Chapitre 6.1, les rêves d'une princesse

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NOVA


L'air frais du début de soirée s'infiltrait entre les longues boucles blondes de Nova, qui tenait un livre entre ses mains. Ses yeux noisette dévoraient chaque mot, appréciant tant le calme des jardins que l'histoire qu'elle lisait. Cette fois-ci, elle ne s'était pas cantonnée au patio royal, qu'elle aimait pourtant plus que n'importe quel lieu en ce monde, allant se perdre au détour des longs corridors que formaient les haies parfaitement taillées des jardins. Puis trouvant une fontaine auprès de laquelle se trouvait un banc, la princesse avait pensé l'endroit parfait pour se perdre dans ses rêveries et sa lecture.


Dans le petit peuple, il se disait qu'il n'était nul endroit plus parfait que les jardins du palais royal. Et aux yeux de la douce Nova, c'était là une vérité que nul n'aurait su démentir. Les oiseaux y vivaient paisiblement, chantant du matin au soir, volant gaiement par-dessus les allées et profitant des arbres que l'on pouvait y trouver. Elle se plaisait à admirer ce spectacle, rêvant parfois d'être un oiseau pour pouvoir voler elle aussi. Déployer ses ailes, quitter le nid, être à l'abri de tous les dangers du monde dans le ciel si pur et trop haut pour être touché... C'était là le rêve qui la berçait souvent, la nuit. Malgré son anxiété due à sa condition et sa timidité, Nova avait le sommeil paisible, ne se souciant nullement des maux du monde. Trop naïve, trop innocente pour simplement se rendre compte du peuple qui grondait au bas des grandes tours du palais, hurlant combien il avait faim, combien il était pauvre et malmené. Elle qui jamais n'était sortie de sa cage dorée n'avait jamais vu la misère dont souffrait le monde. Elle ne croyait qu'en sa propre richesse, à elle, l'héritière de la Couronne aux épaules trop frêles.


Des bruits dans les fourrées l'inquiétèrent. Les yeux noisette de la princesse se tournèrent vers le son, ses sourcils se fronçant légèrement. Puis apparurent les parures blanches, les voiles transparents, et elle se tendit un peu plus. Nova déglutit, posant son livre sur ses genoux en voyant approcher Sibille. Celle-ci posa un regard doux sur elle et s'avança un peu plus avant d'effectuer une révérence parfaite.


— Votre Altesse, dit-elle.


Son sourire était à la fois aussi réconfortant que la caresse d'une mère, mais également froid comme la glace. Il courait tant de rumeurs concernant les Carmines, des rumeurs que nul n'aurait su confirmer... Mais l'on disait leurs mœurs différentes, leur éducation bien plus rigide. Ils ne souriaient jamais avec franchise, ne se fendaient jamais de grands rires. Sibille semblait en être la preuve vivante. Nova frémit avant de répondre d'une petite voix.


— Lady Sibille.


Elle ouvrit la bouche pour ajouter autre chose, mais rien ne lui vint. Pas même une banalité, il ne lui venait rien que sa timidité n'étouffe pas aussitôt. La princesse préféra donc se taire. Pourtant, elle vit sa dame de compagnie incliner légèrement la tête sur le côté, s'approchant d'elle d'une démarche gracieuse. Nova l'observa avec curiosité, tant étonnée par l'impression de légèreté presque aérienne que dégageait la native des Carmines que par sa tenue. Elle portait encore le voile couvrant ses cheveux, les perles encadrant son visage fin.


— Quelle journée magnifique, n'est-ce pas ?
— Oui, oui, balbutia Nova.


Elle se replongea aussitôt dans le silence, ses doigts jouant nerveusement avec les pages de son livre. Du coin de l'œil, elle put apercevoir le regard de Sibille qui s'était posé sur le volume qu'elle tenait. Elle se sentit aussitôt honteuse ; elle, l'héritière du trône, jeune femme de quatorze ans, ne lisait que des contes pour enfant. Quelle idiote.


— Vous aimez lire ?


La voix douce de Sibille la fit frémir une fois de plus, et Nova hocha la tête pour seule réponse. Sa dame de compagnie vint s'asseoir à ses côtés, soupirant d'aise tandis qu'elle fermait ses yeux clairs pour apprécier le vent flattant son visage. La princesse observa l'apaisement qui marquait le visage de la dame, songeant qu'avec sa beauté, sa noblesse, son assurance, elle, était femme faite ; et à côté d'elle, Nova n'était qu'une gamine. Se sentant probablement observée, la dame aux yeux de givre tourna pleinement son visage vers elle.


— Que lisiez-vous ? Je vous ai dérangée, peut-être ?


Le sourire disparut du visage de Sibille pour n'afficher qu'une mine soucieuse, et Nova agita lentement la tête.


— Vous ne me dérangez point, Sibille. Quant à ce que je lisais...


Profondément embarrassée, elle rougit légèrement. Sa mère avait tenté par tous les moyens de la faire s'intéresser à l'histoire, ou même la culture, mais la princesse n'avait jamais aimé que les contes. Elle aussi rêvait d'épouser un charmant chevalier qu'elle aimerait au-delà de tout. Mais maintenant qu'elle se trouvait devant une femme accomplie, aussi intimidante, elle se sentait simplement stupide. Mais comme tâchant de la rassurer, Sibille laissa son sourire bienveillant reprendre place sur son visage. La chaleur qui avait gagné les joues de Nova sembla s'apaiser, et la rougeur se dissipa tandis qu'elle se laissait happer par l'expression apaisante de la dame des Carmines.


— Tous les livres sont bons à lire, souffla Sibille.
— Je suis rassurée que vous me disiez cela, répondit Nova avec franchise. Je lisais un conte. Je sais que cela peut paraître ridicule.


Elle laissa échapper un rire gêné, moqueuse envers elle-même, puis sentit une certaine chaleur s'emparer de sa main. Elle la regarda, voyant les doigts fins de la dame s'y poser avec légèreté dans un geste amical.


— C'est juste que... j'aime rêver, reprit-elle aussitôt.
— Vous n'êtes pas ridicule. Beaucoup de gens oublient de rêver, mais c'est là la source même de la vie. Tant que le rêve subsiste dans votre esprit, alors vous êtes en vie, et vous avez une raison de le rester. Vous comprenez ?


Les grands yeux innocents de Nova se posèrent avec curiosité sur Sibille. Elle aussi, femme accomplie, rêvait ? Et elle était si douce, si encourageante. La princesse sourit, presque soulagée de savoir que rêver n'était ni un interdit, ni une faiblesse.

— Quel est votre rêve, Votre Altesse ?


L'intéressée baissa légèrement les yeux, réfléchissant. Mais ses prunelles se posèrent sur le livre, et tout lui apparut comme une évidence. Elle releva un regard assuré, luisant d'espoir, vers sa dame de compagnie.


— Vivre d'amour, ma dame. Je veux me marier par amour, donner des enfants par amour.
— C'est un très beau rêve. Je suis certaine qu'il se réalisera. Vous semblez avoir un cœur immense, et l'on m'a vanté tant votre beauté que votre bonté d'âme.


Nova sourit plus faiblement, ses joues s'empourprant encore une fois. Pas qu'elle n'apprécie pas les compliments, mais ceux-ci la gênaient. Elle avait si peu confiance en elle. Parfois lui venait l'idée de ce que serait son règne, à elle, pauvre enfant innocente. Que ferait-elle de ce monde ? Elle ne voulait que son bien mais cela ne suffisait pas toujours. Son père tentait de lutter contre le mal et d'apporter la lumière des Sides sur Nokrov, mais cela n'empêchait pas les meurtres de se produire, de plus en plus, au cœur même de leur cité. Son visage s'assombrit quelque peu à cette pensée et, décidant de la chasser, elle se tourna vers Sibille.


— Et vous, Sibille ? Quel est ce rêve qui vous fait vivre ?
— Mon rêve...

[...] 

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant