Chapitre 18 (Partie I)

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Je crois que j'ai perdu le fils des jours. Hier nous étions hier, aujourd'hui est aujourd'hui et demain sera demain. Je ne sais pas si nous sommes un lundi ou un jeudi, si nous sommes en septembre ou en octobre, voire peut-être même novembre ? Non, il ne fait pas assez froid. 

N'y a-t-il pas de la neige en novembre ? Aucune idée. Un sourire tord mes lèves sèches, faisant légèrement clore mes lourdes paupières. Voilà où j'en suis réduite : me fier au temps, chose que personne ne contrôle, qu'aucun de nous deux ne connaît assez pour faire des théories ou des affirmations dessus, pour savoir à peu près la date du jour. 

La vérité, si elle existe, est que cela n'a plus d'importance. Je passe plus d'heures à dormir qu'à marcher, mes phases éveillées semblent durer quelques heures et quand je me réveille, j'en ai perdu la moitié. Benny ne dit rien, il encaisse, il observe, il essaye. 

Je ne saurais même pas expliquer ce qu'il essaye de faire, si ce n'est de faire en sorte que nous nous rapprochions de l'océan malgré mon corps qui ne veut plus coopérer. Parfois, il me laisse dormir pendant une journée complète, espérant que cela fasse tomber la fièvre ou diminuer la fatigue. 

D'autres fois, il refuse que je prenne la moindre pause jusqu'à ce que j'en vienne à m'effondrer d'épuisement sur le sol, les yeux secs d'avoir déjà trop pleuré. Je ne sais même pas comment mes muscles continuent d'exister malgré l'exercice quotidien, puisque cela doit bien faire deux jours que j'ai à peine mangés. 

C'est drôle, après quelques jours, le goût de la nourriture change. Ce matin, on a trouvé des baies d'une jolie couleur un peu rose foncé, que Benny a nommé « framboise ». 

Honnêtement, je ne me souviens même pas du goût de ces trucs, juste que c'est mangeable et que ça cale un peu. Mais je préfère les trèfles. Il y a plus d'eau dans les trèfles. Les framboises, c'est sec.

Je ne me souviens même plus si j'ai bien dormi hier. Il est possible que oui, mais je suis incapable de m'en souvenir. Benny m'a peut-être fait marcher ? Depuis que nous avons quitté l'abri des arbres au bord de la rivière, il est beaucoup plus réactif et soucieux à mon égard. 

Le moindre craquement le fait se retourner à une vitesse quasiment surhumaine tandis que dès qu'il m'entend m'asseoir, il faut le voir courir vers moi et plaquer sa main sur mon front comme si j'allais me dissoudre parce que mes fesses ont heurté la terre ferme. 

Je me sens tout de même un peu coupable de voir la lumière dans ses yeux s'éteindre aux fils des jours, dès qu'il remarque que mon état ne s'améliore pas. Les premiers jours ce n'était pas forcément horrible, il était encore optimiste, me disant que je n'allais pas forcément mieux, mais que je n'allais pas en empirant non plus et que c'était déjà une sacré victoire. 

Mais depuis deux semaines, clairement, son mantra a bien changé. Maintenant, il observe en silence, prend ma température sans rien me dire et soupir de temps à autre en laissant échapper des regards emplis de pitié. 

Je peux presque lire dans ses yeux sa volonté de me faire aller mieux par tous les moyens, même si ledit moyen est une chose que j'abhorre plus que tout. Et si je couple ça avec le fait que mon cerveau n'essaye même plus de me laisser chercher les mots mais les fait revenir comme ça, d'un seul coup... 

Disons que mes nerfs ont plus tendance à lâcher qu'avant et que tout ce que je peux faire quand je suis en colère, c'est frapper des trucs. Et donc me faire mal. Et vu la manière dont Benny s'emporte dès qu'il remarque la moindre trace de sang, je ne suis pas supposée ni me faire mal, ni me mettre en colère. Donc nous sommes un peu coincés dans une situation invivable.

Je lève les yeux, remarquant les couleurs sombres et fades qui nous entourent. Enfin « les ». Ce n'est pas vraiment le cas. Finalement, je ne sais même pas pourquoi je trouvais ça beau, les premiers jours. 

Felidae [Parties I et II]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant