Mon père et ses histoires à raconter

Rôti de bœuf. 57

Ma grand mère se lève alors, jette un regard perplexe à son mari et s'exécute. Clément se lève à son tour et revient de la cuisine avec une bouteille de champagne.

- Je pense qu'il faut célébrer l'arrivée d'Alma dans la famille.

Je rougis. Tout le monde me sourie, tout le monde est gentil avec moi et m'accueille presque telle une reine, tout le monde a l'exception de mon grand père. Qui garde une mine renfrognée quand son fils cadet verse l'alcool dans les verres des adultes et me porte un toast.

Mamie (je devrais pas l'appeler comme ça tout de suite, mais ça me démange) arrive de la cuisine avec un imposant plat, qu'elle dépose tout doucement sur la table en annonçant :
- Rôti de bœuf et purée de navets à la Cotentin, ou à la bonne franquette, comme vous voulez !

J'esquisse un sourire et tends mon assiette quand elle me le demande, toujours avec le même sourire chaleureux posé sur son visage.
Ça fait chaud au cœur, vraiment, de voir que je suis acceptée comme ça par la grande majorité des gens autour de cette table.

La discussion se porte maintenant sur mes centres d'intérêt, et tout le monde éclate de rire quand je dis Fast and Furious.

- C'est sérieusement Fast and Furious, les films en eux mêmes ou Paul Walker et Vin Diesel ? questionne Clément avec un regard moqueur.

Mes joues qui se mettent à rosir trahissent mes pensées, et un nouvel éclat de rire parcourt la table.

- C'est quoi, Fasstènnedfuriousse ? demande Jeannine en fronçant les sourcils.
- Des films qui parlent de voiture, répond mon père. Je te montrerai si tu veux, après une séance de basket.
- Elle a réussi à marquer, tout à l'heure, explique Clément en rigolant. Elle a cru qu'elle avait gagné la finale de la NBA. C'était drôle à voir, ma foi. Les ptits la prennent pour la mascotte d'Alençon.
- Ah yeaa, mamie la basketteuse.
- Je ne trouve pas que ça soit une bonne chose, que maman joue au basket comme ça, grogne mon grand père en croisant les bras en attendant d'être servi. C'est mauvais pour son cœur, venez pas vous plaindre si elle fait une crise cardiaque en jouant. Elle a plus vingt ans.
- J'ai ptet plus vingt ans, rétorque l'intéressée, mais je suis pas encore malade ni sénile donc je fais ce qu'il me plaît et c'est pas mon fils qui va décider tout ça ! Gilles, qu'est ce qu'il t'arrive, aujourd'hui ? T'es pas content de revoir Aurélien ?

Aie. Le sujet qui fâche, je crois bien.

Si les silences jusque là étaient pesants, celui qui vient de s'emparer de la salle à manger l'est encore plus. Penaude, je remets mes couverts à leur place en essayant d'avoir l'air occupée. Je relève la tête quelques secondes, histoire de voir ce qu'il se passe à table.

Mon père est nonchalamment assis sur sa chaise, le bras droit sur le dossier et l'autre jouant avec le bas de sa flûte de champagne, un sourire insolent collé sur son visage. Son regard est fixé dans le vide et je le vois soupirer.

- Je suis... Très content de revoir mon fils. Quel père ne le serait pas ? Je suis simplement un petit peu contrarié qu'il ait choisi cette date pour nous présenter sa fille adoptive, au lieu de nous en avoir parlé dès le début. C'est tout.

Il prend la serviette qui prenait place sur ses genoux et se tapote les lèvres, avant d'attaquer de nouveau le morceau de rôti de son assiette.

- T'es sûr, papa, que c'est tout ?

Tous les regards se tournent alors vers mon père. Même s'il affiche toujours son sourire insolent, j'ai senti comme une colère dans sa voix.

Ça va péter.

- Moi je vais te dire pourquoi je suis pas venu depuis perpette. Pourquoi quand on me parle de famille, bah j'en ai presque envie de gerber tellement la mienne me dégoute.