Anéantissement. 60

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Trois jours que Capucine est partie...

Trois jours que Orelsan a établi sa vie dans sa chambre, à fumer, fumer, fumer, et boire un ptit peu aussi.

Trois jours que Gringe, Skread, Ablaye et moi, on essaie de le faire sortir de cette torpeur.

En vain.

Trois jours que mon père est une épave, alors j'imagine pas son état si Capucine ne revient pas d'ici un mois.

C'était son anniversaire, hier. Il a eu trente cinq ans, mais pour lui c'était un très mauvais jour. C'est moi qui me suis occupée des messages de ses proches qui le lui ont souhaité, et j'ai constaté avec une boule au ventre que Capute n'avait rien dit. Rien envoyé. Même pas un simple "Bon anniversaire Aurélien".

Alors qu'elle porte en elle son enfant. Mon futur frère ou ma future sœur.

C'est la deuxième fois que je me fais cette réflexion, cette année. La première fois il s'agissait de pensées qui n'ont abouti à rien. J'espère que cette fois ci, la grossesse de Capucine va m'amener à être grande sœur pour la première fois.
Ce genre de rêve me fait frissonner. Mais pour que cela arrive, il faut que Capucine revienne ici.
Et c'est pas gagné.

Elle ne m'a pas recontactée non plus, ce qui fait que personne ne sait ce qu'il est advenu d'elle. Gringe a supposé l'hypothèse qu'elle soit allée chez ses parents, mais Skread a répondu qu'ils étaient partis en voyage au Japon pour un mois. Cadeau de Capucine et de mon père pour leur trente ans de mariage.
Elle aurait pu les rejoindre, cependant. Mais je vois mal Capute partir au Japon avec le peu d'affaires qu'elle a pris dans sa valise bleue sachant qu'elle est du genre à prévoir deux tenues par jour.
Dooonc... Elle est sûrement rentrée sur Paris.
A squatter chez une de ses potes.

En étant consciente de tout le mal qu'elle fait en partant comme ça.

Il est à peine treize heures. A cette heure là, c'est moi qui commence à faire à préparer le repas, puis en général Gringe me rejoint et on va manger avec mon père. C'est notre quotidien depuis quelques jours.

Ce midi, je ne suis pas très inspirée. Je vais opter pour des pâtes carbo. Simple, plutôt rapide, au goût de tout le monde. Tranquille.

Je me mets à la tâche, et comme prévu la porte s'ouvre et Gringe entre dans l'appartement. Il s'approche de la cuisine, m'ébouriffe les cheveux avant d'ouvrir le frigo et de se prendre une bière.

- Jcroyais que la mousse, c'était pas avant l'apéro, dis je d'un ton moqueur.
- Eh oh.
- Comment va la vie ?
- Bien ma foi. J'ai réussi à finir l'écriture d'un son, ce matin.
- Aaah cool.
- Tu nous fais quoi ce midi ?
- Pâtes carbo.
- Ah yeaa. Ton père c'est comment ?
- Baah... Je l'ai pas entendu de la matinée. Il doit dormir.
- Ça m'étonnerait pas... Jvais aller le réveiller tranquillement.

Il laisse sa bière sur la table et se dirige vers la chambre du rez-de-chaussée et ouvre doucement la porte.

Je continue à m'appliquer à couper des oignons et faire attention à la cuisson des lardons. Il s'agit pas de rater les pâtes, jsuis pas une cordon bleue de base mais je tiens à n'empoisonner personne avec ce que je cuisine.

Quand Gringe revient, je constate qu'il se gratte la tête. Ce qui ne signifie pas grand chose de bon.

- Jcrois il a pas trop envie de voir quelqu'un, en fait. Ça te dit on mange devant Fast and Furious ?

Mon regard le fait rire et il se dirige vers le PC de la salle pour l'allumer.
Quand les pâtes sont prêtes, j'en mets une bonne portion dans une assiette, que je pose sur un plateau avec un morceau de pain et une pomme, puis m'en vais porter ça dans la chambre de mon père.

Dès que je pousse la porte, une odeur de transpiration, de tabac froid et d'alcool fort me saute au nez, me faisant presque tituber. C'est irrespirable, ici, ça a pas été aéré depuis un bout de temps.

La pièce est plongée dans le noir, et je distingue sur le lit une masse sombre qui correspond au corps de papa. Il grogne quand je pose le plateau sur sa table de nuit et se retourne dans son sommeil.

- Papa, les pâtes sont chaudes, t'as plus qu'à manger.

Un soupir me parvient. Il est bien réveillé, cette fois.

- Mmmh. Merci.

Il ne bouge pas, pourtant.

- Faut que tu manges, dis je d'un ton plus insistant.
- T'inquiète.
- Oooh que si je m'inquiète. T'es pas dans ton état normal là, ça me fait peur. J'ai l'impression que tu vas rester comme ça toute la vie et que ya rien qui peut changer quelque chose.

Je crois que ce que je dis le titille, parce qu'il se relève en position assise et me lance un regard, le genre de regard qui me rend penaude.
Il me sourit, un petit sourire, et tapote le matelas.

- Viens là.

J'obeis et m'assois sur le lit. Il me prend dans ses bras et pendant deux secondes je suis tentée de m'en dégager. Il pue, c'est un truc de ouf, et je me suis lavée tout à l'heure.
Mais ce genre d'étreinte est si rare entre nous. Si rare, parce que même si ça fait quelques mois que je le connais et que je le fréquente, que je commence à l'appeler papa, que je commence à l'aimer, seize années nous séparent et on a encore beaucoup à rattraper.

Je sens ses bras se resserrer autour de moi et je fais de même.

- Je veux pas te perdre Alma. Ya trop de choses que j'ai loupé avec toi, je veux pas être un poids ou un inconnu pour toi. Je veux vraiment être le plus parfait possible, plus rien louper d'important dans ta vie. On sera plus jamais séparés, je te le promets...

Je sens alors des sanglots qui commencent à l'agiter, puis sa voix est teintée de larmes.

- Et tu vois, ce bébé... J'ai pas envie de refaire la même connerie. Je veux pas être un père absent une deuxième fois, c'est hors de ma portée... J'ai été un pauvre con avec Capu, elle me le fait payer aujourd'hui et je le vivrais tellement mal si elle se vengeait en me quittant maintenant, en gardant le bébé pour elle... Je veux pas Alma... Je peux pas...

Le t-shirt que j' ai décidé de mettre aujourd'hui sert maintenant de mouchoir. Mon épaule, sur laquelle repose la tête de mon père, commence à être trempée et je ne peux plus l'arrêter de pleurer.

Je comprends mieux maintenant pourquoi ce changement d'état. Pourquoi l'alcool est devenu son meilleur ami et la cigarette sa maîtresse, encore plus qu'avant.
Je ne peux que le comprendre, mais au fond de moi éclot un sentiment que je n'avais pas prévu.

La jalousie.




Mon père et ses histoires à raconterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant