Mon père et ses histoires à raconter

Tut mir Leid. 27

Ohoh.

Cette voix.

Je la connais...

Un peu trop bien.

Aurélien Cotentin.

Je saute du canapé et me précipite à la porte.
Ils sont là, tous les deux. Orel et Gringe.

Je les dévisage, complètement interloquée. Pourquoi sont ils là ?

Ma mère s'est carrément figée. Je pense qu'elle ne s'attendait pas à revoir son ex comme ça, après plus de seize ans.

Mes parents (je peux bel et bien le dire, maintenant) se regardent les yeux dans les yeux, une expression impassible plantée sur le visage.

Moi, je les fixe un à un, ne sachant que faire.

C'est Gringe qui finit par rompre le silence :

- Ça va mieux, Alma, depuis hier soir ?

Ouch.

Le truc qu'il fallait pas dire.

Je ferme les yeux et me pince la lèvre inférieure jusqu'au sang, m'attendant au pire.

- Alma, gronde ma mère. Tu rentres à l'intérieur, tout de suite.
- Oh que non, intervient mon père en faisant un pas. Elle reste avec nous. Je pense qu'on est tous très concernés.
- Non, pas ton pote avec la sale gueule là, rétorque maman en désignant Gringe du menton.
- Eh t'as dit quoi là ? s'énerve celui ci en faisant un pas également.
- Stop ! je crie en m'interposant entre les deux clans. On va tous rentrer, on va pouvoir s'expliquer.
- Oui, tonne toujours ma mère, en me regardant très mal.
- Oh que oui, de bonnes explications s'imposent, renchérit Orelsan en dévisageant toujours maman.

Je me recule pour laisser entrer tout le groupe. Maman marche d'un pas rapide vers le salon, et se laisse tomber sur le canapé, toujours les lèvres serrées, le regard extrêmement sombre.
Je claque la porte et vais m'installer dans un fauteuil.

Je pense qu'il vaut mieux les laisser s'expliquer avant que ce ne soit mon tour d'intervenir.

Il y a d'abord un silence très pesant.
Tellement pesant qu'on entend les oiseaux du parc situé à trois cents mètres chantonner.

Mon père soupire alors, attrape une chaise, la tire juste à côté de moi et s'assoit.
Je sens son regard s'attarder sur moi, et ensuite sur ma mère.

- Comment t'as pu me faire ça ? dit il tout simplement. J'ai jamais été un connard.
- T'étais où Alma hier soir ? me demande t elle en guise de réponse.

Je déglutis et m'apprête à dire la vérité, mais Gringe m'en empêche.

- Ta gamine elle est venue voir son père. C'est tout.
- Je t'ai toujours dit que je voulais pas que tu le vois., elle me lance.

Sa voix est remplie de sanglots.
À côté de moi, mon père souffle d'exaspération et se jette dans le bain :
- Elle était dans la fosse et elle a fait un malaise. J'ai pu l'attraper avant que ça ne dégénère. Un drame est si vite arrivé, surtout en fosse comme ça.
- Tu veux une médaille ? lui aboie t elle. Alma, je te faisais confiance. Pourquoi t'es allée le voir ? Je pensais pas que t'étais du genre à apprécier ce genre... De musique. Si on peut appeler ça de la musique.

Mon père se met à ricaner.

- On n'est pas là pour débattre sur mes sons. Je veux juste que tu me dises toute la vérité. Et fissa, parce que c'était pas dans mes plans de te revoir.

Maman relève la tête. Ses yeux renferment alors toute la haine qu'elle contient depuis des années.

Pour la première fois de ma vie, elle me fait frissonner.

- Pourquoi tu t'es ramené ici, alors ?

Sa voix est juste glaciale.
Elle continue :
- Moi non plus j'avais pas envie de te revoir. Et même, j'avais pas envie de tomber enceinte de toi. Seulement, je m'en suis rendue compte quatre mois après. Il était trop tard... Et vu comment tu t'es vengé, je me suis dit que tu ne valais pas la peine d'être mis au courant.
- Mais t'as vu comment tu parles ? il continue, calmement. Un gosse, ça reste un gosse.
- Oui, mais...
- Ya pas de "mais", bordel Judith ! Je pourrais porter plainte contre toi, se met il à rugir. A cause de ta connerie, j'ai jamais eu mon mot à dire sur comment éduquer notre fille. J'ai pas pu la voir grandir, la voir parler, la voir changer, tout ça à cause de quoi ? De qui ? De toi, putain !! Est ce que tu comprends le merdier dans lequel on est, là ?
- Sors de chez moi. Tout de suite.

Ils se sont tous les deux levés et se font face.
Ma mère a les poings serrés. Elle est capable de s'en servir à n'importe quel moment.

Lui, ne bouge pas.
Il attend juste.

- Bientôt, j'espère, tu comprendras l'ampleur de ce que t'as fait. Sinon, t'es encore plus conne que je le pensais.
- Dégage, chuchote t elle, les larmes coulant à flot sur ses joues. Dégage, Aurélien... CASSE TOI !!

Elle commence à lui donner des coups sur la poitrine, de plus en plus violents. Elle commence à l'insulter, à frapper plus fort, plus vite.
Je me lève de ma chaise et tente de la ramener sur le canapé.

- Lâche moi, Alma, dit elle entre ses dents. Lâche moooi !!

Je lui tiens fermement les poignets en lui demandant de se calmer.

Gringe vient m'aider à la maintenir allongée sur le canapé.

À un moment, elle arrête de se débattre et se met en position fœtale.
On l'entend juste pleurer.

- J'ai jamais voulu tout ça, murmure t elle. Jamais...

Gringe pose sa main sur mon épaule et me fait tourner vers mon père, qui se tient en retrait de la scène.

Deuxième fois en deux jours qu'on se voit.
Qu'on se parle.
Que j'ai envie de le serrer dans mes bras.
Fort.

Comme si on n'avait jamais été séparés pendant seize années.