Chapitre 2. 2, l'Enquête de Talumen

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Le Conseil se réunissait hebdomadairement, pour statuer sur les faits qui parcouraient le royaume. On y retrouvait bien des noms clinquants et des visages connus. Togos était le premier arrivé, la mine sombre, bien décidé à grogner pendant la cassie totalité de cette réunion trop longue. Il n'avait pas pu avoir d'entretient avec le roi et avait attendu une journée et une nuit, assez pour le faire sortir de ses gongs et passer ses nerfs sur l'entrainement des jeunes recrues.


Les autres arrivèrent au compte goûte. D'abords un fils supérieur, nommé par l'Ainé en personne, le remplaçant lorsqu'il n'était pas à la capitale. Le bien nommé Hadith, originaire des Ramales, aux cheveux plus noirs que les ailes d'un corbeau, enfoncé dans une longue robe d'un blanc trop étincelant pour être naturel. On racontait que Lux elle-même bénissait la tenue des Fils Supérieurs lorsqu'ils prêtaient leurs vœux et les baignait de sa lumière divine. Foutaise pour cul serrés. Hadith était loin d'être un béni, plutôt un homme arrivé là car ses parents étaient bien nés et avaient grassement payé le conseil des Sides. Il se gavait des privilèges offerts aux religieux et son embonpoint allait de pair avec l'odeur de nourriture qui ne le quittait jamais. Togos le détestait de tout son cœur et priait pour que l'Ainé revienne bientôt remettre de l'ordre dans la religion qu'il avait laissé de côté, pour une autre mission soi-disant divine. Ils trouvent tous des excuses avec leurs Déesses à la con. Les pensées du commandant auraient depuis longtemps pu l'envoyer à la corde s'il avait osé les exposer à voix haute. Il était heureusement loin d'être assez idiot pour afficher son manque de conviction dans la religion, dont le sacre et la croyance avaient été rendus obligatoire par sa Majesté en personne.


S'ensuivit l'arrivée du Maitre des Ombres, un homme sans nom dont personne n'avait jamais vu le visage. Il était discret, silencieux et presque invisible à la table du Conseil. Mais il agissait à merveille dans les ombres d'où il provenait, déposant poisons et oreilles attentives partout à Nokrov. On lui prêtait des légendes fantasques et de tous, il était certainement le plus dangereux. Zakon Deargán fit une entrée remarquée, en pleine discussion plus que virulente avec Aduer Olcos. Les deux hommes étaient aussi différents qu'opposés dans leur fonction. L'un, originaire des Seascanns, avait le cheveu roux, le visage mangé de tâche de son et les yeux d'un noir surprenant. L'autre, des terres de Tallen, affichait fièrement sa blondeur, son immonde cicatrice et sa haute stature. Le Diplomate et le Maitre de Guerre n'étaient pas fait pour s'entendre et ils ne s'en étaient jamais caché.


S'ensuivit la foule d'ambassadeurs qui n'avaient pas vraiment le droit à la parole mais ne se gênaient pas pour la prendre. Ser Alessandre Adiant, fils du griffon, au visage de bellâtre et aux yeux glacés de sa mère. Lord Asad Tumhan, la peau brunie par le soleil de son pays et le seul seigneur présent à la capitale. Ser Simeon Strenlg, loin d'être de la famille du seigneur du Nord mais diplomate reconnu, capable de faire passer n'importe quoi pour un trésor. Oisín Carria, ayant eu le malheur d'être né cadet dans la grande maison Carria et qui ne pouvait se gausser ni de rang de chevalier ni de futur titre. De toute manière, les Seascanns avaient abandonné leur noblesse depuis que le Baron avait décidé de devenir maitre des lieux. Huldr Skogkatt, des îles vatners, un barbare dressé, à l'éternel sourire, facilement corruptible par une bière et une nuit de beuverie. Seuls les Carmines brillaient par leur absence et la présence de leur fille unique auprès de la princesse ne parvenait à relever l'affront qu'ils faisaient au roi.

Lord Virtus Falco ferma le bal, accompagné de sa Majesté. Drapé de toute sa suffisance, le Maitre des Lois s'installa à la droite du roi, posant ses yeux d'émeraudes sur l'assemblée bruyante. Un raclement de gorge suffit à tous les faire taire.


—Soyons bref, messiers, nous avons bien des sujets à traiter. Si quelqu'un veut rajouter une affaire importante à l'ordre du jour.
— Les meurtres, gronda Togos, continuent. J'ai demandé à parler au roi mais...
— Nous y viendrons Commandant, coupa Virtus, sans même un regard. Nous devons d'abord parler de l'avancé des Vatners. J'ai ouïe dire, Huldr, que...
— La sécurité du peuple aux portes du Palais Blanc ne vous importe donc pas ? Dois-je rappeler à tout le monde que le roi vit dans ce palais. Un nouveau corps a été trouvé à trois cents pieds de la Porte Dorée. Demain, ce sera dans les jardins. Voulez-vous vraiment attendre que ce soit sa Majesté que l'on retrouve la gorge arrachée ?


Le silence se fit immédiatement, les regards stupéfaits se portant sur le commandant. Le roi lui-même fronça les sourcils alors que Virtus semblait s'étrangler dans son absence de barbe. Togos se redressa sur sa chaise, le regard glacé.


— J'ai besoin de plus d'hommes et des services du Maître des Ombres pour daigner avoir des informations. Les cadavres ne parlent pas et ils finissent tous à l'eau, détruisant la moindre de mes preuves. Dès que la garde luxienne s'approche des citoyens, ces derniers deviennent muets comme des carpes. Ils ont peur de nous alors même que nous sommes là pour les protéger et cela ne peut pas durer. Je me fous de ce que font les Vatners. S'ils attaquent, les Boucliers sont là. Les Adiant les ont toujours tenus en respect et cela ne changera pas. Par contre, personne ne le fera de ceux qui tuent impunément à nos portes tant que nous n'aurons pas mis la main sur l'un d'eux pour faire un exemple. Je veux des hommes Votre Majesté. Et plus de moyen pour délier les langues.


Le roi poussa un profond soupir, déjà las du discours de Togos.


— Vous avez toute la garde luxienne sous vos ordres Ser Conneden. Je suis certain que la garde noxienne pourra vous épauler si vous éprouvez des difficultés à faire votre travail, lança Krevis, froid comme le givre. Le Conseil n'est pas là pour écouter votre problème commandant mais pour régler les affaires du royaume.
— Le peuple n'écoute plus la garde votre Majesté. Ils la fuient comme si nous apportions la peste. Vous le sauriez si vous daigniez sortir de votre Palais pour visiter votre peuple. Les rues de Talumen elles-mêmes deviennent dangereuses maintenant. Quand-est-ce que vous daignerez écouter vore peuple plutôt que ces connards de courtisans qui vous graissent la patte en complotant !
— Il suffit Togos !

Le roi s'était brutalement levé, ses sourcils ne formant plus qu'une ligne blonde au-dessus de ses yeux glacés. Ses mains fermement posées sur la table, il fixait le commandant qui soutenait son regard, bien trop habitué aux éclats de colère de son monarque pour frémir.


— Vous parlerez avec le Maitre des Ombres plus tard et j'attends qu'il vous aide. Maintenant sortez. Vous n'êtes plus le bienvenu à cette séance Togos. Ni aux prochaines. Je vous invite à surveiller vos propos si vous ne désirez pas être pour de bon révoqué du Conseil !


Le garde releva un peu plus le menton, sa poitrine se soulevant au rythme des battements de son coeur. Il se releva, sa chaise grinçant sous le mouvement qu'il lui imposait. Togos s'inclina devant le roi, baissa légèrement la tête pour saluer les autres membres du Conseil et tourna les talons. Certain avaient encore la bouche ouverte, stupéfaits par ses mouvements d'humeur. Le sang des terres de Talen roulait dans ses veines, vif et brutal, l'empêchant de garder son calme lorsque la situation l'exigeait. Il avait pourtant obtenu ce qu'il désirait. Peu importait sa présence volatile au Conseil. Les entendre parlotter n'avait de toute manière jamais été une partie de plaisir pour l'homme d'arme.


Il passait les lourdes portes qui se refermèrent derrière lui et s'accouda au mur, attendant que l'interminable réunion ne se termine. Dès que ce dernier serait terminé, le maître des ombres allait pouvoir l'aider, mettre à sa disposition ses murmures et ses ombres pour attraper d'autres preuves que de la fumée.


Une fois ces derniers de leur côté, les gardes arrêteraient enfin de patauger et mettraient le doigt sur quelque chose de tangible. Togos allait trouver qui était derrière les meurtres et ce visage coupé d'un croissant qui commençait à le hanter jusque dans ses rêves. Car, une chose était certaine : il ne pouvait pas laisser la mort sonner impunément aux portes du Palais Blanc.

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant