Chapitre 4 (Partie III)

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Je hoche doucement la tête, quelques larmes perlant de mes yeux. Je ne sais pas ce qui m'a fait pleurer. Ni même si je suis censée pleurer. Mais les larmes sont là et le médecin les voit. Doucement, il les efface de son pouce froid et métallique, avant de me sourire tendrement. Est-ce donc ça, avoir un instinct paternel ?

Aira m'en a un peu parlé, pour me dire que les parents protégeaient leurs enfants de leurs vies et que souvent, cela allait à l'encontre des règles de l'hôpital. Notamment des parents qui ont souhaité voir leurs enfants mourir plutôt que d'être guéri par des machines.

Elle ne semblait pas triste de me dire cela, juste affectée par le fait que des enfants sont morts à cause de ça. Et j'avoue que j'ai versé une petite larme en me disant que mes parents savaient faire leur travail, puisqu'ils avaient accepté de me voir aller mieux malgré tout.

« Arrête Felidae c'est faux ! Tous les parents aiment leurs enfants d'une certaine manière ! Et tu dois faire honneur à cet amour, alors part d'ici ! » Crie la voix. Mais cette fois, je n'ai pas la force de l'écouter. Je me contente simplement de regarder mon médecin tester mes muscles.

Doucement, presque timidement, il me redresse, m'aidant à me mettre en position assise sur le lit. Avec la même lenteur, mes jambes s'abaissent et mes genoux se plient avec un léger craquement. Ces sensations sont toutes nouvelles pour moi, alors je savoure le spectacle. Je ne sais pas si j'ai réussi à sourire, mais je sens mes lèvres s'étirer doucement et voyant mes pieds effleurer le sol, m'envoyant une décharge dans le dos.

Le médecin lève les yeux vers moi et semble presque fier de moi voir faire cela. Je sais qu'il m'avait dit qu'il finirait sur mes jambes, mais j'ai déjà l'impression d'avoir accompli un exploit aujourd'hui. Je me suis assise. Certes, pas seule, mais c'est déjà une énorme progression ! Hier encore, je me réveillais à peine. Le médecin bouge alors, s'approchant de mon bras droit, pour y poser un drôle d'objet. C'est en métal, c'est froid et mes poils de bras se hérissent sous la sensation, n'aimant pas du tout ce contact.

J'ai envie de retirer mon bras, mais le médecin me tient le poignet pour éviter que je ne le fasse. Il étudie mes réactions, me voyant perdre le début de sourire que je commençais à avoir, puis lâche mon poignet en retirant l'objet, pour noter ses conclusions sur son carnet éclairé bizarre. Il me sourit, comme pour m'encourager, tandis qu'il va reposer le drôle d'objet dans sa mallette, que je ne préfère pas regarder de peur de refaire une crise.

Il revient deux minutes plus tard avec un nouvel objet, cette fois plus connu. On dirait un petit marteau en bois, avec lequel il vient timidement frapper mon coude, forçant mon bras à se replier tout seul. Je suis stupéfaite de le voir bouger avec autant de fluidité, surtout que je ne le travaille que depuis ce matin, avec le petit-déjeuner et Aira !

Encore une fois, le médecin répète son manège : il retire et range l'objet avant de noter ses conclusions sur son étrange livret. Et il me sourit, comme pour me remercier de faire réagir mon corps. Pendant une quinzaine de minutes, il vérifie chacun de mes muscles, leurs réponses et note tout ça dans son carnet, sans m'adresser un mot. C'est à la fois étrange et impressionnant, de se rendre compte de ce qui marche dans mon corps et ce qui ne répond pas.

Par exemple, je suis surprise de voir que mon épaule gauche ne répond pas à tous les stimulis. À certains moments, je ne sentais même rien du tout venant de mon épaule, alors que je devrais. En tout cas, selon la tête du médecin, je devrais.

Mais il n'y a rien eu. Pas même un frémissement. Pourtant, elle peut bouger. Mais elle ne répond pas encore à tous les stimulis. Je suppose que ça viendra avec le temps. Comme ma voix. Avec le temps. Toujours le temps. Quand est-ce qu'il viendra, ce fichu temps ?

Quand n'aurai-je donc plus à me dire qu'il viendra ? Quand pourrais-je à nouveau me sentir comme un être humain et non un fichu robot ? Peut-être que je suis un robot. Cela expliquerait bien des choses. « Tu n'es pas un robot ! Tu es humaine ! Et tu m'as promis ! » , Proteste la voix dans ma tête. Et cette fois, elle me fait simplement sourire. Le médecin arrête ses tests sur le haut de mon corps, note ses conclusions dans son carnet tandis que je souris sans raison, simplement parce qu'une voix venue de nulle part m'a parlé.

Elle peut mentir, bien sûr, mais comme elle me donne la réponse que je veux entendre, je décide de la croire. Ce n'est pas comme ça que fonctionne un humain ? Ne croit-il pas que les réponses qu'il a envie d'entendre ? Je ne sais pas. Peut-être que certains acceptent les réponses qui ne leur plaisent pas. Comme toutes celles que j'ai entendues jusqu'ici, par exemple.

- On va passer au bas du corps. Tu te sens prête ?, me demande le médecin, me sortant ainsi de ma transe.

Étrangement, ma respiration se bloque dans ma poitrine pendant quelques secondes, m'empêchant de répondre. Je ne sais pas. Suis-je prête à ne pas voir mes jambes bouger plus ? Suis-je vraiment prête à encaisser une autre déception ? Une autre question pour laquelle je n'aurai pas de réponse dans l'immédiat ? Je ne sais pas.

Mais j'ai envie de savoir. Alors je prends le risque et lève doucement mon pouce vers le médecin, presque comme une enfant. Enfin, je crois. Il me sourit et m'adresse un clin d'œil, ce qui me rend curieuse. Les robots autour de moi semblent très avancés, pour de simples robots. Quelque chose en moi me dit que ce n'est pas normal. Qu'ils ne devraient pas savoir faire tout ça, que seuls les humains peuvent faire de telles choses.

Que ce sont des monstres, que je dois faire attention. LA voix m'a dit pareil. Mais puis-je croire ce que me dit mon corps, quand mes souvenirs n'ont pas d'exemples à me donner ? Je n'ai jamais vu de méchants robots. Et ceux-là sont si gentils, si doux... Je ne pense pas qu'ils puissent vouloir nous faire du mal. Ils veulent me guérir, m'aider à aller mieux.

C'est ce que le médecin m'a dit. Et les médecins ont toujours raison, pas vrai ? Je suis sûre que c'est vrai. Je suis sûre que mes pensées ont raison, plus que cet instinct qui ne me dit rien de plus. Le médecin me sourit et pose une main rassurante sur mon épaule.

- Essaye de te décontracter. Il faut que tu sois calme, pour que les résultats soient précis. D'accord ?, souffle-t-il.

Je ne réponds pas et le laisse commencer, essayant de rester aussi calme que possible. Je dois être calme, sinon ça ne va pas marcher. Je dois être calme, sinon il faudra tout refaire. Et je ne veux pas tout refaire. Je veux que ça marche, que je puisse sortir. D'un coup, comme ça, j'ai envie de sortir. J'ai envie de partir. De quitter cette chambre.

Felidae [Parties I et II]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant