Flash Back #3

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6 décembre 2012

7h12

Judith passe un coup d'éponge sur la table en lino et file nettoyer ses mains. À force de faire la vaisselle et de nettoyer tables et sols, ses mains sont devenues rouges et abîmées au fil du temps. Mais elle ne s'en plaint pas, parce que sans ce travail elle serait à la rue avec sa fille.

Sa collègue Maria vient la rejoindre. Maria, c'est le rayon de soleil de la cantine. D'origine cubaine, elle peut se mettre à chanter à n'importe quel moment, pour le plus grand plaisir de Judith.

- Heey Judith, dit Maria en faisant résonner son accent dans la cuisine. Comment va ?

Judith lui adresse un sourire sincère et parle alors de son manque d'idée de cadeau pour Alma. Elle ne mentionne surtout pas le manque de budget, parce qu'elle a souvent honte de parler de ses problèmes d'argent.

- Aaah, les cadeaux, grommelle Maria en enfilant ses gants. Que de gaspillage...
- Oh non, je trouve pas, la coupe Gisèle.

Gisèle, c'est la nouvelle recrue du directeur pour épauler les cantinières les plus âgées. Elle exaspère Judith au plus haut point. En effet elle est jeune, belle et sort encore en boîte.
Tout le contraire de Judith, qui ne goute plus aux plaisirs simples de la vie depuis qu'elle est tombée enceinte.

Maria est du même avis que Judith concernant la petite jeune. Elle l'a même qualifiée une fois d'un nom d'oiseau cubain qui a fait rire Judith pendant un quart d'heure.

- Si tu cherches un cadeau à ta fille, poursuit Gisèle en s'attachant les cheveux, va chercher dans la musique. Genre un CD, même si c'est plus tellement à la mode. Je suis sûre qu'elle va kiffer.
- Alma n'écoute pas tellement de musique, assure Judith.

En réalité, elle n'en sait rien. Sa fille est entrée trop rapidement dans l'adolescence et elle sent qu'elle en perd le contrôle.

- Ben si ta gamine écoute pas de musique à... Quel âge elle a ?
- Presque treize.
- Ouais, si à treize ans elle écoute pas de musique elle est chelou. C'est une intello ?
- C'est pas la peine de partir dans les clichés, rétorque Judith.
- OK, OK, t'énerve pas. J'essaie juste de t'aider moi. Sinon j'avais une petite idée...
- Dis toujours.

Gisèle sort un miroir de poche et vérifie que son rouge à lèvres est toujours bien mis.

- Mon mec écoute un rappeur en ce moment. Il fait grave le buz, genre il est invité partout à la télé et à la radio. Genre ses sons ils sont hyper bien, je kiffe genre vraiment.

- Je vais faire une overdose de "genre", glisse discrètement Maria à Judith.

- Il s'appelle... Merde il a un nom chelou, continue Gisèle, n'ayant pas remarqué les messes basses de ses collègues. Je crois qu'il y a du japonais dans son blaze.
- Du japonais ? s'étonne Maria. Mais il est français ?
- Ah oui oui il est français, même qu'il est de Caen.

La boule dans le ventre de Judith revient soudainement.

Elle arrive même dans les moments les plus saugrenus.

A chaque fois qu'une allusion par rapport à lui fait son entrée.

"Putain", pense t elle en serrant son ventre.

- Merde, j'ai plus son nom en tête. Attends genre deux secondes je cherche sur internet.
- C'est ça, chuchote Maria en faisant claquer ses gants.

Gisèle, téléphone en main, va s'asseoir près de la table en lino et pianote, l'air concentré.

- On peut pas lui reprocher d'être méchante, glisse Judith à Maria. Ce qu'elle fait, c'est de bonne volonté.
- C'est la seule qualité de poule qu'elle a, rétorque l'autre.

Pendant une petite minute, chacune des cantinières vaque à ses occupations.

Puis un cri de victoire vient rompre le silence :
- Ouii, je l'ai ! C'est Orelsan ! Tu connais peut être ?

Elle montre l'écran de son iPhone sous le nez de Judith.

C'est la pochette d'un album.

Il est là. Enfin son visage occupe une bonne partie de la pochette en question.
Il porte un masque de super héros, sur un fond sombre, avec des confettis qui lui tombent dessus.

Le chant des sirènes.

Quelle originalité.

Le regard de Judith reste fixé sur son visage.

Il a complètement changé.

Il a laissé pousser sa barbe et ses cheveux.

Il n'est pas si mal, ainsi.

Elle secoue la tête. Il ne fait plus partie de sa vie désormais, elle refuse qu'il y retourne.

Mon père et ses histoires à raconterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant