Chapitre 28.1, ce qu'on ne ferait pas par amour

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TOGOS

Si on avait empêché le commandant de la garde luxienne de retourner la totalité du palais, s'était seulement car ce dernier s'était évanouit après la mort de Mia. Il baignait dans son sang lorsqu'on l'avait retrouvé et, pendant deux journées, sa vie avait été remise entre les mains des Sides pour espérer le sauver. Les frères s'étaient relayés et avaient soigné comme ils le pouvaient l'immonde plaie qui bardait les flancs du chevalier. Fort heureusement, Lux avait veillé sur son guerrier et les fanatiques avaient évité les organes, perçant le vide et se contentant de faire couler le sang. On avait réussi à le soigner et on l'avait gavé de viandes rouges pour remplacer le sang qu'il avait perdu. Togos s'était rapidement réveillé, couvert de sueur et hurlant de douleur. Seul le pavot l'avait calmé, l'envoyant se reposer entre les bras de Nox.

Le chevalier était maintenant immobilisé et, pour la première fois, il rencontrait la peur. Si Mia avait été tué devant ses yeux, tous pouvaient y passer. Le danger s'engouffrait dans chaque ombre, se frayant un passage entre les murs du Palais Blanc, le couvrant de sang et de mystères. Togos craignait pour sa vie mais, plus encore, il craignait pour cette princesse trop innocente qui bientôt deviendrait reine. Car, si le chevalier était alité et avait interdiction de se lever, il se tenait au courant des nouvelles du royaume par les servants qui restait à son chevet. Le roi était mourant et Nox le rappellerait bientôt à ses côtés. Nova deviendrait reine, succédant à son père alors qu'elle n'était pas prête, alors que Nokrov sombrait sous les assauts de fanatiques. Leurs actions étaient muselées pour que le peuple ne s'embrase sous la peur.

Et Togos avait l'impression d'être la seule personne consciente de l'horreur qui se déverserait sur ses terres dans trop peu de temps. Si la tête de la plus pure âme de Nokrov était couronnée, elle risquait de tomber, trop vite pour qu'il parvienne à la sauver.

Il se redressa, sentant sa blessure l'élancer. Le chevalier demanda un verre d'eau à la jeune muette qui s'occupait de lui. Elle, au moins, n'offrait jamais un seul des secrets qui emplissaient le palais à d'autre. Il se souvient, dans les tréfonds de sa mémoire, que les précurseurs des Iseal coupaient les langues de leur serviteur, s'assurant leur silence pour l'éternité. La pratique, barbare, avait été abandonné dès que les tigres avaient été couronnés, traitant de monstres les anciens souverains de Valen. Les démons avaient toujours régné sur ce monde sanglant. Lui, bêtement, pensait que la paix calmerait les hommes, que l'unifications de royaumes feraient enfin cesser les vieilles querelles. C'était sans compter les jeux cruels des Déesses et la folie des mortels. La paix était un idéal, en lequel avait cru les Iseal et leurs alliés taleniens. Mais une couronne et des genoux qui s'inclinent n'avaient finalement été que des mensonges.

On frappa à la porte, le sortant de ses pensées défaitistes. Dans la lumière du jour, Karona semblait une apparition divine, le soleil illuminant ses cheveux blonds, sa seule silhouette visible. Puis la porte se referma et Togos remarqua ses traits tirés, sa mine inquiète et son air presque apeuré. La reine, la si puissante reine, n'avait jamais été elle-même qu'en présence de son chevalier. Ce même homme qui attrapa sa main alors qu'elle se penchait à ses côtés, qui volait son sourire et attrapait sa joie. Il la rendait heureuse. Elle le détruisait.

Mais Togos n'avait jamais rien montré de ce cœur qu'elle comblait autrefois. Karona était son premier amour, la seule à qui il avait juré une fidélité éternelle. La seule qu'il n'aimerait jamais. Il avait grandi sous les ombres de son blason, écuyer de son père alors que la paix était encore de leur monde. Ils s'étaient aimés autrefois. Ils s'aimaient toujours, dans l'interdit de leur condition, dans les mensonges et la manipulation. Car le chevalier le savait. Elle l'aimait mais il lui était utile, dans sa fidélité stupide. Et c'était la seule raison qui lui conservait l'affection de la reine.

Karona s'assit pourtant auprès de lui, prenant le verre à la muette avant de la faire sortir. Elle lui tendit, de cette douceur qu'elle n'avait que pour Nova. Dans le silence, il but et ses doigts se glissèrent à la joue de cette femme qu'il aimait bien trop. Un sourire étira ses lèvres, le premier depuis si longtemps alors qu'il s'attardait sur la ride d'inquiétude, si reconnaissable, qui serpentait sur le front de la reine. Elle avait creusé ses traits, s'était enfoncée pour l'éternité dans sa peau autrefois si lisse.

— Le décès de Krevis t'inquiète ? demanda le chevalier.

— Les mots des traîtres m'inquiètent. Qui t'as poignardé Togos ?

Le chevalier soupira, alors que son sourire disparaissait. Elle ne venait pas pour prendre des nouvelles, elle ne venait pas pour savoir s'il allait s'en sortir. Elle venait seulement pour les informations qu'il charriait dans son sillage et dont il ne s'était, pour l'heure, ouvert à personne.
Il aurait aimé, dans des rêves trop égoïstes, que Karona soit son épouse, que sa famille soit moins ambitieuse et qu'elle l'aime pour ce qu'il était, pour leurs mains entrelacées sous le regard de Nox. Pas pour ces intrigues auxquelles il n'avait jamais voulu prendre part.

— Des fanatiques. Ceux contre qui je mettais notre roi en garde chaque jour. Ceux qui tuent dans les égouts et vomissent des cadavres. Ils prient le sang et la haine. Ils sacrifient au nom de Mageai. Nous devrions faire une purge, aller débarrasser la capitale de leur idée en les pendant. Mais le Conseil ne veut rien faire, se contentant de fermer sa gueule pour écouter un roi dépensier parler de chasse et de banquet.

— Voilà bien longtemps que Krevis ne parle plus au Conseil Togos. Le roi se meurt, la garde luxienne n'agit plus sans toi et les traites vivent au sein même de notre palais.

Des yeux, Togos la questionna. Karona blêmissait, de secondes en secondes et jamais elle n'avait serré si fort sa main autour de la sienne. Jamais la reine n'avait eu peur, même lorsque les Iseal avaient manqué perdre la guerre et qu'elle avait été enfermée, enceinte. Même lorsque son premier fils était mort. Même lorsque le roi était tombé malade. 

— Il faut que tu agisses en secret Togos. S'il apprend que j'ai parlé, il me fera tuer dans la seconde.

— Il ?

— Le fils du griffon. 

[...]

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant