Étoiles invisibles. 10

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Je reste là, sur mon lit, à la regarder chialer en se maudissant.

- T'as fini là ?

Je l'entends renifler.

- Je veux pas dormir ici, dit elle avec une voix forte. J'irai... J'irai à l'hôtel.

Je me pince la lèvre pour ne rien dire de plus.
J'ai fait assez de mal aujourd'hui je pense.

- OK. J'imagine que je t'attends pas avant quelques jours ?

Elle lève le regard vers moi.
J'y lis de la colère.
Mais surtout de la peur.
De la tristesse.

- Pourquoi tu me fais ça, Alma ? J'ai pas été une bonne mère ?

Je fais mine de réfléchir quelques secondes.

- Hummm... Pas vraiment. Une vraie mère est avant tout accompagnée du père de son enfant. Ou si elle en est séparée elle est toujours en contact avec, histoire que le ptit puisse grandir en paix.
- J'ai fait ça pour te protéger, elle rétorque immédiatement. Tu... Tu connais pas ton père, j'ai fait ça seulement pour éviter que tu le connaisses. C'est pas une bonne personne. Du tout. Peut être que j'ai mérité sa haine mais toi, que tu sois malheureuse à cause de lui, je ne le tolérerai pas. Ne crois pas que ton père est un homme bien.

Je fixe le vide.

Et si elle avait raison ?
Si Orelsan, alias Aurélien Cotentin, était réellement un homme mauvais ?
Et si...

Non.

Elle ment.

Elle a juste bien merdé il y a dix sept ans et essaie de se rattraper aujourd'hui.

Mais son petit manège ne marchera pas avec moi.

- Et pourquoi t'as mérité sa haine ?

Elle se fige et elle se pince la lèvre.
Elle hésite encore à me mentir, sûrement.

- Je ne te le dirai pas. C'est quelque chose qui ne concerne que lui et moi.
- Je vois. Donc c'est toi qui a merdé et tu veux pas que je le sache.

Il faut que j'arrête de lui parler comme ça, mais c'est plus fort que moi. Les mots sortent sans que j'en ai le contrôle. Alors je me mords la langue et me mets à jouer avec ma coque de mon téléphone.

Ma mère se relève péniblement, remets son gilet en place, essuie ses larmes et quitte ma chambre. Une dizaine de minutes plus tard, une petite valise à la main, elle se présente à moi :
- Tu sais te faire à manger, ya un Carrefour dans la rue d'à côté, Mamie habite à six cents mètres si t'as besoin. J'y vais. On se retrouve dans quelques jours.

Elle se retourne et c'est seulement quand j'entends la porte d'entrée claquer que je me rends compte que je suis véritablement allée trop loin.

Je soupire et m'allonge sur le lit.
Je médite sur tout ce qu'elle m'a dit.

Que Orelsan n'est pas quelqu'un de bien.
Qu'il a fait payé très cher l'infidélité de ma mère.

Et qu'il a dû préféré oublier ce passage de sa vie.

Tout d'un coup je manque d'air et je me précipite dehors, sur notre micro terrasse, dont la porte de trouve dans le salon. Elle fait 1m50 de long et un mètre de large, mais on a réussi à caser une table, deux chaises et un peu de barda inclassable.

Je m'appuie contre la balustrade.

Et je prends une très grande inspiration. Et puis pousse un gros soupir.

Les gens qui passent sur le trottoir en dessous m'entendent sûrement et doivent me prendre pour une demeurée.

Tant pis.

Je reste dans cette position une bonne dizaine de minutes.
Jusqu'à ce que j'ai un peu froid.
Parce que la bouffonne que je suis est sortie en t-shirt manches courtes. Sans avoir pensé à prendre un pull.
Si Carlos avait été là il aurait tchipé en marmonnant "pourquoi je suis pote avec une meuf pareille".

Mais il est pas là.

Ça vaut peut être mieux.

Je dois le soûler quand même beaucoup avec toute cette histoire. Mais c'est plus fort que moi, je dois en parler parce que sinon je garde tout en moi et un jour ça explose. Alors il joue mon psy, à son grand dam. Quoique... Il aime bien écouter tous les ragots.

Enfin bref.

Je rentre et vais me chercher un épais gilet en laine, offert par ma grand mère il y a de ça quelques années.
Puis je reviens sur la terrasse.
Parce que j'aime observer la ville à cette heure de la journée. Il n'y a pratiquement aucune voiture et très peu de passants.

Ou alors pas toujours les meilleurs.

Juste sous la terrasse, j'entends des cris, prouvant qu'une embrouille des quartiers est en cours.

Je me penche pour essayer de voir (oui je fais ma commère), mais je ne réussis qu'à observer le trottoir. Les gens doivent sûrement être juste devant notre porte, si je ne les vois pas.
Et pis au pire merde. Ça doit juste être des mecs en survêt OM qui s'engueulent contre des supporters du PSG. Pas de quoi s'affoler.

Les embrouilles dans le coin, c'est assez fréquent. Ça arrive quasiment toutes les semaines. En même temps on habite dans un quartier assez mal famé : il y a eu beaucoup de trafics de drogue il y a quelques années. Même si ça s'est atténué aujourd'hui, le taux de délinquance reste assez élevé. Et autant dire qu'être une fille et vivre par ici, c'est pas toujours simple.

Au lieu de me concentrer sur ce qu'il se passe en bas, je lève la tête.

Le ciel est dégagé ce soir.

Aucun nuage.

Les étoiles bien en vues.

Les étoiles...

L'air de Étoiles invisibles me revient en tête.

J'passe des nuits, nuits, nuits, à rien faire
J'regarde le temps défiler
Pendant qu'la pluie, pluie, pluie frappe à la fenêtre
J'attends que le jour se lève
Seul, seul, seul, seul, face a moi-même face à moi-même
Seul, seul, seul, seul, face a moi-même
J'attends qu'le jour se lève

Peut être que c'est une métaphore.
Peut être que moi aussi j'attends que le jour se lève sur ma vie.



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La différence entre ces deux derniers chapitres... J'espère que vous aimez toujours autant ! Merci pour les votes 😘😘

Mon père et ses histoires à raconterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant