HEATHER FAYCE [TERMINÉ]

63/ Mutisme.

***

Theresa est morte.

C'est la première chose qui m'est venue à l'esprit lorsque je me suis levée, ce matin. C'est aussi la première chose qui m'est venue à l'esprit lorsque midi est passé. C'est la seule pensée cohérente qui habite mon cerveau, en ce moment même.

Je suis incapable de parler. De réagir. Je passe ma vie, mes nuits et mes heures à rester assise, les yeux dans le vague lorsque je ne parviens pas à dormir. Ma vie a pris une saveur fade, son goût n'est plus le même. Je l'ai toujours haïe, pourtant, cette vie de merde que je me coltine depuis dix-huit ans. Mais maintenant... Je me dis qu'elle n'était pas si nulle que ça, finalement.

Ça fait trois jours que je ne vais pas au bahut. Nathan prend mes cours, puis vient me voir tous les soirs, tentant de me rassurer en me disant qu'ils ne font que des révisions en prévision de l'examen final qui se déroulera dans un mois. Hier - ou avant-hier, je ne sais plus exactement - Alia est venue à la maison me voir avec Nathan. Ensemble, ils ont tenté de me faire parler ou rire. Ils n'ont même pas pu m'arracher un sourire. Mes lèvres sont toujours profondément scellées, avec l'assurance que mes paroles ne serviront à rien, hormis me causer des problèmes.

J'ai tué ma mère. À petit feu, je l'ai détruite avec mes mots, mes rejets et mes colères. Est-ce un juste retour de bâton, ou bien simplement le Destin qui s'amuse en empilant merde sur merde dans ma vie ? J'en sais rien.

L'enterrement de Theresa sera demain. Et lorsque mon père m'en a parlé, j'ai secoué la tête avec acharnement. J'ai refusé d'y aller, parce que je sais que je vais craquer si j'y vais. Défaitiste, mon père a baissé la tête, en murmurant :

- C'est comme tu veux, ma petite Bouclette.

Hannah aussi a tenté de me parler. Mais lorsqu'elle m'a vue, le visage pâle et inexpressif, le regard vide et les cernes creusés, ses yeux se sont embués. Elle m'a attrapée, serrée dans ses bras, caressant mes longues boucles brunes de ses longs doigts.

- Je suis désolée, ma chérie, sont les seuls mots qui ont pu sortir de sa bouche dans qu'elle ne se mette à pleurer.

Je n'ai pas revu Frank, depuis. Mon père m'a dit qu'il était au fond du trou, l'âme en peine et le coeur déchiré en morceaux. Il passe ses journées à pleurer, à dérailler, à boire et à fumer.

La mort de Theresa semble avoir fait beaucoup de dégâts.

Nathan évite soigneusement de me parler du lycée. Lorsqu'il vient, il m'embrasse le front, le nez et les joues, puis s'assoit à côté de moi. Il me prend dans ses bras, puis me pose des questions simples, auxquelles je ne peux répondre que par « oui » et par « non » de la tête, ainsi que « je sais pas » des épaules.