8 juillet.
Les notes sont tombées il y a deux heures.
J'ai réussi à dégoter un 14 en français et un 12 en sciences. Deux exploits cumulés, je m'impressionne.
Avec les gens de la classe, on est allé fêter ça dans un bar dans le centre. Serrée entre Inès et Laurianne, je sirote une bière et rigole aux blagues beaufs des gars de la classe.
Carlos, lui, a eu 9 en français. Il m'avait appelée la mort dans l'âme, alors j'ai essayé de le consoler. Il était extrêmement déçu et m'a avoué qu'il avait pour objectif l'année prochaine de bosser encore plus pour décrocher une mention. Je sais qu'il n'en fera rien mais qu'il aura son bac quand même, sûrement sans mention.
Il est à peine vingt heures, je commence à avoir chaud. Je ne suis pas tellement habituée à boire de l'alcool (pourtant, me direz vous, avec Orelsan en tant que père je devrais avoir ça dans les gènes... Mais non), alors ma vision se trouble de plus en plus.
- Ya Dorian qui nous mate, me glisse Laurianne en gloussant. On va lui parler ?
- Oh non, proteste Inès, pas Dorian, il est grave lourd...
- Je reste là, moi, je les préviens en me massant les tempes. J'ai grave mal à la tête.
- Je reste avec toi alors, me chuchote Inès.
- Vous resterez célibataires toutes votre vie, nous menace Laurianne en se levant et en allant rejoindre Dorian.
- Eh oh, je réplique, on a la vie devant nous encore.Dans une heure, Carlos viendra me chercher devant le bar et on ira tous les deux à Hérouville. Je passerai voir ma mère vite fait, je lui dirai bonjour, on parlera et je reviendrai ici pour minuit, heure à laquelle mon père doit venir me chercher. C'est drôle, il refuse que je sois seule dans les rues de Caen à minuit passé.
Seule Inès est au courant de cette opération commando. Elle désapprouve fortement, disant que je devrais y aller plutôt demain, lorsqu'il fera jour. Mais je préfère y aller ce soir.
Ça sera un fardeau de moins.- T'es la première à dire que Hérouville est pas un coin sûr et tu veux y aller de nuit ? Déjà que Caen c'est limite, mais là... Tu me fais peur hein.
- Yaura Carlito avec moi, faut pas t'en faire.
- J'ai toutes les raisons de m'inquièter alors.Je ne dis rien. A quoi bon, elle ne fera qu'essayer de me convaincre qu'il ne faut pas que j'y aille.
Vingt et une heures. Toujours pas de signes de Carlos. Je déverrouille sans cesse mon téléphone (j'en ai un nouveau d'ailleurs, l'ancien était considéré comme antiquité par mon père, il m'a gentiment payé le dernier Samsung), à la recherche d'un message m'indiquant qu'il a eu un empêchement.
Une demie heure plus tard, je n'ai toujours pas d'indication. Je décide de l'appeler. Messagerie.- Putain, dis je pour moi même.
Tant pis. J'y vais quand même. J'ai prévu ça ce soir, j'y vais ce soir.
J'explique à Inès qu'il m'attend dehors et que je dois la laisser maintenant. Elle me jette un regard inquiet, puis me dit au revoir presque à contrecoeur.
Je fais un signe à Laurianne, collée près de Dorian, et serre Eulalie dans mes bras, au téléphone, sûrement avec son chéri.J'enfile ma veste en jean, car malgré la présence de l'été, à partir de vingt heures en ce moment les températures tombent à quinze degrés. Je pose une casquette sur mon crâne également, histoire de passer incognito.
Toujours pas de message venant de Carlos. J'irai donc seule.
Je marche d'un pas rapide vers l'arrêt de tram le plus proche et m'appuie nonchalamment contre l'abri bus. Je sors mes écouteurs et choisit de lancer ma playlist rap français.
Il y a un peu de monde sur le quai. Surtout des petites dames à la mine fatiguée. Il y en a une qui a un magazines Closer à la main.
Avec en couverture...
La tête d'Orelsan.Le rouge me monte aux joues.
Il n'a jamais souhaité divulguer mon existence, et bien souvent quand des fans viennent l'aborder en sa présence, d'un regard il me demande de m'éloigner, afin que personne n'ait des doutes sur qui je suis réellement.Je plisse les yeux pour essayer de déchiffrer le titre, mais l'alcool dans mon sang ne me facilite pas la tâche.
Tant pis. Je regarderai à la maison.
Le tram finit enfin par arriver et je me rue dedans, à la recherche d'un siège libre. Fort heureusement, j'en dégote un près d'une fenêtre.
Direction Hérouville.Sur le chemin, je regarde le paysage défiler. D'abord celui de Caen : ses quelques immeubles, ses rues pavées, le CHU qu'on voit au loin.
Mon cœur se serre à la vue de l'hôpital. C'est là bas que je suis née, et depuis j'y suis rarement retournée pour de bonnes raisons.Enfin, on arrive sur Hérouville. Mon cœur, comme s'il reconnaissait ce lieu cher malgré moi, se met à tambouriner. Il est chelou, mon cœur. Limite bipolaire.
Voyant que l'arrêt approche, je me lève, les écouteurs toujours en place, et vais m'agripper à la barre près de la porte.
Le tram freine en douceur et les portes s'ouvrent dans un bruit métallique. Une petite brise vient me caresser le visage. Tout, tout me revient en mémoire.Tous les fous rires qu'on a eu avec Carlos, ici, assis sur le banc, là.
La fois où j'avais trouvé un chien errant à côté de Electro Dépôt et que j'avais tenté de persuader maman de l'adopter.
La fois où j'avais croisé un SDF pour la première fois et qu'il avait hanté mes nuits.
La fois où, quand j'avais quatre ans, j'étais tombée sur la route et où j'avais failli me faire écraser.
Ah ouais, c'est chaud ça en fait...À m'entendre comme ça on pourrait croire que ça fait dix ans que je ne suis pas revenue. Non, ça fait seulement un mois.
Mais quand on quitte un endroit qui nous a vu grandir, ça fait toujours quelque chose d'y revenir.
Selon moi.Mes pieds me guident doucement vers le lotissement.
Je reconnais chaque détail.
Mon estomac se met à se serrer et à me faire mal.
J'approche du but.Enfin j'arrive sur le parking.
Nouveau pincement.
Je m'y engage doucement, à petits pas.Jusqu'au moment où quelqu'un vient m'arracher ma casquette en criant :
- Eeh les gars, matez la casquette wesh ! C'est du collector !
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Mon père et ses histoires à raconter
Hayran KurguTout le monde ou presque connaît Orelsan, le rappeur originaire de Caen ayant connu plusieurs polémiques par rapport à certaines de ses chansons. Tout le monde donc, sauf moi. Et pourtant je devrais. Parce que c'est mon père. #940 dans la catégorie...