Chapitre 11.2, noires sont les intrigues

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Ses parents étaient déjà là. Lui aussi, en compagnie de trois de ses gens. Ils faisaient tache dans le décor lumineux de la salle à manger. Alyssa baissa sagement la tête, essayant de ne pas fixer le vatner. Il était pourtant bien difficile à ignorer. Sa taille était immense, ses épaules plus larges encore que celles des marins que côtoyaient la jeune fille et sa coiffure caractéristique des siens avec une tresse unique encadrée par une peau nue et tatouée. Elle s'assit, à la gauche de sa mère et elle ne put que voir le sourire lubrique qu'il lui envoyait. Elle n'eut pas le temps de détourner les yeux, bouffée par le dégoût, qu'il lançait déjà le jeu dont il avait toutes les cartes.

-J'avais pas dit que je voulais une gamine. Elle manque de forme ta fille Artos. Pis c'est quoi ces cheveux noirs ? C'est un Adiant ou une catin du sable ?

Les yeux d'Alyssa s'écarquillèrent alors qu'elle les porta jusqu'à son père, attendant une réponse du fier griffon. Jamais personne n'aurait osé parler ainsi devant lui, encore moins de sa propre famille. Mais Lord Adiant gardait les yeux dans le vide, contenant ses poings que la jeune fille voyait fermement crispés. Elle se tourna vers sa mère, cherchant un autre appui dans la vipère glacée qu'était sa mère mais la nordienne restait discrète. Isendre n'était pas là. Son demi-frère l'aurait défendu lui ! Mais on lui avait interdit l'entrée... Et Alyssa se retrouvait seule face à cet homme qui se croyait maître en des terres où il aurait dû être esclave.

—J'aurais p'tete du te demander la mère plutôt que la fille enfaite. Elle au moins c'est déjà fait culbuter par plus d'un et elle a le sein assez lourd pour séduire un homme. De toute façon, tu me l'aurais pas refusé pas vrai ?

Alyssa était stupéfaite, trop estomaquée pour intervenir. Son père laissait le vatner bafouer toutes les règles de l'hospitalité, allant jusqu'à les insulter sous leur propre toit. Le sang de la jeune fille bouillonnait mais elle sentit la main de sa mère se poser sur la sienne, lui intimant le calme. C'était de la provocation, uniquement de la provocation. A laquelle elle répondait trop vite.

Sans réponses, l'autre se marbra d'un sourire satisfait, fier de son jeu. C'était donc ça. Cette chose à qui ses parents l'offraient pour des raisons qu'Alyssa ne comprenaient pas. Jamais Lord Artos n'aurait accepté ça. Jamais, lui, le combattant sans peur, ne se serait écrasé de la sorte sans une bonne raison. Alyssa ne pouvait s'empêcher de frissonner en imaginant le pire. Une fois de plus, on l'avait tenu à l'écart des intrigues alors qu'elle courrait parmi les navires. Les marins avaient pourtant l'air heureux de la mer et les vatners semblaient se tenir tranquille...

La valse des domestiques commença sans qu'elle n'y perte une grande attention. Son regard peinait à se détacher de son futur époux qui ne pouvait s'empêcher de fanfaronner devant ses hommes et de rabaisser tantôt le lieu où il se trouvait tantôt le physique d'enfant de la demoiselle de Port Mauer. Les vatners étaient une peuplade que tous avaient appris à craindre mais qu'Alyssa n'avait jamais rencontré. Il y avait bien eu cet homme que son père avait accueilli une fois, un prêtre convertit au culte des Sides mais il n'avait rien à voir avec les barbares qui siégeaient ce soir à leur table. Ils étaient bruyants, mangeaient salement et leurs mains glissaient facilement jusqu'aux hanches des domestiques. Elle, que rien ne choquait, ne pouvait s'empêcher de rester stupéfaite. Ils étaient si proches géographiquement parlant et pourtant si étrangers dans leur manière de faire.

Le repas passa avec une lenteur terrible. Ils venaient de terminer les viandes quand le Noirsonge, les pieds posés sur la table, curant ses dents d'un couteau qu'il avait sortie du fourreau à sa ceinture, reporta son attention sur Alyssa. Ses yeux noirs la détaillèrent et il se mit sur pieds, claquant des doigts pour que l'un de ces hommes fasse de même derrière lui.

—Lève-toi, ordonna-t-il.

La jeune fille souleva un sourcil interrogatif avant de manquer éclater de rire. Qu'il parle comme il le désire mais jamais il ne pouvait se permettre de lui donner d'ordre. Peut-être était-il un seigneur dans son village de pouilleux mais ici, il n'était rien d'autre qu'un barbare parlant fort et puant.

