Chapitre 11.1, noires sont les intrigues

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ALYSSA


Dans sa chambre, Alyssa tournait comme un lion en cage. Elle réfléchissait, cherchait un moyen de quitter pour de bon ce château où elle étouffait. Elle montrait sur le premier bateau venu ou bien s'enfuirait jusqu'à la cour rejoindre son frère. Alessandre ne laisserait jamais passer son mariage avec une brute vatnere. Il n'accepterait pas d'avoir été éloigné de cet évènement qui se déroulait bien trop vite. Il fallait presque une année complète pour organiser un mariage aussi important que celui qu'elle aurait dû avoir. Assez de temps pour la laisser s'enfuir, disparaitre des terres de Tallen et courir les bois telle une chasseuse qui deviendrait légende. Pourquoi se pressaient-ils comme si Mageia elle-même allait intervenir ?

Deux petits coups secs retentirent contre sa porte, la faisant se retourner vivement. Elle bondit jusqu'à cette dernière et ouvrit avec un soulagement évident peint sur le visage à sa dame de compagnie. Après avoir jeté un regard mauvais au garde qui surveillait le couloir, elle la fit entrer. La petite blonde de son âge, sœur de lait d'une même nourrice, fronça les sourcils en apercevant la mine déconfite de la noble.

—Qu'est-ce...

—Ils font me marier Seïa... Ils veulent que je le rencontre ce soir. Ils veulent que je parte d'ici ! Ils m'offrent comme un animal de compagnie à une brute, à un connard de vatner !

La colère flamboyait dans les yeux de la jeune fille, rapidement transpercée par les larmes qui étranglaient sa gorge. Elle les avait retenus longtemps, refusant de craquer devant ses parents ou les gardes. Mais, devant sa meilleure amie qui lui tendait déjà les bras, ses sanglots éclatèrent. Elle se blottit contre elle, sentant d'épaisses larmes tacheter leurs vêtements.

—Alessandre est même pas là pour les empêcher de faire ça. Je vais me marier en secret avec un homme qui ne connait que ses mœurs de monstres. Je veux pas qu'il m'embarque Seï'. Je veux partir libre avec le capitaine pas avec lui !

Seuls les tapotements doux sur son épaule répondirent à ses suppliques. Alyssa avait besoin d'être rassurée mais elle savait parfaitement que celle qu'elle considérait comme une sœur ne pouvait rien répondre de censé. C'était son destin, certes injuste mais réel, d'épouser un homme qu'elle ne connaissait pas et rien de ce qu'elle pourrait dire ne changerait la décision de son père. Elle ne la comprenait simplement pas. Les Adiant étaient les boucliers de Nokrov contre les vatners. Jamais ils n'avaient vendu l'une de leur fille aux barbares. Tous savaient que ces monstres étaient nés de brigands qu'on avait, il y avait des siècles, enfermés sur les îles arides. Ils n'auraient pas dû survivre et créer ce reperd de sangéravs.

—Il s'appelle comment ?

—Helvar Noirsonge. Je crois que c'est l'un des Hauts Capitaines Ou un autre pseudo noble de là-bas mais sa famille est puissante. Assez pour forcer les Aldiant à m'offrir comme une poulinière de valeur.

—Oh Alyssa...

Les sanglots de la jeune fille repartirent de plus belle alors que sa soeur de lait ne parvenait à trouver aucuns mots pour la consoler. Le silence s'éternisa, s'insinua entre les lourds murs de pierre tel un serpent aux lourdes écailles. Seules les larmes d'Alyssa teintaient, par accoues. Sa respiration, sifflante, et ses reniflements lui faisaient perdre toute cette beauté qu'elle aurait préféré ne jamais posséder en cet instant. Car la petite noble tenait de sa mère une peau claire qu'elle s'évertuait à tenter de teinter et de jolies boucles brunes à l'éclat chatoyant, trop souvent attachées. Sa taille, déjà haute pour une demoiselle de son âge devait tout aux Ardiant. Elle avait leur force de caractère mais la finesse de visage du Nord.

Tout ce qu'elle aurait aimé jeter aux orties pour ne pas être la nouvelle pouliche d'un vatner et pouvoir partir avec le capitaine vivre ses plus merveilleuses aventures. Rêve touché du doigt mais avorté avant une naissance, certes problématique, mais surtout grandiose.

—Je dois t'habiller Alyssa. Ta mère voulait que tu sois au moins présentable.

—Je veux du noir et la robe la plus laide que tu puisses trouver. Celle que j'avais à l'enterrement de grand-mère fera parfaitement l'affaire. Qu'il parte trouver sa catin ailleurs !

Le visage baissé, Seïa se releva et ouvrit une malle où la tenue était gardée. Elle ne savait pas si elle irait encore à la jeune fille, datée de plus d'un cycle. Alyssa grandissait à vue d'œil, devenant une femme sans prendre conscience de ce que son corps réveillait lentement chez les hommes. Un soupir triste s'échappa des lèvres de la camériste. Ses doigts glissèrent sur l'étoffe noble, sur les perles d'argent brodées pour former un griffon sur la ceinture et les épaules. L'ouvrage était sublime et Alyssa la détestait, identique à l'enfant trop gâtée qu'elle avait toujours été.

Seïa la fit se relever, prenant un gant pour nettoyer le visage et les bras de l'enfant avant de lui faire quitter ses vêtements de garçon et sa culotte de cheval. Elle termina sa toilette, s'acharnant sur une tâche brune qui refusait de partir sur le nez d'Alyssa, arrivant même à tirer un éclat de rire à la noble. Puis elle lui fit passer la tenue. La mode des terres de Tallen avait abandonné les corsets durant la dernière guerre, lorsque les femmes s'étaient jointes aux chevaliers pour repousser les dissidents. Elles avaient gagné le droit de respirer et si la tenue d'Alyssa restait cintrée à la poitrine par un coutil dur, la jeune femme pouvait encore bouger. Elle ne se retient pourtant pas pour râler, plus habituée aux chemises garçonnes qu'elle portait tous les jours qu'aux robes de dame. Seïa ne releva pas, presque heureuse que la jeune fille retrouve enfin ses vieilles habitudes.

Elle peigna ensuite ses cheveux, enlevant les aiguilles de pin qui s'étaient glissées entre les boucles. Ses doigts relevèrent les mèches sur ses tempes, ne laissant qu'une marée sombre courir sur sa nuque.

—Bijoux ?

—Plutôt crever.

Seïa gloussa, bientôt suivi par la jeune fille. Ensemble, elles auraient pu tout affronter, capable de se faire rire en toute situation. Pourtant, contrairement à son habitude, Alyssa retrouva bien vite son air maussade et, alors qu'elle fixait son regard dans un miroir, son cœur se sera.

—J'ai peur Seï'...

—Tu vas t'en sortir comme une reine, Aly. Et puis, s'il t'embête, mord lui le nez ou tape dans les couilles. Ça avait calmé le Conrdo lorsqu'il avait essayé de me choper dans un coin. Il y est jamais revenu.

Le pauvre sourire sur le visage d'Alyssa voulait tout dire. Elle inspira profondément, ferma les yeux une seconde et, lorsqu'elle les rouvrit, brillaient dans ces derniers une flamme de détermination que rien ne pourrait éteindre. Elle jeta un regard à la petite pendule ouvragée sur sa coiffeuse et maudit une seconde les aiguilles qui l'invitaient déjà à table.

—On va dire que c'est un mauvais moment à passer, murmura-t-la jeune fille, plus pour elle-même que pour son amie.

Elle enfila une paire de chaussure plate, refusant net les talons qu'elle n'avait jamais réussi à porter. De toute manière, sous les jupons de sa robe noire, personne ne verrait ce qui habillait ses pieds alors à quoi bon se forcer à souffrir ? Puis elle sortit de sa chambre, Seïa derrière elle.

Jamais les longs couloirs n'avaient autant ressemblé à un chemin jusqu'à l'échafaud. Alyssa avait beau trainer des pieds, elle se rapprochait inlassablement de la salle à manger. Comme d'habitude, elle ne croisa personne. Le château était vide depuis si longtemps que cela ne la surprenait plus. Ses parents n'avaient pas pour habitude de recevoir et la dernière fois que Port-Mauer avait accueilli des nobles, tous étaient habillé du noir de Nox et des larmes de crocodiles coulaient sur beaucoup de visages.


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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant