La porte principale commença à se dessiner au loin, de plus en plus discernable au travers de la fine brume qui s'était installée peu de temps avant. En bois massif et haute d'une dizaine de mètres, elle était éclairée par quatre braseros en acier disposés de part et d'autre sur le sol et les remparts. Un petit poste de garde y était accolé juste à sa droite.
La pluie s'était arrêtée et Garance avait retiré sa capuche depuis quelques instants. En marchant, la mage repensa aux propos de Vancel. Le fait qu'une partie de la populace ne les perçoive qu'ainsi, en sorciers dégénérés et en meurtriers, la désolait profondément. Elle avait beau y réfléchir, elle ne voyait pas où était le problème. La Légion était une guilde mixte avec une vision très méritocratique de la société, au même titre que les Grandes Archives ou le Saint-ordre. Pour eux, peu importait le sexe ou l'espèce, seul le travail bien fait comptait, quitte à écorcher quelques lois au passage. Bien qu'en vérité ce dernier point ne s'appliquait pas au Saint-ordre, imbu des lois qu'il était. Fort heureusement, les habitants des lieux, civils comme militaires, n'étaient pas tous aussi agressifs que Vancel et d'autres.
Elle se dirigea vers l'entrée d'un pas vif mais assuré, impatiente de finir au plus vite ce travail confié par son père. Au loin, sept veilleurs gardaient la porte principale de la cité. Trois étaient postés sur la muraille tandis que les quatre derniers se trouvaient face à l'entrée. Garance balaya du regard la zone. Elle remarqua vite que le capitaine Berort, en charge des portes la nuit, se trouvait être absent. Il devait être occupé. Néanmoins, elle se décida à lui rendre une courte visite à la suite de son contrat. Elle avait une question importante à lui poser. Une question qui ne pouvait désormais plus attendre. Elle tourna sa tête en direction de la petite bâtisse en pierre à sa droite. Au-travers de la fenêtre, elle discerna la silhouette de l'officier concentré sur quelques obscurs documents.
Poursuivant son chemin, elle remarqua que le veilleur en possession des clés des portes ne semblait pas pressé de lui ouvrir. Il l'ignorait même, tournant son regard dans une autre direction. Garance s'arrêta à quelques pas de l'entrée principale après avoir salué les gardes d'un petit mouvement de tête. Ils le lui rendirent chaleureusement, habitués aux allers-et-venues des chevaliers la nuit. La mage s'adressa au veilleur face à elle. Il ne dépassait pas la vingtaine et son visage lui était inconnu. Il avait tout d'un nouvel arrivant.
— Vous ne m'ouvrez pas ?
— Et pourquoi je le ferais ? lui répondit-il, dédaigneux.
— Je n'en sais rien. Peut-être parce que c'est votre travail ?
— Je suis garde, pas valet de...
— Eh toi, le nouveau !
L'homme, surprit, tourna sa tête en direction de la voix. Garance l'imita. Haussant un sourcil, elle ne put s'empêcher un léger rictus.
— Fais ce qu'elle te dit gamin, sur-le-champ.
— Mais... Sergent Vilmar, elle...
— Gamin, cela peut se passer de deux manières. Soit tu obéis, soit je te botte le train. À moins que tu ne préfères que ce soit le capitaine qui s'en charge, ou Dame Mortis juste en face de toi ?
Le jeune veilleur ne dit plus rien. Il serra des dents et s'exécuta. Attrapant le trousseau de clés à sa ceinture, il fusilla du regard la mage qui lui sourit avec insolence. Il inserra la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Garance s'avança. Le jeune homme s'écarta, lui laissant la voie libre. Au moment où elle passa face à lui, il ne put s'empêcher de l'insulter. Il n'avait guère apprécié la façon dont elle lui avait sourit.
— Arvase'rah.
Bien qu'il l'ait voulu discrète, Garance l'entendit. Le garde ne la vit pas venir. En un instant, il fut plaqué contre l'embrasure de la porte. Garance le tenait fermement au niveau du col. Son sourire s'était fait plus sombre. Elle le regardait droit dans les yeux tout en se disant qu'il n'était qu'un jeune coq prétentieux. Elle finit par prendre une profonde inspiration et s'adressa à lui.
— Un petit conseil... Si tu tiens à vivre, ne prononce plus jamais ce mot.
— Pourquoi, ça te dérange ?
— Moi, non. Mais quelques uns de mes collègues seraient moins tentés de faire dans la diplomatie. En particulier un certain elfe noir qui te trancherait volontiers la gorge, qu'il y ait des témoins ou pas.
Garance le relâcha. L'espace d'une seconde, elle avait souhaité lui faire mordre la poussière mais changea vite d'avis quand elle vit l'emblème d'Aelleon pendre autour de son cou. Tenter de lui inculquer un tant soi peu de respect s'avérerait difficile. La mage avait remarqué depuis quelques semaines que de plus en plus de partisans d'Aelleon se montraient fermés au dialogue avec la Légion, même au sein de la haute autorité du royaume. Le fait que le dieu de la lumière en soit la divinité tutélaire compliquait d'autant plus la situation. Mais aussi banal ce mépris pouvait-il paraître, il y avait tout de même dans cette histoire quelque chose d'étrange. Plus le temps passait et plus cette pensée s'affirmait dans son esprit.
Le jeune garde s'éloigna lentement d'elle, pas à pas. Revenu à sa place initiale, il pouvait sentir dans son dos le regard désapprobateur de son supérieur. Il s'était dit que la Mortis ne tenterait peut-être rien face au sergent. Après tout, n'était-il pas des représentants de la loi ? Mais il se rendit vite compte de son erreur de jugement. La Légion se moquait bien des lois, à l'exception des siennes.
Le dos droit et la tête haute, il faisait mine de n'être aucunement impressionné. En réalité, il était terrifié. La mâchoire serrée, il n'osait parler. Le jeune homme ne savait pas ce qui le terrorisait actuellement le plus, les réprimandes du sergent ou le ton sombre de la Mortis. Après quelques secondes de réflexion, il se dit qu'il préférerait encore mieux avoir à faire face au sergent. Les conséquences seraient probablement moins douloureuses.
Garance fit ensuite face au sous-officier.
— Laisse-moi deviner Vilmar, ce jeune blanc-bec est issu d'une de ces "nobles" familles rangées derrière la bannière d'Aelleon ? Je me trompe ?
— Pas le moins du monde. Maintenant filez d'ici. Vous avez du travail si je ne m'abuse.
— Je vois... Bien, dans ce cas... À plus tard messieurs.
La mage salua Vilmar d'un geste de la main. Elle sortit de la ville et emprunta le chemin qui conduisait au vieux cimetière d'Aramon. Entre-temps, avant que la porte ne soit entièrement refermée, elle entendit le sergent s'exprimer.
— Au prochain commentaire de ce type à l'encontre d'un Chevalier noir, vous irez me récurer les latrines de la caserne pour un mois entier ! Et je me moque que votre famille soit dans les bonnes grâces d'un des prêtres de la Lumière. Ai-je été clair soldat ?
Elle secoua la tête, un léger sourire sur ses lèvres ; encore et toujours des contestations, plus lassantes les unes que les autres. Mais il fallait faire avec, les choses étaient ainsi. La Légion et ses membres ne sauraient être appréciés de tous, c'était une évidence que Garance s'était efforcée d'accepter avec le temps.
Les nuages épais qui recouvraient le ciel depuis le début de l'après-midi commençaient lentement à se dissiper. Garance put finalement apprécier la vue des étoiles qu'elle aimait tant, accompagnées d'un magnifique croissant de lune. Le vent s'était levé et faisait gentiment virevolter ses mèches blondes.
La route n'avait pas été entretenue depuis longtemps, en témoignaient les hautes herbes et les multiples cailloux qui jonchaient le passage. Normalement, un tel chemin aurait été difficilement praticable de nuit, mais cela ne posa aucun problème à Garance. Ses talents de mage des ombres lui permettaient de voir aisément dans le noir. En un battement de cils, une faible lueur violette se mêla au bleu turquoise de ses iris. Elle en profita pour observer plus attentivement le paysage. Au loin dans la plaine, elle aperçut la masse immense des arbres qui composaient la forêt de Lugram, supposée plus vieille encore que la fondation des royaumes du sud, il y a déjà quatre siècles.
Garance finit par apercevoir le cimetière, coincé entre les champs et l'un des nombreux faubourgs de la capitale. Près de la grille en fer forgé, une quinzaine de paysans aux aguets s'étaient regroupés, pour moitié armés de fourches et de torches. Ils avaient été prévenus plus tôt dans la journée que quelqu'un viendrait s'occuper de ce souci qu'était redevenu les Beaumont. Les volontaires présents ici avaient décidé de prendre les devants et d'accueillir le Chevalier noir qui viendrait à leur secours.
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Toi qui apportes la nuit
FantasíaLes légendes parlent des Abysses comme d'une vision sombre et tordue du monde, comme d'un cauchemar éveillé dont nul ne pourrait s'échapper. Dans leurs sillages ne se trouvent que mort et désolation et les rares survivants qu'elles laissent derrière...