Mon père et ses histoires à raconter

Pour le pire. 6

Suite à la gaffe commise je reste clouée sur place, immobile.
Carlos aussi semble tétanisé. Avec sa tête de merlan frit je pourrais le prendre en photo et sortir ce dossier dans six mois, histoire de rigoler. Mais la c'est pas le moment.

J'entends du bruit dans la chambre de ma mère, mais rien d'alarmant.
Après cinq minutes passées comme ça, debout, à guetter une éventuelle réaction, je me mets à éclater de rire.
- Putain on a l'air de deux cons.

Carlos sourit.

- C'est vrai.

Silence.

- On oublie ce qui s'est passé ? il demande.
- Ouais. Ça sert à rien de se faire la gueule toute façon.
- J'avoue.

Alors on décide de sortir s'acheter un grec, histoire de décompresser.

- Mais le mec qui t'a parlé dans le tram, commence Carlos en s'empiffrant de frites, il était comment physiquement ?
- Un grand brun, avec une belle bebar et des lunettes de soleil.
- Okaay.. Mais tu l'avais jamais vu encore ?
- Non... C'est pas dans mes habitudes de parler aux gens du tram et de caser leur visage dans ma tête.
- Je sais bien, mais ce que je voulais dire... C'était pas genre un pote d'Orelsan qui lui faisait de la pub ?

Je réfléchis quelques instants.

Quelle aurait été l'utilité pour cette personne de me parler du concert ?
Faire de la pub comme a dit Carlos. Ou il a juste voulu être sympa.
Que de questions inutiles en quelque sorte.

- Et alors ? C'était gentil de sa part.
- Nan mais avoue que c'est chelou qu'il soit venu te voir toi.
- J'étais toute seule dans le tram hein.
- Encore plus bizarre alors ! S'il est venu à côté de toi...
- J'ai la flemme de la jouer théorie du complot Carlos la. Je veux juste manger mon grec oké ?
- D'accord...

Et on finit de manger en silence.

L'aprem on décide de rester ensemble chez moi, à surfer sur les sites parlant de mon père et du futur concert.

- Tu vas dire quoi à ta mère du coup ?
- Comment ça ?
- Beeen... Tu vas pas lui sortir "eh maman ya Orelsan alias mon père qui passe en concert à Caen je peux y aller ? Parce que ouais mamie m'a tout dit par rapport à lui et je voudrais le rencontrer", ça peut pas passer ça.
- Pas faux. C'est que tu réfléchis des fois mon Carlito.
- T'as fini un peu de te foutre de ma gueule ? Je suis pas bien intérieurement.
- Moooh pauv ptit chat. T'as que tes yeux pour pleurer.
- Alma sérieux...
- Oké je me tais. Mais sinon toi ça pourrait le faire ?
- Ouais tranquille mes parents ont rien à me cacher.
- On dit ça, on dit ça...

Le soir on se regarde Fast and Furious tout simplement parce qu'on kiffe les bagnoles et les embrouilles de mecs musclés (et parce que Vin Diesel est mon dieu aussi on va pas se mentir).
Il est pas loin de 23h quand on finit le troisième film.

- T'es deter à regarder le quatrième ? je lui demande en fouillant dans mon ordi pour trouver le film.
- Oh non je vais faire une overdose là. Pourquoi on regarderait pas Comment c'est loin ? Tu l'as jamais vu que je sache et moi non plus. C'est plus que l'occasion je dirais.

J'hésite trois secondes avant de dire que c'est une hyper bonne idée.

En plus d'être un putain de rappeur mon père est aussi un bon acteur et un hyper bon réalisateur.
J'ai ri, j'ai presque pleuré par moment, en bref je me suis laissée attendrir par son art. Quel génie.

- Je vais essayer d'attraper le dernier tram, déclare Carlos en vérifiant l'heure sur son téléphone. Heureusement que mes parents me laissent sortir le soir parce que sinon ils me défonceraient.

Il est quand même une heure passée. Pour moi c'est encore le début de soirée mais pour Carlos, qui se couche à l'heure des poules, c'est un péché de s'endormir après minuit. Et pourtant il est espagnol.
Cherchez l'erreur.

- Tu peux dormir là tu sais, tu l'as déjà fait.
- Ouais mais j'ai pas mes affaires, et pis jveux pas déranger.
- Tu sors ça à chaque fois et pourtant ça t'empêche jamais de rester.
- Ah ouais mais non jsuis dans la merde, dit il soudainement en se tapant le front, demain matin j'avais oublié mais avec ma mère on est censés aller sur la tombe de sa sœur ! Bordel jsuis dans la merde on part à 8h... Je vais grave pas dormir...
- T'es sûr que c'est pas une autre de tes excuses vla cheloues là ?
- Ah nan nan nan pas cette fois... Jsuis désolé Alma mais je te laisse ou ma mère me pardonnera jamais !

Il me fait la bise précipitamment, prend son manteau et quitte l'appartement.

Le vide m'envahit tout d'un coup.
Je reste en tailleur sur mon lit, les yeux qui tombent dans le vague, l'ordinateur qui me fait mal aux yeux. Parce que bouffonne que je suis je l'ai laissé allumé alors que j'en ai plus besoin.
Pour qui pour quoi, je me mets à ma place de mon père et essaie d'imaginer sa réaction si j'apprenais que j'avais un enfant caché.
Mon premier réflexe serait de rester pétrifié. Comment ça s'était produit ? Puis je me dis que j'essaierai de parler à la personne, de faire connaissance, et puis de rattraper le temps perdu.
Ou au pire je m'en battrai les couilles, je dirai "ouais, et alors ?" puis je passerai à autre chose.

Pour le pire hein.