Îles flottantes. 58

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- Alma est donc ta fille biologique.

Cette phrase prononcée par ma grand mère sort tous les autres de leur torpeur.

- Jme disais aussi, chuchote Clément, ya une putain de ressemblance...

Oui bah ça on avait compris.

Un long, très long blanc parcourt la table. Après le discours de mon père, je peux comprendre.
Ce dernier se lève d'un coup en gromellant un vague "jvais cloper".

Ne sont présents alors, que mes grands parents, Jeannine, Clément, Emma et mes cousins.

- Je... Il est peut être temps d'aller chercher le dessert.

Cécile se lève une nouvelle fois en direction de la cuisine, en ne m'accordant aucun regard.

- Comment va ta mère ?

Cette question ne vient pas de Clément ou de sa femme, mais de Gilles. Je le fixe dans les yeux et réponds froidement :

- Elle va plutôt bien, merci. Enfin... Elle était à deux doigts de devenir alcoolique sévère, mais heureusement pour elle maintenant ça va mieux.
- Hum. Judith, alcoolique... Pourquoi ça ne m'étonne pas. Ta mère avait tout de la dépravée déjà à l'époque, qu'elle ait plongé dans tous ces vices ne me surprend absolument pas.

Je crispe la mâchoire.
Ne rien répondre, c'était ce que mon père voulait.

Mais je n'ai pas envie de me laisser faire.

- Peut être qu'elle est tombée dans l'alcool suite à une dépression ou quelque chose qui l'a profondément affectée. Sauf votre respect, vous ne l'avez pas vue depuis longtemps, vous ne pouvez pas savoir qui elle est et ce qu'elle a vécu.
- J'ai tout de suite cerné qui elle était, Alma.
- Bah bien sûr, vous avez un don pour ça.

Ses lèvres forment alors un rictus méchant.

- Elle ne t'a pas appris la notion de respect, à ce que je vois.
- Seulement envers les personnes que je juge dignes de respect. Vous, je suis désolée, mais je n'en ai pas envie.
- Je suis ton... Ton grand père, quand même.
- Peut être. Ça n'excuse rien, jusque là vous étiez un inconnu.
- Un inconnu qui te nourrit pour aujourd'hui, réplique t il en serrant les dents.
- C'est votre femme qui a préparé à manger, pas vous.

Je me lève en même temps que lui.

- Je ne vous permets pas de critiquer ma mère comme vous le faites.
- Je fais ce que je veux, je suis chez moi.
- Elle a merdé en gardant sa grossesse pour elle, j'en suis consciente. Mais il faut lui reconnaître qu'elle a trimé toute sa vie, toute seule, pour me permettre d'avoir une vie décente, elle s'est ruiné la santé pour que moi je puisse être une ado normale. C'est une femme courageuse et je la respecte énormément pour ça. Vous devriez faire pareil, au lieu de la voir comme une pauvre merde.

Je peine à retrouver mon souffle tant je suis énervée contre lui. De quel droit ose t il faire ça ?

- J'ai toujours su qu'Aurélien commettait une grave erreur en sortant avec ta mère, déclare t il, toujours le même rictus aux lèvres. J'ai eu raison, elle ne lui a causé que du mal. Et aujourd'hui, il doit se coltiner sa progéniture. Tu ne me feras jamais regretter de dire ces choses là, ma petite Alma.

Ma grand mère profite de ce moment pour amener le dessert. Des îles flottantes faites maison, avec du caramel partout, me donnant l'eau à la bouche.

Mais je suis dans la maison d'un connard.
En face d'un connard.
En train de déguster la cuisine de la femme d'un connard.
En train d'essayer de discuter avec un connard.

Je soupire, recule ma chaise et sors de table sans un regard vers ceux qui y étaient restés. J'arrive dans le vestibule en deux enjambées et d'un coup d'œil dans le jardin j'y trouve mon père et Capute dans une discussion animée.
Je les rejoins illico presto.

- Jviens de me brouiller à vie avec ton père, dis je dans un souffle en le regardant droit dans les yeux.

J'ai interrompu leur discussion, alors ils me fixent tous les deux, ahuris.

- Ça sert à rien qu'on reste là, alors, déclare mon père. Je vais dire au revoir à maman et mamie.

Il retourne à l'intérieur de la maison, me laissant seule avec Capucine, qui vu sa tête risque de me passer un savon.

- Putain, gromelle t elle en jouant avec son collier. C'était pas trop vous demander, un putain de repas de famille, bordel. Les règlements de comptes pouvaient attendre. Bah non, askip c'est un truc de Cotentin ça, de s'engueuler pour de la merde en faisant de la merde.

Sur ces derniers mots, elle se tourne et file vers la voiture.

Je reste dans le jardin.

Elle a raison.
Si on avait fermé notre gueule tous les deux, on serait en train de manger le dessert dans la joie et la bonne humeur, comme dans une vraie famille.

Au lieu de ça, je me suis mis à dos mon grand père et sûrement une partie des autres personnes.

Je tenais tellement à ce que tout soit réussi, à ce qu'on m'accepte telle que je suis, que j'ai tout fait foirer. Enfin, papa est en très grande partie responsable de la situation, mais ça n'empêche pas que je n'ai rien arrangé du tout.

- Aurélien !

Je me retourne et vois mon père descendre à toute vitesse les marches du perron, les mains dans les poches et le regard sombre. Ma grand mère le suit de près et parvient à lui attraper le bras en sanglottant.

- Aurélien... Je t'en supplie ne pars pas, je ne pourrais pas supporter de ne plus te voir...
- Au revoir, maman. Promis je rappellerai.

Il passe sa main sur la joue de sa mère et après un dernier regard me rejoins.

- Direction la voiture, me glisse t il a l'oreille. On rentre au bercail.

Les deux heures de ce matin étaient longues, ce soir elles sont interminables.
Il y a un silence de plomb dans la voiture. Mon père conduit, les yeux rivés sur la route, et je comprends qu'il est plongé dans ses pensées. Capucine est recroquevillée sur elle même, à regarder le paysage, écouteurs dans les oreilles.

Et puis moi, à l'arrière.
N'osant penser à rien, de peur de me perdre mentalement et de déprimer.
On m'avait prévenue. Pourquoi suis je aussi déçue ?





Mon père et ses histoires à raconterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant