Elle se décala légèrement de l'arbre contre lequel elle s'appuyait, sa frimousse teintée d'inquiétude.
—Sortez de votre cachette Lady Adiant, ordonna une voix qu'elle ne connaissait que trop bien.
—Je voulais pas vous faire de mal Ser Géis ...
—Vous ne l'avez pas fait, répliqua-t-il. Votre mère vous attend et je vous prierais de me suivre sans faire d'esclandre cette fois. Je ne voudrais pas encore vous courir après pendant des heures sur le port.
Un soupir s'échappa des lèvres de la noble alors qu'elle s'éloignait de son arbre. Elle aurait pu en rire, se souvenant des heures pendant lesquelles elle le rendait fou, s'amusant à jouer à cache-cache. Lui hurlait, tempêtait et tonnait mais elle n'en avait que faire, riant de ses déboires sur les fientes de mouettes.
Son ton ne laissait pourtant aucune échappatoire. Le chevalier, garde de la maison Adiant à ses heures perdues, se tenait droit, une main autoritairement posée sur sa hanche. Il avait abandonné son habituelle armure pour ne garder qu'un plastron de cuir bâtard et sa lourde épée. Sans son casque, sa tête semblait toute petite, posée sur ses trop largues épaules. L'homme n'était pas beau avec son nez cassé par une vie de bataille.
Alyssa se faisait normalement un plaisir de le faire sortir de ses gongs. Il ne semblait pourtant aujourd'hui pas d'humeur à accepter l'amusement de la demoiselle. Elle, qui allait exploser de rire en voyant la blessure qui gonflait déjà sur son front, retient ses éclats en voyant ses yeux glacés.
Une moue marqua son visage et elle croisa les bras en le fixant avec orgueil, sachant qu'il se considérerait toujours comme son inférieur par leur différence de rang. L'humeur d'Alyssa était aussi changeante que la couleur de ses yeux et, si elle se montrait pleine de vie avec le peuple, elle détestait tous les nobliaux qui l'entouraient, tentant de passer un mord entre ses dents.
—Allons-y, elle va encore hurler si je ne reviens pas, grommela-t-elle alors que son garde du corps se mettait déjà en chemin.
Elle ne lui adressa pas un mot de plus, se murant dans son silence, retournant à ses recherches mentales de taverniers. Combien accepteraient de mentir pour elle ? La noble devrait sûrement faire appel à quelques gardes accoutumés des longues nuits d'alcoolismes pour trouver la perle rare. Peut-être qu'avec quelques pièces d'or et la promesse d'une soirée gratuite...
Ils remontèrent l'allée des Griffons alors que la demoiselle était toujours perdue dans ses pensées. Elle avait foulé cette terre bien trop de fois pour encore s'extasier devant la beauté des statues, devant les jardins trop bien taillés. Seule l'aire d'entraînement arrivait encore à attirer son attention. Le claquement des armes, le chant de l'acier et les grognements des hommes avaient quelque chose de bien plus naturels que les allées parfaitement entretenues. Ceux qui foulaient pour la première fois les terres de Port-Mauer se pâmaient toujours d'admiration pour les fleurs qui grandissaient sous les soins quotidiens des jardiniers et pour les murs de pierres blanches qui démarquaient l'entrée du palais des Adiant. Elle se contentait d'aimer l'histoire qui s'entourait autour des pierres de l'endroit où elle était née.
Le château avait été construit pour la défense puis agrandit et embellie au fil des siècles. Ne restait de son passé que la tour centrale, aux murs plus épais et aux fenêtres trop petites pour laisser passer la moindre lumière. Le reste n'était que fioriture. Le passé guerrier des Adiant avait disparu sous l'argent et le lierre qui avait depuis longtemps envahit les murs. Les femmes trouvaient ça "joli". Et les hommes avaient accepter ce qui fragilisait leur muraille. Alyssa soupira devant les roses et les odeurs fleurit qui entouraient les patios. La beauté ne la touchait plus depuis le temps.
Ils passèrent par les cuisines, attenantes aux écuries. La noble aurait aimé monter sur l'un des animaux et s'enfuir, sans laisser le temps au garde de l'attraper. Mais s'aurait été idiot et peu efficace. Le chevalier était bien meilleur cavalier qu'elle et avait surtout des réflexes taillés par des années d'entraînement. Passant prêt d'une table, Alyssa chaparda un gâteau préparé pour les invités qu'ils recevraient le soir même, sous le regard désapprobateur d'une cuisinière. Elle lui adressa son sourire le plus faux, habituée à toujours être protégée par la cheffe des cuisines et enfin, ils pénétrèrent dans le coeur du château, abandonnant l'hyperactivité des pauvres gens pour le silence de la noblesse. La jeune fille eut beau supplier son accompagnateur, il ne la laissa pas s'échapper et s'éclipsa devant la lourde porte de la salle d'audience, la laissant seule face à son destin.
Ses parents l'attendaient et les yeux de sa mère se plissèrent alors qu'elle voyait la tenue de sa fille, crottée et bien trop garçonne. Alyssa mordit dans son gâteau une nouvelle fois, sans daigner demander ce qu'ils attendaient d'elle. De toute manière, comme ils l'auraient certainement dit : une demoiselle devait attendre d'être invitée à parler pour s'exprimer.
—Une fois de plus, tu te comportes comme un souillon Alyssa, jeta son père. Tu vas devoir cesser. Car ce soir, nous te présenterons ton nouvel époux. Et crois-moi ma fille. Les Noirsonges ne sont pas connue pour apprécier les sauvageonnes.
La mâchoire de la noble manqua se décrocher devant les mots jeté par son père, sans aucune préparation et aucun miel. Lui qui l'avait toujours couvé l'offrait aux loups.
Pire. Aux loups de mer.
—Pardon ? lança-t-elle, s'étouffant presque avec son gâteau devant la nouvelle. C'est hors de question. Je ne partirais pas chez les Valtners. Plutôt m'ouvrir les veines.
—Alyssa... tenta sa mère, ne récoltant qu'un regard glacé.
—Mon frère peut s'amuser à courir la cour à la recherche d'un jupon et moi je dois épouser un de ses barbares ?!
—Tu n'as pas ton mot à dire Alyssa. Tes frasques ont assez durée. Maintenant, va te préparer. Et que je ne revois pas avant ce soir. Propre et présentable.
—Mais ...
—Il suffit. Tu peux partir et n'essaye pas de t'enfuir. Je ne veux pas que tu nous déshonneurs... encore une fois.
Les mots étaient cruels, s'enfonçant dans le coeur frêle de la jeune fille. Ce même coeur qui battait à toute vitesse alors que ses yeux se remplissaient déjà de larmes. Ses rêves venaient de s'enfuir et sa vie de prendre un tournant qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. Sa famille l'offrait à des barbares des îles, à ses hommes dont la culture et la religion n'étaient que monstruosités. Ils descendaient de bandits et de truands, de meurtriers et de violeurs. Ses parents ne pouvaient pas faire ça !
Et pourtant, leurs regards étaient sans appels. Pas la plus petite touche d'empathie, pas la moindre douceur. Leur décision était prise. Des menottes venaient de s'enrouler autour de ses poignets sans qu'elle n'ait pu les voir venir.
Elle refusait ce mariage et ferait tout pour l'annuler ou elle ne s'appelait pas Alyssa Adiant. Elle se rêvait sur un bateau, certes. Mais en femme libre et en aventurière. Pas en catin d'une brute.
VOUS LISEZ
Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)
FantasiaSur les terres de Nokrov, la noirceur a tôt fait de dévorer l'âme de chacun. Le peuple ravagé par une famine presque permanente voit les grands du monde se gaver lors de fastueux banquets, les hommes des îles Vatner sont en conflit perpétuel, les fo...