Chapitre 5.1, un nouvel arrivant

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QEDER

Les sables d'Oneone lui manquèrent un peu plus à l'instant où Qeder posa les yeux sur les grandes tours de la capitales, son cœur semblant se comprimer douloureusement dans sa poitrine. Ses cheveux bruns claquaient contre son visage sous le vent qui se levait avec la lune. L'obscurité s'étendait avec lenteur, et le soleil semblait prêt à s'éteindre. Le regard sombre du fils du désert explora nerveusement les alentours. Toute cette verdure qui se profilait sous le manteau obscur, tous ces arbres, ces herbes hautes et cet enivrant parfum de fleurs des prairies... Ce n'était pas là son élément. Il avait grandi dans l'aridité et l'or de l'erg, et aimait plus que tout la sécheresse de la mer de sable. Tous ces doux vallons et ces odeurs trop douces ne lui ressemblaient pas. Il émit un grognement à peine perceptible auquel on répondit par un rire clair.

Les yeux de Qeder se tournèrent alors vers son ami et compagnon de route, Sadiq. Leur physionomie indiquait leur provenance, tous deux dotés d'une peau olivâtre, de cheveux sombres, et de lèvres fines et asséchées par l'aridité de leur terre. Mais Sadiq avait les yeux gris de son père, là où Qeder ne tenait rien du sien.

— Ça te fait rire ?, grogna-t-il.

Celui aux yeux d'acier laissa un sourire moqueur déformer ses lèvres, haussant épaules et sourire dans une expression provocatrice. Son ami grinça des dents, grimaça, et se détourna de lui pour regarder à nouveau l'horizon. Le soleil avait disparu, le temps de quatre mots et d'un regard, et la nuit tapissait pleinement le monde de sa noirceur. Après de longues secondes de silence, Qeder fronça les sourcils.

— La nuit est tombée très vite, tu ne trouves pas ?

Derrière lui, il entendit des bruits de mâchonnements et comprit bien vite que Sadiq ne l'écoutait pas vraiment, trop occupé à manger ce qu'il restait de leurs provisions. Qeder soupira. Reposant ses bras sur ses genoux, joignant ses mains pour les tordre l'une contre l'autre, le fils des sables se plongea donc dans le mutisme, observant ce nouvel environnement. Lui qui n'avait jamais été au-delà de la mer de sable et qui ne souhaitait que voir un peu de paysage, il était servi... Et finalement, sa terre ne lui manquait que trop. Et sa mère, aussi. Il grimaça.

Le ciel était dépourvu d'étoiles ce soir-là, la lune était ronde et pâle, déposant une lueur timide sur le monde à la manière des lèvres d'une vierge sur celles d'un coureur de jupons. Le spectacle n'avait rien d'impressionnant aux yeux de Qeder, qui lui préférait largement celui de l'or du désert qui scintillait sous la lune, des mers lointaines qui luisaient et s'agitaient sous les étoiles. Il ne comprenait pas les hommes des prairies, ceux qui ne connaissaient pas la rudesse des sables ; ils ne pouvaient par exemple pas comprendre la joie de trouver une oasis, un peu d'eau, un peu de vie. Cette joie-ci, lui la connaissait bien, il l'aimait.

Une grande tape sur son épaule le ramena à la réalité, loin de sa terre et des souvenirs qu'il chérissait tant. Il sursauta, et regarda Sadiq d'un œil vide.

— Ça va mon gars ?, lui demanda celui au regard gris.

Pour toute réponse, Qeder haussa les épaules. Non, rien n'allait. Il ne voulait pas être ici, il ne voulait pas être loin de chez lui. Mais il le devait, pour sa famille. Il avait promis tant de choses. Il finit par soupirer, décidé à parler face au regard suspicieux que posait Sadiq sur lui.

— Je n'ai aucun envie d'aller à la capitale, admit-il dans un semblant de rire cynique.
— Oh, Qeder !

Le ton jovial de Sadiq n'était aucunement encourageant, mais plutôt inquiétant. Il n'était pas homme à donner quelques conseils et à motiver par de belles paroles ; Sadiq était optimiste, mais il n'avait rien de sérieux. Qeder s'était souvent fait la réflexion qu'il aurait fait un bien piètre politicien, et que le fait qu'il soit un homme du peuple était au final plutôt une bonne chose.

— Tu trouves les meilleurs bordels du monde dans cette ville !, lança Sadiq.

Telle était donc son idée... Des bordels. Qeder leva les yeux au ciel et agita lentement la tête, désespéré. Les boucles de jais qui encadraient son visage s'agitèrent dans son geste et il releva un regard désespéré vers son compagnon de route, qui reprit.

— Il y aura de belles chattes blondes, tu verras. Peut-être même des rouquines !, ricana-t-il. Ça, on n'a pas l'habitude d'en voir.
— Je ne vais pas là-bas pour ça.
— Tu es trop sérieux..., déplora Sadiq.

Qeder balaya la conversation d'un soupir évocateur, se levant pour s'asseoir plus loin, face au feu qu'ils avaient allumé. Ses yeux se posèrent sur les flammes, il apprécia leur chaleur qui venait lécher son visage, bien loin de la fraîcheur de la nuit. Oh, que cette terre était froide ! Il n'arrivait pas à croire que son père ait osé l'envoyer ici... Quelle idée que d'envoyer un fils des sables dans les contrées vertes... A la capitale, en plus !

Puis être échanson, quelle honte. Même échanson du Roi était une tâche indigne de lui. Il devrait s'assurer de l'alcoolisme de leur seigneur à tous, quel plaisir. Désespéré, Qeder poussa un énième soupir avant de se laisser couler contre le sol, sa joue se heurtant à l'herbe parfumée et à la terre tandis qu'il se recroquevillait face au feu. Ses yeux se fermèrent, et après de longues secondes passées à chasser quelques mauvaises pensées, le fils du sable sombra dans le sommeil.

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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant