Chapitre 27.1, L'œuf volé

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NEVENOE

Les Seascannes étaient bien trop calmes depuis que le Baron avait assit son autorité sur la région. En deux semaines de marche, Nevenoe n'avait croisé que des champs de cadavres et des étendues désertiques où seule la mort s'était faite une place. Les arbres, solitaires, charriaient des pendus en décoration, balancés par le vent frais. Un soupir s'échappa de la poitrine de la rousse alors que ses yeux suivaient une bataille effrénée entre des corbeaux pour la domination d'un cadavre. Le pauvre hère ne ressemblait déjà plus vraiment à un humain, depuis trop longtemps offert aux caprices des intempéries.

Nevenoe s'arrêta, pour soulager sa vessie et boire une gorgée d'eau. Ses reserves s'amenuisaient à vue d'oeil et elle allait devoir s'offrir le luxe d'un détour par un village si elle voulait pouvoir continuer sa route jusqu'aux Sliabh Fionn et leurs étendues enneigées. Les montagnes semblaient ne jamais accepter qu'elle se rapproche, toujours plus hautes et plus lointaines. Elle en percevait pourtant enfin les sommets et les contours, voyant les animaux qui pesaient tranquillement, tâches encore plus claires se détachant de la roche.

Un village s'était logé à leurs pieds. Il ne dénotait en rien de ceux que Nevenoe avait connu alors qu'elle vivait encore avec les hommes, vaste amas des moutons ayant choisi de vivre ensemble plutôt que d'affronter seuls les dangers de Nokrov. Une route serpentait jusqu'aux barricades et, tout autour, des paysans travaillaient dans leurs champs. Le dernier rempart avant la fin du monde. Derrière la ville, la route n'était plus qu'un amas de caillou sans vraiment de formes qui s'enfonçait dans les montagnes, certainement empruntée deux fois dans l'an par les éleveurs qui allaient chercher leur bêtes.

L'agitation accrocha les oreilles sensibles de la chasseuse dès qu'elle s'approchait. Le village, plus grand que ce qu'elle aurait pensé aux premiers abords, croisait de vie. Des gardes lui adressèrent un regard mauvais alors qu'elle remontait la route, sa cicatrice attirant leurs yeux, trace macabre de son passé. Elle ne daigna pas même les fixer, passant devant eux comme s'ils n'étaient que de simples statues. Sitôt la porte passée, elle fut accueillie par un marché gigantesque, par les cris des maraichers, les odeurs des légumes qui peinaient à éteindre celles du fromage et le fumet de la viande rôtie. Son ventre gronda violement, le parfum de la nourriture lui rappelant qu'elle n'avait rien avalé depuis la veille. Pesant sa bourse trop vite, Nevenoe s'approcha d'un étal de fruit sec. Avec le retour de l'été, les marchés n'avaient jamais été aussi coloré.

Elle n'eut pas le temps de payer que des cris de joie et d'effrois lui firent froncer les sourcils. Tous les regards se portèrent sur un homme offrant son spectacle sur la place, jurant milles merveilles. Il bondissait, un sourire contagieux visé aux lèvres et offrait aux enfants des rêves et un peu de magie. Ses cheveux rouge et orange, teins elle en savait comment, étaient dressés sur sa tête en de multiple pics extravagants.  La finesse de sa musculature le définissait comme un saltimbanque, de ces agitateurs de foules que le peuple adorait. Derrière lui, comme une ombre, un homme au visage sombre se curait les ongles avec une dague. Se fût lui qui attira l'attention de Nevenoe, l'éloignant de l'étal. Il avait tout d'un chasseur, de sa posture à sa tenue, plaque de cuir sombre entremêlées avec une simplicité qu'elle n'avait que rarement vu. Son regard se releva et, alors qu'il voyait la rouquine s'approcher, un large sourire étira ses lèvres.

L'autre ne lui laissa pas le temps de faire le moindre geste, jetant dans les airs une poudre qui s'enflamma, arrachant des cris d'excitation aux enfants. Il se pencha un avant, au plus près d'eux et sa voix tonna, bien plus grave que ce qu'aurait pu croire la chasseuse.

—Laissez votre serviteur Fall vous conter la légende de Neoïr.
C'était un homme comme vous et moi. Un bon gars qui bossait pour son oncle dans une ferme pas loin d'ici. Il était travailleur et prêt à tout pour ceux qui l'avaient recueilli à la mort de ses parents. Un jour, son oncle lui demanda de partir rejoindre la belle Gwenaëlle qui s'occupait des moutons du pâturage et de l'aider à les descendre des montagnes. Le brave Neoïr, au cœur tendre, était amoureux de la bergère et il ne lui en fallu pas plus pour aller la retrouver, espérant gagner son affection en l'aidant.
Hélas, les troupes du Baron avaient déjà fondu sur les seascannes et étaient déjà avides de chair. Comme des oiseaux de proie, leurs serres s'étaient enfoncées dans les cœur et Gwenaëlle, la douce Gwenaëlle gisait là, abandonnée de tous. Ne restaient que les traces des sabots et des morceaux de sa robe, accrochés aux arbres. La douleur de Neoïr fut terrible. Puis sa colère. Il jura de se venger. Le paysan ne savait pourtant pas manier les armes mais il avait toujours joué de la fourche. Un homme ne serait certainement pas vraiment différent d'une patate.
Voilà notre brave Neoïr parti, guidé par sa colère. Il marcha des jours durant, il gravit les plus hautes montagnes et traversa les plus dangereux précipices. Il voulait se rendre jusqu'à Mór Longfoirt et tuer de ses propres mains Eitil. La rage l'aveuglait et pourtant, après 9 jours à abîmer ses sandales, il tomba sur quelque chose qui lui offrirait, c'était certain, la victoire.

Le conteur, devant les yeux captivés des enfants, envoya une nouvelle gerbe de feu dans les airs, craché de ses propres lèvres.Des exclamations le suivirent alors qu'il s'approchait de sa caravane. Le chasseur, accoudé à cette dernière s'approcha, ses yeux noirs brûlants d'une flamme que Nevenoe avait déjà vu dans d'autre lieu. Ensemble, les deux soulevèrent un pan de tissu et dévoilèrent une cage.

[...]

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant