Chapitre 3.1, les espoirs de la griffonne

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ALYSSA


Port Mauer brulait de vie. Les cris des passants, les hurlements de mouettes et les ordres de marins créaient un charivari dans lequel Alyssa avait toujours aimé se perdre. Les yeux bleus de la jeune fille s'attardaient sur les mousses, à peine plus âgés qu'elle, à la peau tannée par le soleil et le sel. La pèche avait été bonne et les sourires illuminaient tous les visages. Depuis presque un cycle, la mer était calme et les vatners silencieux., pour le plus grand plaisir des continentaux. 

Alyssa déplia ses jambes alors qu'elle apercevait un nouveau bâtiment amarrer. Aujourd'hui, elle n'était pas seulement venue au port pour l'animation qui y régnait. La Sirène hurlante était revenue et avec elle, les rêves de la noble. Le capitaine lui avait promis que si elle grandissait suffisamment pendant son absence, il accepterait de la prendre sur son bateau. Elle découvrirait les merveilles et le danger d'un vie de marin. La griffone ne pouvait rêver mieux, elle qui haïssait la vie linéaire que sa naissance lui avait offerte. Alessandre, son grand frère, pouvait bien s'occuper d'assurer le futur de leur famille. Il était le parfait chevalier dont toutes les demoiselles rêvaient et, s'il tenait actuellement à Talumen le rôle d'ambassadeur des Talen, il aurait tôt fait de revenir chez les griffons.

Alyssa avait essayé d'être parfaite, au moins pour les apparences. Elle avait appris, sans la moindre application, toutes les leçons qu'on l'avait forcé à ingurgiter. Pour mieux les vomir devant des nobles qui s'amusaient de sa beauté et de son intelligence. Jusqu'à trouver un époux digne de son rang et servir de jument poulinière avant d'élever à son tour des enfants. Mais ce n'était certainement pas le destin qu'elle désirait. Non... la jeune fille rêvait d'aventures, de croiser le fer avec des vatners, d'escorter des cargaisons précieuses et d'enfin goûter l'embrun sur sa peau.

Elle vit enfin les voiles de la Sirène hurlante au loin et elle se jeta en bas de son piédestal. La poulpe, sculptée de la sublime créature à queue de poisson qui avait donné son nom au bâtiment, se détachait des autres. Le vent, s'engouffrait dans les voiles qu'Alyssa avait tant de fois caressée des yeux. 

Elle se mit alors à courir, sautant par-dessus les paquets, évitant les mousses et jouant de ce port qu'elle connaissait par cœur. Les mouettes s'envolèrent sur son passage, poussant des cris nerveux envers la jeune fille qui ne ralentit pas sa course pour autant. Elle dérapa sur la pierre mouillée, sourit à ceux qui la couvrait d'un regard paternel. Tous ici la connaissait trop bien,sans jamais savoir son ascendance noble. Ici, Alyssa avait toujours ces habits de garçon, qui ne dénotait plus vraiment dans le paysage exclusivement masculin. Avec ses longs cheveux noirs attachés en chignon dormant sur sa nuque, Alyssa aurait facilement pu passer pour un garçon au visage trop fin. Seule ses dents blanches et ses mains douces trahissaient sa naissance noble. Le soleil aurait tôt fait de noircir la première et le travail de couvrir de cales les secondes.

Le capitaine, un homme à la musculature imposante et au tricorne inoubliable,sourit à l'instant où il aperçut la petite furie qui lui fonçait dessus. Elle s'arrêta en un virage contrôlé et leva sa frimousse pleine de tache de rousseurs jusqu'à lui. 

Elle frémissait déjà d'impatience, trop pressée de partir. 

— Vous avez fait bon voyage cap'taine ? Y parait qu'vous avez rapporté plein de trucs exotiques des Ramales ? Il fait vraiment aussi chaud qu'on le raconte là-bas ? Et y sont comment les gens ? 

L'homme éclata de rire devant le flot de question qui s'échappaient des lèvres de la jeune fille. Devant la moquerie, le nez d'Alyssa se fronça immédiatement,alors que ses yeux bleus se remplissaient de nuage. On lui avait toujours dit que la couleur de ses iris était comme la mer : impétueuse et changeante,parfois même mortelle. 

