Chapitre 8.2, la menace

150 39 3
                                    

[...]

 — Une bière !, réclama-t-il aussitôt.

L'aubergiste s'exécuta sans poser de questions, posant une chope remplie à ras bord devant Hvitur dans l'instant. Celui-ci arqua les sourcils, un sourire appréciateur coulant sur ses lèvres.

— Hé bah ! C'est qu'elles sont bien remplies vos chopes !

Il laissa échapper un rire gras avant de vider le godet d'une seule lampée. Le goût amer contre sa langue, son haleine enfin gorgée de cet alcool qui lui avait tant manqué, l'îlien soupira bruyamment, trop heureux d'enfin retrouver son péché mignon. Il n'était rien en ce foutu monde qu'il aime plus que la bière. Ou peut-être aimait-il plus les femmes. Ou les siestes. Ou la bonne bouffe... Il aimait tant de choses, au final. Hvitur était, à l'image de tout vatner se respectant un tant soit peu, un bon vivant.

Il adressa un sourire moins grossier au patron, qui sembla se détendre un peu face à cette expression plus bienveillante.

— J'vous en prendrai une autre !

Bien qu'ayant quelque peu baissé sa garde, le tavernier obéit instantanément, comme craignant de réveiller en son bien inhabituel client une quelconque colère destructrice. Hvitur ne put s'empêcher de ricaner en réalisant quel effet il avait sur les gens. Tous le craignaient par nature, simplement parce qu'il ressemblait encore à un homme des îles. Tous le voyaient comme un prédateur, un barbare, alors même qu'il avait abandonné tout cela, jusqu'à son nom, pour préférer la foi à sa vie de pillard sanguinaire. Il avait préféré suivre sa propre voie, s'affranchir de la folie barbare des vatners, fuir ce qu'on attendait de lui... Il n'était pas un homme de mal et le savait bien. Les Sides lui avaient pardonné ses péchés, il en était certain.

— Z'êtes loin de chez vous...

Hvitur leva un regard amusé vers l'aubergiste, arquant un sourcil.

— Ah ! Vous avez une langue !

— 'Faut pas vous vexer, m'sieur. Les gars des îles, z'ont pas très bonne réputation vous savez.

— Oh, ça, je le sais bien, répondit le barbu dans un rire franc.

Il but une gorgée de bière, ravi de son goût. Sa satisfaction apparut certainement sur son visage, puisque le patron tenta de se faire plus vendeur

— Elle vous plaît ? J'la brasse moi-même.

— C'est meilleur qu'la pisse qu'on boit dans les îles. Mais je suis pas venu là pour parler de bière. Je suis venu pour en boire, et pour savoir où j'suis.

Le tavernier parut surpris, fronçant légèrement les sourcils puis les haussant l'instant d'après. Son regard se fit interrogateur, et Hvitur profita d'une dernière lampée de bière avant de poser la chope à moitié vide sur le comptoir, se penchant légèrement sur celui-ci.

— On est dans quel coin de Nokrov, là ?, demanda-t-il sérieusement.

— Dans les Monts Siar, m'sieur. A l'ouest.

— Oh bordel.

Hvitur commença à grommeler quelques insultes fleuries, tout droit venues des îles, incompréhensibles pour le patron de la taverne, qui arqua les sourcils. Le vatner se reprit, finissant sa bière d'une traite avant de pousser la chope vers l'aubergiste. Celui-ci resservit le barbu, son regard se faisant toujours curieux.

— Z'êtes pas v'nu d'votre plein gré ?

L'îlien se contenta de bougonner. Il plongea ses lèvres dans sa bière, se réconfortant comme il le pouvait. Il leva finalement un regard las vers le patron.

— Vous êtes bien tranquilles vous, au pied d'votre montagne, hein ?

— On y vit bien. On s'fait pas emmerder par les seigneurs parce qu'y sont trop loin.

Le patron se fendit d'un léger rire, dans lequel Hvitur le suivit. Mais l'îlien, après une autre gorgée de bière, reprit d'un ton curieux.

— Et les tarés d'la montagne, ils vous font pas chier ?

— Les... Les fanatiques ?

Le sourire de l'aubergiste avait subitement disparu pour faire place à une mine soucieuse. Il semblait réellement inquiet, comme si le soleil venait de disparaître derrière un rideau noir, comme s'il s'était simplement éteint et que seule la terreur subsistait en ce monde. Hvitur arqua un sourcil.

— Ouais, ces connards-là.

— Vous... les avez vus ?

— J'ai vu un taré troncher un cadavre. C'est franchement dégueulasse.

Comme si c'était là quelque chose de normal à raconter, Hvitur roula des yeux, lassé par ces histoires de fanatisme religieux. Il ne comprenait pas grand-chose à la situation. Pourquoi ces infidèles inquiétaient tant l'aubergiste, alors même qu'il se trouvait dans un petit coin de paradis à plus d'un jour de marche d'eux ? Et pourquoi, et comment, avait-il fini dans leur caverne, d'ailleurs ? Il n'avait toujours aucun souvenir des jours précédant son évasion. Puisque le patron semblait ailleurs, les yeux gorgés de sang et de peur, les mains tremblotantes, le barbu brisa le silence, s'expliquant un peu plus en profondeur.

— J'me suis réveillé pendu par les pieds, la tête en bas dans une putain d'caverne, j'ai réussi à m'casser après avoir buté ce connard. Ça arrive souvent dans la région, ça ?

Disant cela, Hvitur éclata d'un grand rire avant de terminer sa chope. Il la poussa vers le patron, avant de réaliser que celui-ci s'était crispé. Ses doigts étaient tout recroquevillés, les jointures blanchies, ses yeux rendus fous par une évidente peur, ses lèvres tremblantes.

— Ça va pas, mon vieux ?

L'aubergiste, dont le regard terrorisé s'était perdu dans le vide, reposa ses yeux sur Hvitur. Il paraissait totalement dépassé par les événements. L'îlien pouvait entendre ses dents claquer, il voyait aux mouvements de son corps que sa respiration s'était accélérée. Finalement, le patron reprit la parole d'une voix tremblante.

— Vous l'avez tué... Vous allez provoquer sa fureur. Vous devez partir.

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant