Garance fut surprise. Elle savait qu'Alan avait la fâcheuse habitude de poser ce genre de question mais elle ne s'était pas attendue à ce qu'il le fasse à ce moment précis. La conversation avait pourtant bien démarré. Elle ferma ses yeux quelques instants et prit une profonde inspiration. Il y a encore sept ans de cela, Garance n'aurait eu aucun scrupule à fusiller du regard quiconque se serait permis de la questionner ainsi. Sa réponse brève aurait été agrémentée de propos acides prononcés sans la moindre once de pitié.
Ce type de réactions, fréquentes à l'époque, n'était ni plus ni moins que l'illustration de la colère qui jadis brûlait en elle depuis la mort de sa mère. Mais ces dernières années, après de nombreux efforts, la jeune femme était lentement parvenue à dissiper cet incendie qui avait pris racine dans son cœur. Elle s'était peu à peu ouverte à son entourage jusqu'au point où de telles interrogations ne provoquait plus qu'un regard mélancolique. C'est avec cet air triste qu'elle lui répondit.
— Mes raisons...d'intégrer la Légion ? Je... (Elle soupira.) Tu m'as déjà posé cette question il y a trois années.
Pense-t-il vraiment qu'il s'agisse du moment opportun pour aborder le sujet ?
Alan sourit. Il savait à quel point cela pouvait être perturbant pour elle. Repenser à cette période l'emplissait souvent d'une certaine tristesse.
— Et je te la repose aujourd'hui. Qui sait ? Peut-être es-tu parvenue à trouver une réponse depuis.
Garance soupira une nouvelle fois. A croire qu'Alan Marxus se plaisait à la torturer de la sorte.
— Je... C'était mon échappatoire.
Galbali l'observa avec surprise. C'était la première fois qu'il l'entendait s'exprimer avec autant de sincérité. Contrairement à Sérion et à son maître, l'apprenti ne connaissait Garance que depuis son arrivée en Essenie. La première chose qu'il remarqua à son sujet fut qu'elle laissait rarement les gens indifférents. Aussi se souvint-il de cette année compliquée où, à l'apogée de sa détresse, la jeune femme se montra des plus arrogante et des plus égocentrique, rejetant jusqu'à ses proches. Son père s'était retrouvé débordé face à son comportement. Ce n'est qu'avec le soutien d'Alan qu'il parvint au final à l'aider et à l'éloigner du chemin chaotique sur lequel elle s'était engagée.
Il s'était permis de la juger sans rien savoir de son histoire. Il repensa à cette période avec honte. Par chance, son maître se montra patient avec lui et prit le temps de l'aider à changer son avis la concernant. Il avait fini par comprendre et accepta les raisons derrière le comportement de Garance qui s'était montré parfois à la limite de l'acceptable. En vérité, il était plus que familier à la douleur que les Mortis éprouvaient.
Galbali soupira puis passa une de ses mains dans ses cheveux blonds cuivrés. Ce genre de conversation le mettait mal à l'aise. Malgré cela, il se concentra sur les mots suivants de la jeune femme.
— Après la mort de mère il y a treize ans, je... Je me sentais...perdue. Je ne savais que faire, comme si soudainement, je m'étais retrouvée dans la cale sombre d'un navire en perdition sur une mer déchaînée. Et...dans ce cas-là tu...tu ne sais que faire, tu ne sais où aller... Soudainement, c'est comme si un grand vide avait prit place dans ton esprit. Tel un mort-vivant, tu continues de marcher mais... Tu n'as presque plus goût à rien, tu... (Elle prit une profonde inspiration.) A cette période, la Légion m'est étrangement apparue comme la seule chose ayant un semblant de stabilité. J'avais...besoin que l'on m'aide à garder la tête hors de l'eau. Me noyer dans mon chagrin n'était pas une option. J'avais besoin d'un objectif. J'avais besoin...qu'elle m'aide à faire taire pour de bon ce sentiment profond d'errance qui m'habitait. Et puis, aussi... J'étais terrifiée...terrifiée à l'idée de perdre un autre de mes proches. J'ai voulu devenir plus forte pour pouvoir les protéger et... Voilà...c'est tout. Je ne sais que dire de plus.
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Toi qui apportes la nuit
FantasyLes légendes parlent des Abysses comme d'une vision sombre et tordue du monde, comme d'un cauchemar éveillé dont nul ne pourrait s'échapper. Dans leurs sillages ne se trouvent que mort et désolation et les rares survivants qu'elles laissent derrière...