—Calme toi petit poussin et laisse-moi atterrir. Qu'est-ce que tu fais déjà là d'ailleurs, tu ne devrais pas être en train de récurer des casseroles à cette heure ? 

Les joues d'Alyssa s'empourprèrent immédiatement. Ils croyaient encore à son mensonge qu'il n'avait pas pris la peine de vérifier. Car la jeune fille le savait : s'il avait appris de quel lit elle venait, il n'aurait pas daigné la regarder ou accepter de l'intégrer dans son équipage. Les Adiant auraient cru à un enlèvement et on ne riait jamais avec la colère des griffons. Elle s'était inventée un accent et un mensonge qu'elle maîtrisait jusqu'au bout des doigts.Du moins jusqu'à ce que l'impatience le rende trop fébrile pour penser à cette identité imaginaire.

—Le patron m'a laissé v'nir regarder les bateaux. Il sait que je veux bientôt partir et j'lui ai dis que j'allais embarquer avec vous pour vo'te prochain voyage ! Il a beaucoup ri d'ailleurs en me disant que vous prendriez jamais une fille. Mais je pourrais monter hein ? On part bientôt pas vrai ? 

—Laisse-moi le temps de débarquer. Mes hommes ont soif de bières et de femmes.J'attends une nouvelle cargaison et qu'les Adiant me payent ce qu'ils me doivent pour ce voyage. On devrait repartir d'ici deux semaines, trois maximums. Tu dirais à ton patron que je passerais le voir. J'vois pas pourquoi on prendrait pas une donzelle. Mes hommes sont pas de vulgaires marins, c'est la fine fleur et ils savent se tenir, surtout devant les gamines ! 

Le sourire qui avait grandi sur les lèvres d'Alyssa fondit comme neige au soleil. 

Elle n'avait pas plus de patron que de lettres de recommandation à présenter.Ses connaissances des tavernes du port étaient aussi mince qu'un bébé mouette et elle ne pouvait pas se permettre de demander à un garde de jouer les faux alcooliques. Si ces derniers l'appréciaient pour son caractère enflammé, ils n'iraient certainement pas risquer leurs têtes à la couvrir. 

Elle lança un petit rire qui tenait plus de l'étranglement que de la joie profonde et évita le regard interrogatif du capitaine. La jeune fille allait devoir trouver rapidement une solution si elle voulait échapper aux griffes de sa famille et s'enfuit voguer sur la mer. 

— Avec plaisir cap'taine. J'repasserais vous voir bientôt, faut que je file, j'dois rejoindre des copains !

Elle-même le savait. Son excuse ne tenait pas debout. Tout la trahissait, de son ton jusqu'à son visage. Alyssa ne se fit pas prier pour déguerpir,injuriant mentalement son mensonge. Elle n'avait jamais été doué pour ses derniers, trop honnête et impulsive. Son frère et sa mère étaient devenus des experts dans le domaine mais la noble tenait de son père le caractère si caractéristiques des griffons. 

Elle remonta les quais, saluant certains mousses, levant un majeur grognon à ceux qui s'attardaient un peu trop sur ses formes naissantes. Les myriades de couleurs et d'étendards ne parvenaient pas à la faire sourire alors qu'elle cherchait un moyen de rendre réelle son histoire. Sans un tavernier, le capitaine ne la croirait jamais et s'il apprenait la vérité, elle pouvait dire adieu à son laissé passer pour l'océan. De rage, elle frappa dans un caillou sur le sol et poussa un gémissement, à moitié étouffé par ses lèvres serrées. La pierre était bien plus dure que ce qu'elle avait cru et ses orteils mal protégés en avaient subi les conséquences. Elle se pencha et l'envoya rageusement voler le plus loin possible. 

Un cri de douleur répondit à son accès de rage et Alyssa sursauta avant de se cacher derrière un pin. . Elle avait malencontreusement touché quelqu'un et vu les dizaines de jurons que l'autre hurlait, elle lui avait fait mal


[...]

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant