Chapitre 10.2, la lumière de Lux

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Les flammes dansaient lascivement au cœur du brasero, leur reflet chatoyant caressant les yeux clairs du jeune homme qui ne parvenait à éloigner son regard de la source de chaleur. Ses mains jointes en prière devant lui, agenouillé comme toujours face au feu ardent de sa maîtresse, Synsivik sentait ses lèvres rendues sèches par l'ardeur. Il avait tout offert à Lux, de son corps à son âme, en passant par son cœur. Sa vie était sienne, et jamais il n'aimerait quelqu'un d'autre que sa déesse. Des Sides, elle était la plus bonne, la plus douce. Le cœur de Lux n'était que pureté, et c'était sans honte aucune que le jeune homme clamait son amour pour elle. Tel un amant éperdu, il espérait qu'elle lui parle un jour, qu'elle lui offre son palpitant comme lui l'avait fait avec le sien, qu'elle saurait lui donner amour et bonheur.

De ce monde, Synsivik n'avait jamais attendu que l'amour de sa déesse. Il la voyait comme une mère que l'on chérit, une sœur que l'on défend, une épouse que l'on aime, une fille que l'on protège. De toutes les femmes de Nokrov, Lux était la seule à ne pas avoir l'âme empoisonnée, l'esprit ravagée par une quelconque folie. Elle était tout, absolument tout. Et c'était avec entrain qu'il la priait, lui qui n'était jamais las de l'aimer.

Même sa mère n'avait pas droit à un tel respect, elle qu'il n'avait jamais connu. Synsivik était parfois soulagé de ne pas avoir eu à la connaître, car aimer une femme n'était que poison. Son cœur devait rester pur, sa virginité intacte, et l'Élu de Lux ne pouvait se salir de tous les péchés qu'avait à offrir le monde. Celle dont il n'avait aucun souvenir, orphelin bien chanceux qu'il était, était une femme du peuple. L'Aîné lui avait parlé d'une putain, une impure, une femme du mal que les autres Sides avaient dû pervertir. Elle était, selon lui, morte en couches, et Synsivik s'était donc dit qu'elle l'avait mérité. Sa génitrice avait simplement payé pour ses trop nombreux péchés et, dans son dernier soupir, elle avait au moins laissé une bonne chose derrière elle : un fils élu de la seule véritable déesse, un enfant du bien qui ramènerait la lumière de Lux sur Nokrov.

Si la mère de Synsivik était une pécheresse et une catin, sans doute brûlait-elle aux Tréfonds. Mais peut-être trouvait-elle un quelconque soulagement dans le destin illuminé de son fils. Peut-être cela adoucissait-il sa sentence éternelle. En réalité, Synsivik se fichait bien d'elle et de son sort.

La grande prière du soir était silencieuse, hommage muet à leur bienfaitrice. Les frères se réunissaient, chaque jour, au coucher du soleil dans le cloître du Temple Supérieur. C'était là que le soleil frappait, qu'ils étaient au plus proche de la lumière divine ; et qu'il vente, qu'il pleuve, peu importait : ceux qui étaient admis ici apprenaient à ne point trembler ni faiblir, et choir encore moins. Lux les aimait, elle les aimait tous, les soutenait, et quiconque chutait était considéré comme indigne d'elle. Sous le vent frais du soir, alors que la flamme au cœur du brasero frémissait, Synsivik ne tremblait pas. Ses yeux ouverts allaient d'un frère à l'autre, les observant avec curiosité. La plupart d'entre eux se crispaient pour s'interdire de frissonner sous la fraîcheur, alors que l'Aîné et lui paraissaient bien plus forts, le corps détendu, obéissant à leur volonté de fer.

De tous, il avait toujours été le plus doué. Synsivik n'était pas béni de la lumière bienveillante pour rien ; il avait été soigneusement choisi.

Lorsque les rayons du soleil s'éteignirent, le vent se fit un peu plus fort. Le silence de la prière collective persista quelques minutes encore, seulement percé du craquement léger du bois dans le feu, des flammes qui s'élevaient, quoi qu'affaiblies par le temps et la bise. Lorsque l'Aîné ouvrit les yeux, quittant son état de transe, il posa un regard suspicieux sur Synsivik, lequel avait les yeux bien ouverts. Aussitôt, l'Élu sentit son cœur se compresser sous une légère culpabilité. Il n'avait point voulu décevoir son mentor, ni même sa déesse, mais un étrange sentiment l'habitait. Il se sentait ailleurs, comme si son esprit refusait de se concentrer, allant s'égarer vers mille pensées qui n'étaient pas en phase avec la prière du crépuscule. Il ne devait penser qu'à Lux, mais ses pensées s'étaient dirigées vers sa mère, vers le monde dont il ne savait rien. Il avait aussi pensé à son amour pour sa déesse, mais ce n'était pas suffisant. Il aurait dû songer à sa lumière, à sa mission divine. Les yeux s'ouvrirent sur l'ordre de l'Aîné, et les frères se saluèrent d'une inclinaison de la tête avant de se diriger vers les dortoirs.

Sans attendre que son mentor ne l'appelle, Synsivik se dirigea naturellement vers lui, la tête basse, peu fier de son attitude indigne d'un Élu. Il fut accueilli par la mine sévère du vieillard, qui l'invita d'un geste de la tête à lui emboîter le pas.

— Maître, je suis navré, dit-il doucement.

Seul le silence lui répondit, toujours accompagné du crépitement du feu derrière lui tandis qu'il s'éloignait du brasero et du centre du cloître, entrant dans l'enceinte du bâtiment. Dans les froids corridors, le vent s'insinuait encore. Il suivit son maître en silence, espérant une réponse de sa part. Tous deux arrivèrent près de leurs chambres respectives, et l'Aîné ouvrit la porte, commençant à entrer dans la pièce qui lui était réservée. Il s'arrêta finalement, ne se tournant même pas vers Synsivik pour lui glisser quelques mots.

— N'oublie pas ta quête, mon garçon. Lux a de nombreux projets pour toi.

Synsivik fronça les sourcils tandis que son maître disparaissait derrière la porte. Le vent vint soulever ses boucles cendrées, et il agita lentement la tête avant d'entrer dans sa chambre, observant celle-ci avec désintérêt. Il disposait de la pièce la plus luxueuse du Temple Supérieur, et pourtant elle était loin d'être noble. Les murs étaient blancs et vierges, tout ce que lui devait être et rester, tandis qu'au plafond, une grande fresque avait été peinte, représentant la victoire de Lux sur sa Soeur suite à l'Ère Sanglante.

Détournant le regard de la fresque aux couleurs pâles, Synsivik rejoignit son lit et s'y allongea. Sa couche n'était rien de plus qu'un sommier de pierre, recouvert d'une épaisse couverture rembourrée d'un mélange de paille et de laine. Au départ, y dormir avait été douloureux, mais le temps avait fait son affaire, et le jeune homme s'était habitué. Oubliant la déception qu'il avait lu dans le regard de l'Aîné, murmurant à Lux de le pardonner, il ferma les yeux, sombrant aussitôt dans le sommeil.

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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant