ISENDRE
Ses yeux se posèrent sur l'assistance que le garde, Karmat, avait réuni dans le plus grand des secrets. Il s'était servi de ses connaissances au sein de la ville et du château de Port-Mauer pour réunir un maximum de personnes dans l'auberge du port. Et Isendre, que l'on avait fait monter sur une table pour qu'il puisse les jauger du regard, les observait avec hargne.
Son cœur battait, sourdement, en sa poitrine. Jamais on ne s'était tant soucié de lui, jamais on ne l'avait regardé ainsi – on l'avait si longtemps pris pour un pauvre gamin mal né. Et aujourd'hui, il dominait ceux qui l'avaient mésestimé de sa hauteur.
— Je suis Isendre, fils naturel de lord Arthos Adiant. Et je vous annonce aujourd'hui que votre seigneur est mort de ma main.
Des exclamations, tantôt révoltées, tantôt stupéfiées, retentirent dans l'assemblée, mais il garda le regard droit. Il ne pouvait faiblir, il n'en avait ni le droit ni le temps.
— J'ai fait ce que j'avais à faire. D'aussi loin que se souvienne la mémoire des hommes, les vatners ont toujours été nos ennemis à nous, fils et filles de Talen. Et Arthos... mon père, nous a tous trahis en ce jour. En envoyant Alyssa, ma sœur, sur les îles, il l'a condamnée à une vie de servitude et de souffrance. Il l'a offerte comme une simple jument poulinière à Helvar Noirsonges, un sauvage, un barbare de l'archipel ! Et nous, devrions-nous accepter cela sans rien dire ?
Les clameurs dans la salle s'étaient tues, tous restaient maintenant muets face à son discours tandis qu'Isendre s'agitait, en colère après tous ceux qui avaient soutenu, de près ou de loin, son père dans son entreprise. Il tut l'autre raison de sa colère, les yeux bleus qui le hantaient, les cheveux châtains que le soleil chatoyait de flammes rousses ; il vouait à Daena un amour pur, le renarde avait su s'attirer la loyauté et la fidélité de son cœur, le faisant esclave tandis qu'elle se faisait Reine. Ses poings serrés, Isendre agitait l'un d'eux vers la foule pour appuyer son propos.
— Dîtes-moi, fils et filles de Talen que vous êtes, acceptez-vous cette situation ? Acceptez-vous de courber l'échine face aux vatners qui pensent aujourd'hui avoir l'avantage sur nous ? Helvar l'a dit la nuit de ces noces – maintenant qu'il a épousé Alyssa, nous sommes faibles face à lui. Il nous voit comme inférieurs, il sait qu'Arthos a agi pour la paix mais surtout qu'il a agi en faible.
Sur les visages, il lisait la crainte, la douleur, la rage. Ces hommes et ces femmes qu'il haranguait étaient tous animés par cette même haine envers les vatners, cette même colère dirigée vers le seigneur qu'il les avait tous trahis. Isendre fronça les sourcils, ses mains se crispèrent un peu plus tandis que de nouvelles exclamations, enragées cette fois-ci, s'échappaient de la foule.
— Vous tous ici avez dû perdre quelqu'un à cause de ces maudits vatners. Un père, une mère, une épouse, un fils, un frère. Qui avez-vous perdu à cause d'eux ? Qui ont-ils tué, ou enlevé, ou estropié ? De votre entourage, qui n'est plus à cause d'eux ? Ceux dont Arthos a voulu faire des alliés, devenant leur chien par cet accord ? Ceux dont il est devenu l'esclave en courbant l'échine, en leur offrant son plus grand trésor ? Dîtes-moi qui il vous a pris !, cria-t-il soudain.
Et tous rugirent – citoyens, pauvres fermiers, pêcheurs, marins, hommes d'armes. Tous ceux présents dans l'auberge hurlèrent pour lui, lui signifiant qu'ils étaient avec lui. Isendre, campé sur ses pieds, les observait avec hargne.
– Si vous aussi refusez de ployer le genou face aux vatners, si vous aussi cette simple idée vous est à vomir, alors vous êtes avec moi. Vous êtes alors de véritables fils et filles de Talen, de véritables hommes de Nokrov, et qu'importent les dangers, qu'importent les souffrances que vous aurez à endurer, jamais vous n'abandonnerez cette terre, ni votre honneur. Car nous, fils et filles de Talen, préférons la guerre à la soumission ! Fils de Talen, levez-vous ! Filles de Talen, levez-vous !, hurla-t-il alors.
Les rugissements se firent lions dans la tanière des griffons, et ceux qui portaient une arme la levèrent. Isendre, qui avait marché d'un bout à l'autre de la table en haranguant ceux qu'il ferait troupe vers les guerres à venir, agita haut ses bras en balayant la foule du regard.
— Je partirai dès ce soir sur un navire. Et seul ou avec vous, je voguerai vers les îles Vatner pour tirer ma sœur de leurs griffes. Un véritable Adiant n'est pas esclave des zuhyres, et je refuse de la laisser à la merci de ces barbares. Alors je veux que vous me répondiez : serai-je seul à voguer ce soir vers nos ennemis, ou serez-vous avec moi ?
De nombreuses personnes promirent, dans les hurlements qu'ils poussaient, de le suivre jusqu'aux îles. Il descendit alors de la table, la foule se pressant autour de lui pour l'acclamer pour son discours. Les gens de Talen étaient connus pour leur férocité, il suffisait d'une étincelle suffisamment puissante pour laisser leur rage intérieure éclater au grand jour dans un océan de flammes. Il serra plusieurs mains, en tapa d'autres, secoua plusieurs épaules, entraînant avec lui une petite vingtaine d'hommes solides vers le port.
Isendre marchait en tête, suivi de près par Daena et Synsivik. Celui-ci pressa le pas pour le rejoindre, lui lançant un regard de biais.
— Ce n'est pas pour cela que Lux m'envoie à ta sœur.
— Peu importe. Ta guerre n'est pas la mienne, siffla le bâtard.
— Ce n'est pas ce que veulent les Sides.
Le fils d'Arthos fronça les sourcils, agacé. À l'évidence, l'Élu de la lumière n'agissait que pour ses intérêts – mais ceux d'Isendre étaient tout autres. Lui voulait la libération de sa sœur, la guerre contre leurs ennemis de toujours et, cette fois-ci, la victoire. Et si la destruction en était la clé, il n'hésiterait pas un instant.
— Ce n'est pas mon problème. Les vatners sont mon problème.
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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)
FantasySur les terres de Nokrov, la noirceur a tôt fait de dévorer l'âme de chacun. Le peuple ravagé par une famine presque permanente voit les grands du monde se gaver lors de fastueux banquets, les hommes des îles Vatner sont en conflit perpétuel, les fo...