le fixe avec un sourire en coin, lui ayant l'air de dire "t'avais qu'à te protéger ya seize ans maintenant assume le fruit de tes erreurs".

Mon père tchipe bruyamment et se repositionne sur le canapé. Il me passe la manette de Gringe avec un sourire quelque peu forcé, puis me demande d'une toute petite voix :
- T'y as déjà joué ?
- Oooh que oui, je réponds d'un air que j'espère assuré.
- Aaah ça va alors.

Je note un léger soulagement.

- Je vais bien te fist... Euh, te niq... Pardon, te faire souffrir.

Hum.

Ça se voit qu'il passe beaucoup trop de temps avec ses potes lui.

- Et moi, dis je sur le même ton, je vais bien te faire regretter d'être né.

Il se tourne vers moi, plus que surpris.

Oops.

Je sais peut être allée un peu trop loin.

Il éclate simplement de rire.

- Putain, la violence !

Je rigole avec lui et on commence la partie.
Après quelques minutes de jeu je commence à mener la partie, et d'un coup d'œil amusé je constate qu'il galère à prendre le dessus.

Je gagne rapidement la première manche.
Puis la deuxième.
Et les dix autres qui suivent.


Mon père et ses histoires à raconterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant