Je fronce les sourcils, m'arrêtant dans mon nettoyage de table pour la fixer. A son tour, mon père se tourne vers moi et la même expression totalement placide prend place sur son visage. Les sons s'estompent et mon cœur s'emballe à nouveau, incapable de comprendre ce qui se déroule devant mes yeux. Lâchant l'éponge, je m'approche de mes parents, à la fois inquiète et tétanisée.
— Maman ?, j'appelle doucement, le cœur au bord des lèvres.
Mais elle ne répond pas. Elle ne me fixe même plus, d'ailleurs. Tel un robot ayant cessé de fonctionner, elle est simplement tournée dans une direction et fixe droit devant elle. Comme si toute vie venait de quitter son corps.
A côté d'elle, mon père est dans le même état, rendant le tableau d'autant plus inquiétant. Autour de nous, il n'y a plus aucun bruit. Vraiment aucun. Je n'entends que l'écho de mon cœur battant et de mes oreilles qui sifflent, mais rien de plus. Avançant encore, je suis presque à leur niveau.
— Papa ?, je retente, les larmes au bord des yeux.
Mais lui non plus ne semble pas m'entendre. Il fixe droit devant lui, me traversant de part en part. J'ai envie de courir vers eux, les secouer, hurler jusqu'à ce qu'ils se réveillent. Que se passe-t-il ? Pourquoi semblent-ils avoir...dysfonctionné ? Une fois à leur niveau, je remarque que mes mains tremblent et que mes joues sont mouillées.
Lentement, je tends une main pantelante vers ma mère, redoutant de la toucher comme si elle allait disparaître ou se casser. Mon doigt effleure sa joue mais je ne ressens rien. Pas de chair, pas de chaleur ni même de fraîcheur.
Comme si elle était un mirage. Mais je ne passe pas à travers, rendant l'ensemble totalement incompréhensible. Je pose alors ma main contre sa joue, cherchant à comprendre pourquoi rien ne se produit. Pourquoi je ne ressens pas le contact.
Et pourquoi elle non plus, ne semble pas le sentir. La distance physique devient mentale quand je me rends compte que je suis sur le point de laisser tomber.
D'attendre que tout revienne dans l'ordre, sans savoir si c'est possible. Reniflant assez vulgairement, je cligne plusieurs fois des paupières pour me donner du courage, essayant de trouver une solution sans écouter la peur qui tente de me paralyser.
— Maman, j'appelle un peu plus fort.
Contre mon gré, mes mains attrapent les bras de ma génitrice et la secoue aussi fort que je le peux, mais rien. Elle ne bouge pas. Et mon père non plus. Malgré mes cris et mes supplications, aucun des deux ne semblent m'entendre. Ils sont là...sans l'être. Et d'un coup, je les vois commencer à disparaître. Pas comme s'ils s'effritaient.
Simplement comme si un enfant effaçait son dessin avec une gomme géante. Ma mère d'abord, petit à petit, en commençant par son visage aimant. Puis mon père et ses yeux rieurs. Je ne remarque même pas que la pièce autour de nous n'existait déjà plus, absorbée par la disparition de mes parents sous mes yeux impuissants.
Je crie leurs noms, puis hurle à m'en briser les poumons, incapable d'intervenir pour ralentir ou annuler cette disparition. Ma voix me lâche, doucement, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de son qui sorte de ma bouche. Quelque chose me dit que je ne devrais pas voir ça, que je ne devrais pas être là. Mes jambes me lâchent, me faisant tomber sur le sol dans un mouvement peu gracieux, mais je suis incapable de retenir mes sanglots.
Je fonds en larmes, arrêtant de chercher une explication à ce qu'il se passe. Je colle mes genoux contre mon torse et plaque ma tête contre eux, laissant ma tristesse me submerger. Une puissante tristesse prend possession de mon corps, tel un tsunami dévastateur.
Elle prend contrôle de mon corps, de mes membres, puis noie mon cerveau jusqu'à ce que rien n'ait plus de sens. Pourquoi suis-je en train de pleurer, déjà ? Qu'est-ce qui m'arrive ? J'ai l'impression que cette tristesse m'accompagne à chaque réveil. C'est probablement parce que je rêve de chose que j'aimerai avoir, comme par exemple ma voix, ou mes souvenirs. Je me demande de quoi je rêve.
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Felidae [Parties I et II]
Science Fiction"22 mai 3018, hôpital d'Héliantia. Réveil du Patient 07033002. Prénom : Felidae. Nom de famille : Inconnu. Âge : 16 ans Durée de son coma : Cinq ans. Remarques : Le sujet n'a plus aucun souvenir et un traumatisme encore inconnu l'a rendue muette. Se...