Mon père et ses histoires à raconter

Flash Back #1

Plusieurs années plus tôt

Judith cherche ses clés dans son sac et ouvre la porte délicatement. C'est une règle d'or chez elle, il faut toujours respecter ce qui est utile à la vie quotidienne.
Une fois entrée dans l'appartement, elle se fige.
Une forte odeur d'alcool a remplacé l'habituelle senteur du jasmin. Depuis qu'elle a emménagé ici c'est la première fois que ça arrive.
Inquiète, elle se débarrasse de son manteau et s'approche à petits pas de la cuisine.

Ce qu'elle y trouve la fait frissonner.

Aurélien, son copain depuis quelques mois, est avachi sur la table, une dizaine de bouteilles d'alcool fort réparties autour de lui. Ses vêtements sont tous froissés, signe prouvant que cela fait un moment qu'il est dans cette position.

-... Aurélien ?

Aucune réaction.

Elle s'approche encore de lui et le secoue franchement, en faisant de son mieux pour ne pas renifler les odeurs d'alcool. Déjà qu'elle acceptait quelques verres de champagne dans les grandes occasions, alors toute une armée de bouteilles de vodka... C'est trop pour elle.

Après quelques secousses Aurélien daigne ouvrir les yeux. Puis les referme en grognant des paroles incompréhensibles.

- Bonjour l'accueil, balance Judith.
- Tu peux repartir.

Elle s'immobilise une fois de plus.
A-t-elle bien entendu ?

- Euh...
- Tu fous quoi encore ici ? Je t'ai demandé de te casser.
- C'est possible de savoir pourquoi ou bien ?
- Joue pas à la conne. Tu crois que je t'ai pas vue, limite en train de baiser avec je sais pas quel abruti tout à l'heure ?

Le sang de Judith se glace.

Ainsi il l'a surprise en train de le tromper.

"Merde merde merde"

Elle se pince la lèvres et se remémore la scène qui s'est déroulée il y a de ça quelques heures.

Elle était en pause et était sortie prendre l'air quelques instants, histoire de se dégager de l'ambiance morose du bureau.
Et elle avait retrouvé Bastien, un de ses collègues, qui fumait, la dehors.
Elle lui a souri.
Lui aussi.
Ils ont engagé la conversation.
Ça faisait un moment qu'il lui tournait autour et elle s'en était rendue compte. Il lui plaisait aussi.
Alors quand il s'est approché d'elle, elle ne l'a pas stoppé.

Peut être qu'elle aurait dû.

Mais avec Aurel, c'était compliqué, il rentrait tard le soir, pas toujours sobre. Elle s'est dit qu'elle avait bien le droit de s'accorder quelques libertés. De toute façon, ce baiser en resterait là et Aurel ne l'apprendrait jamais.

Ce qu'elle ignorait, c'est que Aurélien voulait se faire pardonner de ses sorties alcoolisées à répétition, et pour ce faire il avait demandé une après midi à son patron. Il avait acheté des fleurs, s'était bien habillé, et pensait naïvement qu'il allait lui faire une belle surprise en allant la voir à son travail.

Quand il l'avait aperçue, il avait espéré l'avoir confondue avec une autre. Mais non, c'était bien elle: il reconnaissait son jean qui moulait bien ses formes, son gilet qu'elle sortait quand elle avait froid, et surtout ses boucles d'oreilles pendantes qu'il lui avait offertes pour son anniversaire.

Il avait hésité à aller les voir et à éclater la gueule de ce connard. Mais ça ne lui aurait apporter que des problèmes. Alors il est resté en retrait, à les regarder s'embrasser. Une épaisse boule dans son ventre avait commencé à se former, contenant toute la rage qu'il commençait à éprouver envers elle. Il l'insultait intérieurement, aussi.

Salope.

Connasse.

Sale pute.

Puis il était retourné dans sa voiture.
L' âme en peine.
L'âme meurtrie.
L'âme déchirée.

Il était allé dans la première épicerie qu'il avait trouvé et s'était acheté les bouteilles qui lui tombaient sous la main.
Et il était rentré. Il avait bu, avait attendu son retour. Puis il s'était effondré avant qu'elle ne rentre.

Il lui en voulait à elle.
Il voulait tuer le monde entier.
Mais surtout il s'en voulait à lui.
Énormément.

Judith marche tête baissée, se remémorant tous ces souvenirs douloureux.

C'était il y a seize ans.

Seize ans qu'elle essaie de l'oublier.
Seize ans qu'elle ne pense pas au fait que sa file lui ressemble terriblement.
Et surtout seize ans qu'elle pense qu'elle qu'elle aurait mieux fait d'avorter.

Des larmes commencent à couler sur ses joues.
Le rappel de son passé la secoue à chaque fois. Les actes qu'elle a fait, à chaque fois elle se dit qu'elle aurait pu mieux les contrôler.

Mais que serait elle aujourd'hui ?

Elle erre dans les rues d'Hérouville. Elle erre telle une âme perdue, à la recherche d'une quête de bonheur.

Le bonheur, elle l'a connu avec Aurélien, elle songe. Depuis...
Depuis, elle a rencontré Patrice. Ce n'est pas de l'amour véritable, plus du désir. Et même si elle l'apprécie, ce n'est pas ce qu'elle recherche.

Plus le temps passe, et plus elle se rend compte que sa fille change. Elle mûrit, elle grandit... Peut être qu'elle est en droit de tout savoir.

Non.

Pas encore.

Si Alma apprend tout, Judith n'est pas sûre de pouvoir la revoir. À coup sûr elle irait retrouver son père, et tous les deux s'uniraient pour la détester à tout jamais.

À force de marcher, Judith se retrouve devant un hôtel quelque peu miteux, ouvert h24. Elle rentre à l'intérieur et demande une chambre au veilleur de nuit.

C'était ce que faisait Aurélien quand on a rompu.

Encore ces souvenirs plus que douloureux.

Une fois dans sa chambre, elle se laisse tomber sur le lit et décide de rester ici plusieurs jours, en espérant que tout va rentrer dans l'ordre sous peu.

L'ordre n'est pourtant pas près de revenir dans la vie de Judith.