Elle ne bougea pas d'un pouce, ses yeux défiants plus qu'ils ne l'avaient jamais fait des gardes. Elle s'attendait à ce qu'il réagisse, à ce qu'il est un mot de trop qui ferait enfin comprendre à son père qu'il ne devait pas la laisser partir entre les bras du vatner.

—Obéit Alyssa.

La seule réponse qu'elle obtient la fit tourner vivement la tête. Artos la fixait, son visage ne laissant aucune trace pour la discussion. Si Alyssa se montrait souvent insolente, elle n'avait jamais levé ne serait-ce que les yeux au ciel lorsqu'il affichait cette expression de givre, lorsque ses lèvres formaient une balafre trop fine sur son visage.

Le sourire victorieux du vatner fit grogner Alyssa. Il s'approcha et ses doigts agrippèrent sa mâchoire dans un étaux qui parlaient bien plus que n'importe quels mots. Elle lui appartenait. Mais il ne pouvait même imaginer que la pouliche qu'il rêvait de chevaucher était plus sauvage encore que toutes celles qu'il avait pu approcher. Ses yeux braqués sur son père, toute la haine hurlant dans ses iris, Alyssa se laissait faire. Les doigts du vatner glissèrent sur sa peau, jusqu'à sa poitrine naissante qu'il soupesa avec une grimace.

—Elle a d'jà saigné au moins ?

—Il y a moins d'un cycle, répondit son père. Elle est prête à devenir une épouse, comme je vous l'avais promis.

—Si on m'avait dit que j'épouserais une fière Adiant un jour, susurra le vatner, un sourire moqueur accroché aux lèvres. Que vous plierez le genou si facilement que je pourrais vous demander votre château que vous me le donneriez en m'appelant seigneur. On racontait bien des histoires sur vous Arthos mais pas que vous étiez un lâche que vend jusqu'à sa propre famille...

—Il n'est pas lâche, siffla Alyssa entre ses dents, suffisamment fort pour que le Noirsonge puisse l'entendre.

La gifle retentit pour toute réponse. Elle raisonna dans la salle à manger, se répercutant contre les murs trop hauts, rebondissant contre les murs épais.

La main de la jeune fille se leva à son visage alors que ses lèvres s'ouvraient sur la stupeur qui la parcourait. Sa joue la brûlait déjà, marquée au fer rouge d'une poigne écarlate.

Son père se releva d'un seul coup, la main déjà portée à son fourreau, les doigts enroulés autour de la garde. La flamme du guerrier, qu'Alyssa croyait éteinte, s'était embrasée dans ses yeux.

Le rire d'Helvar l'interrompit pourtant. Le fer ne chantait pas alors que le vatner se retournait, surplombant l'assemblée de toute sa haute stature.

—Je pense que nous ne nous sommes pas très bien compris Artos. Votre fille contre l'assurance que les îles resteront calmes et que nous ne détruirons pas Nokrov. Si vous me tuez, vous tuez un ambassadeur et les miens auront tôt fait de déferler sur votre port et de le réduire en cendre. La grande époque des Adiant guerriers est révolue et je doute que vos jolies fleurs résistent à un incendie. Alors vous allez lâcher cette épée, vous rasseoir et organiser avec moi mes futurs noces. Après tout, c'est celles de votre fille...

Trop de dangers et de menaces coulaient derrière les mots que le vatner maîtrisait trop bien pour un homme de sa race. Artos resta une minute debout, ses yeux allant de sa fille au Noirsonge. Il finit par lâcher son épée, jetant les armes sous le regard effaré d'Alyssa. Il abandonnait là où elle ne l'avait jamais vu frémir.

Il l'abandonnait.

Tous se rassirent alors mais elle était déjà partie dans son esprit. Elle n'écoutait plus les discussions, les préparatifs de son mariage sur lequel elle n'aurait finalement rien à dire. Elle préférait s'enfuir dans un futur qu'elle espérait vivre. Son départ avec le cap'taine sur la Sirène hurlante, ses sourires alors qu'elle s'approchait de la proue qui avait donné son nom au bateau, sur le visage déformé de celle qui avait dû être d'une beauté époustouflante. Tout pour être loin de ce qui se tramait devant elle et sur lequel elle n'avait aucun pouvoir. Tout pour ne plus les entendre.

Jusqu'à prier les Sides qu'elle n'avait jamaisvraiment regardé et implorer qu'elles au moins ne l'abandonnent pas.

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant