Mon père et ses histoires à raconter

Retour mouvementé. 59

Personne ne parle durant le trajet jusqu'à Caen.

Mon père conduit, les lèvres pincées et l'air concentré.
Capucine observe le paysage, les jambes croisées.
Moi, plongée dans ma musique et somnolant à moitié.

Dès que la voiture est garée, Capute ouvre brutalement la portière et se rue vers la porte d'entrée de l'immeuble. Mon père la suit précipitamment et je me retrouve seule dans la voiture.

Quelque chose me dit que ça sent bon la merde.

D'un pas lent, j'arrive à l'appartement. Des éclats de voix me parviennent.

- Je te demandais un putain de repas, Aurélien. Un putain de repas, parce que je sais que ça te bouffe la situation avec ton père et que ta famille te manque terriblement. Mais tu veux pas l'avouer et t'as tout foutu en l'air. Même pour Alma, t'as tout foiré.
- Tu peux pas comprendre, merde ! Mon père c'est un connard, c'est tout, tu le connais pas et c'est pas en me forçant à le voir que ça va s'arranger.
- Ça va être de ma faute, maintenant, c'est ça ?
- Je sais pas. Peut être.
- Ben voyons. La pauvre Capute sur qui on rejette tout.
- Fais pas ta victime. T'es persuadée de répandre le bien sur Terre, tu pètes plus haut que ton cul parce que madame parle à des mannequins payés je sais pas combien de dollars le photo shoot, et ça te fout mal de revenir avec moi. Avoue le, t'as honte de sortir avec un ptit rappeur français qui commence à tomber dans l'anonymat et qui a tous les vices du monde. Avoue, Capucine.

Blanc.

De la porte où je suis restée cachée, je les vois s'observer en chien de faïence dans le salon.
Capucine a une valise à la main. Une bleue. De mémoire, la même qu'elle avait le jour où elle a découvert mon existence.

Je me raidis.
Si elle a une valise à la main, c'est qu'elle a mis des affaires dedans.
Ça veut dire qu'elle compte partir. Momentanément ou pour toujours. Je ne sais pas.

- Tu dis que de la merde, parvient elle seulement à prononcer, car de gros sanglots commencent à la secouer. Tu dis que de la merde Aurélien Cotentin parce que tu vois rien ! T'as pas vu à quel point ta mère, ta sœur, tes neveux, ton frère, ta grand mère, étaient heureux de te retrouver. T'as pas vu que ton frère était fier de ce que t'étais devenu. Et le pire, t'as pas vu que ton père voulait t'offrir quelque chose. Oh non, je sais pas si c'était le pire, ça. T'as même pas pu voir que depuis trois mois, je ne bois plus, j'ai pris du bide, jsuis dégoutée de certains trucs. T'as même pas remarqué que ta copine était enceinte parce que tu penses qu'à ta gueule.

Whaaaaaaat...

Capucine, enceinte ? Je plaide coupable, j'ai rien vu venir non plus. Mais maintenant qu'elle en a parlé, je me rends compte que certains signes étaient évidents. Genre, aux dernières soirées qu'on a faites avec Gringe et Carlos, elle a refusé les joints que les Casseurs fumaient tranquillement et tous les verres que Orel lui passait. Sur le coup, ça ne m'a pas choquée, parce qu'il me semblait qu'elle avait un rendez vous important le lendemain et qu'elle se devait d'être présentable. Mais c'est vrai que son ventre grossissait au fil du temps et je n'y ai pas prêté attention. Bon, bah... Ya plus qu'à assumer notre manque d'observation, à mon père et moi.

La dispute a l'air d'être terminée, mais
par mesure de précaution, je reste derrière la porte, à guetter leur réaction.

Mon père paraît anéanti. Il est livide et fixe sa copine comme si elle était un fantôme.

- Quoi... Je... Je... Tu...
- Oui. Je suis enceinte de toi.

Il tente de l'enlacer mais elle recule d'un pas.

- Non. Jpense que, vu que je pète plus haut que mon cul et que j'ai soi disant honte de sortir avec toi, enfin d'être amoureuse de toi comme jamais, je devrais m'éloigner. Tu te rends pas compte à quel point tu fais mal. Et fais pas de chanson sur moi, steuplé.

Elle recule jusqu'à la porte tandis que mon père reste figé.

Elle passe à côté de moi, les larmes coulant sur ses joues délicatement poudrées. Quand elle me voit, cachée derrière la porte, elle me serre rapidement dans ses bras et me promets de revenir. Puis elle se dirige vers l'ascenseur, et c'est quand elle s'engouffre à l'intérieur que papa sort de l'appart en gueulant son prénom.

Seul le bruit métallique lui répond, indiquant qu'elle est partie. Pas pour toujours, mais lui ne le sait pas.

Mon petit doigt me dit qu'une très mauvaise période commence... À partir de maintenant.