Chapitre 17 (3/5)

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Pardon ? ! Un Mortis ? !

Garance et ses camarades ne comprenaient pas. Pourquoi un membre de la maison royale agirait de la sorte ? Étaient-ils devenus fous ? Elle regarda son père en silence. Si ce que le roi disait était vrai, il était peu étonnant que les tensions soient aussi fortes dans certaines contrées. Et ce genre d'événements était précisément ce que certaines personnes attendaient avec impatience ; une occasion pour eux de prendre le dessus et d'étendre leur influence.

Sinclair avait intérêt à choisir ses mots avec soin, ne serait-ce que pour assurer à tous un départ de la capitale et du pays dans le calme. Il n'avait aucun doute sur l'issue de cette "discussion", leur exil pur et simple du royaume. Il était impossible que les choses se passent autrement. Cependant, peut-être pourrait-il négocier le délais de leur départ et gagner quelques jours supplémentaires. Il n'oubliait pas les souterrains ; personne ne les oubliait.

Et pour ce qui était de ce Mortis renégat, oui, il était bien au courant de ces agissements mais n'avait à nouveau rien dit aux autres à l'exception de Walther. Il n'avait pas été nécessaire qu'ils le sachent. Qu'auraient-ils bien pu faire de toute façon ? Mais peu importait, cette fois-ci, sa chère cousine était allée trop loin.

Face au visage impassible du commandant de la Légion, Edwald poursuivit son monologue dans un calme mêlé d'un certain mépris.

— Bien des histoires courent à votre sujet mais je dois admettre que celle-ci dépasse de loin tout ce que je pouvais imaginer. Mais, enfin, venant de gens qui n'ont eu aucun scrupule à assassiner leur propre impératrice, certaines choses devraient simplement cesser de nous surprendre...

Garance soupira. Il fallait toujours que cette histoire vieille de quatre siècles revienne sur la table. La Légion avait certes bien participé à la défaite de la dernière souveraine de l'empire d'Astéa, Irélia Mortis, mais c'est sa sœur cadette, que l'on surnommait Nocturne, qui mit fin à sa folie. Une guerre idiote contre le plus vieil état de l'Alen, l'empire de Soram. Suite à ces événements tragiques, leur réputation avait été au plus bas et la Légion eut bien du mal à regagner la confiance des pays voisins, en particulier dans le sud. Leur absence laissa le champ libre à d'autres guildes pour gagner en influence, comme le Saint-ordre ou les Écarlates, qui avait fait leur apparition peu avant le début de ces tragiques événements.

— Mes amis, continua Edwald d'un air faussement attristé, les accusations sont graves. Mais je ferais un bien piètre monarque si je ne vous laisser pas la possibilité de vous défendre et de convaincre cette noble assemblée que votre ordre n'est en rien responsable des crimes dont on l'accuse. Et puis, toutes ces vilaines rumeurs qui courent à votre sujet... Comme cela doit être épuisant à la longue. Et en toute franchise, pour ce qui est des Noirelames, j'espère très sincèrement que rien de tout cela n'est vrai, termina-t-il, une main sur le cœur.

— Je ne dirais rien, répondit simplement Sinclair.

Il savait qu'un jour ou l'autre le roi finirait par être au courant de leurs petits arrangements avec les contrebandiers. Il ne nierait rien, cependant, rien ne l'empêchait d'affirmer les dires du roi. Il ne rentrerait pas dans son petit jeu.

— Pourquoi devrais-je perdre mon temps à me défendre...à nous défendre de vos accusations ? En particulier quand l'accusateur est déjà déterminé à annoncer et à appliquer la sentence, quoi que je dise, aujourd'hui même ? Ne pensez pas être le premier à agir de la sorte et vous êtes bien loin d'être le dernier. Et en toute franchise, Votre Majesté, vous commettez une grave erreur en agissant de la sorte.

Sa réponse provoqua des murmures outrés un peu partout dans l'assistance. A la gauche du couple royal, la Matriarche Héloïse ne put retenir un petit sourire en coin ; le Patriarche Volusien demeura de marbre comme à sa grande habitude tandis que le Patriarche Herlemond ne put s'empêcher de frapper l'accoudoir de colère, le poing serré. Les mains croisées et posées sur ses genoux, la reine fusillait du regard Sinclair, une fine grimace sur les lèvres. Pour ce qui était du roi, il s'arrêta tout simplement de sourire.

— Une grave erreur ? (Il se pencha en avant, les mains serrant avec force les accoudoirs de son trône.) En quoi punir des traîtres et des complices de meurtres tel que vous serait une "grave erreur" ?

L'homme face à lui se contenta de croiser les mains dans le dos. Son silence continu ne fit que contrarier Edwald encore plus. Il haussa le ton, une nouvelle fois.

— Puisque vous semblez l'oublier, permettez-moi de vous rappeler une chose, Seigneur Mortis. Vous êtes ici en Essenie, pas dans le Domaine Hautelune. Cessez d'agir comme si vous aviez toute autorité ici. Tant que vous demeurez sur mes terres, vous me devez obéissance. Je suis votre roi ! Cessez donc de me prendre de haut. Vous vous pensez mon égal ? ! finit-il en hurlant.

A ses mots, Sinclair eut grande peine à masquer son sourire. Son roi ? Il n'avait pas de roi. En tout cas, plus depuis longtemps. Il n'avait juré loyauté à aucun monarque que ce soit, pas plus que ses propres enfants. Depuis toujours, la Légion était la seule figure d'autorité envers laquelle ils répondaient, étant l'une des rares choses en ce monde qui ait à leurs yeux, un semblant de bon sens. Et quand bien même, comment auraient-ils pu jurer loyauté à un homme si proche des figures les plus extrêmes du Saint-ordre, tant par son éducation, que par les liens nourris par son épouse ?

Concernant un autre point, il ne pouvait pas non plus se permettre de laisser à ce nouveau monarque la possibilité de défaire le travail de sa femme. Le Saint-ordre passait trop de temps à détruire aveuglement sous prétexte de protéger la populace plutôt que de chercher à comprendre et ce comportement l'irritait au plus haut point.

Du haut de son trône, Edwald se refusait à quitter des yeux les gens qui lui faisaient face. Il appréciait peu que l'on se moque de lui et n'aurait aucun scrupule à le leur faire comprendre. Il n'avait jamais eu la moindre once de sympathie à leur égard, entre leur chef qui se défiait de ses ordres et l'une de ses subordonnés qui semblait passer la moitié de son temps à humilier injustement ses soldats. Il en avait plus qu'assez.

La même colère que le roi grondait dans l'esprit de Thralond et d'Aerelm. Comme un grand nombre de leurs concitoyens, le capitaine de la garde et le chancelier avait vu d'un mauvais œil l'installation de la Légion dans leur belle capitale. Ils auraient préféré de tout cœur y voir le Saint-ordre plutôt que ces gens qu'il considérait comme des criminels. Mais comme tous les autres membres de la cour, ils s'étaient tus face à l'insistance du précédant souverain, préférant les Chevaliers Noirs aux nobles Inquisiteurs.

Edwald se leva brusquement du trône puis dévala les quatre marches en pierre de la petite estrade. Il s'arrêta devant Sinclair. Son ton se fit plus acide.

— Et je devrais me contenter de cette réponse. Dois-je prendre votre présent silence pour un aveu ?

— Pensez ce que vous voulez. Je ne vous dois rien.

Sa voix était restée ferme. Il n'hésita pas à défier du regard le roi et ses conseillers. Il était Grand Commandant et ne souffrirait pas qu'un petit roi de pacotille, à peine monté sur le trône, se permette de lui apprendre son métier.

D'un mouvement de colère, Edwald essaya de le gifler. Sinclair attrapa son poignet sans la moindre difficulté avant d'immobiliser son bras. Il ne le quitta pas des yeux un seul instant. Dans l'instant qui suivi, Thralond mis la main sur la poignée de son épée et la sortie de son fourreau de quelques centimètres. Certains chevaliers esseniens avaient déjà dégainé leur arme.

Au même moment, Sinclair relâcha le poignet du roi qui recula lentement, une étrange expression mêlant de la colère à une sorte de joie.

— La Légion...dit-il doucement.

Il commença à remonter les marches de l'estrade en pierre.

— Où que vous alliez, il faut toujours que vous vous pensiez au-dessus des autres... Constamment. Bien... Puisque c'est ainsi...dit-il tout en regagnant son trône. Vous aviez raison sur un point, Grand Commandant Mortis. J'avais bel et bien décidé d'une sentence à votre égard. Une sentence dont le descriptif comprend les mots "exil" et "Saint-ordre".

Toi qui apportes la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant