Chapitre 37.1, Couronne-toi de ton courroux

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NOVA

La princesse quitta le conseil la tête haute et le dos droit, semblant essoufflée par l'effort. Des mots avaient été prononcés, terribles accusations à l'égard de son sang – on lui avait rappelé la faiblesse de Kreivis, son cher père qu'elle n'avait pas fini de pleurer. Ses conseillers, qui lui avaient pendant des années léché les bottes, l'avaient suivi aveuglément, dénonçaient aujourd'hui le Roi médiocre qu'il était. Et son héritière souffrait de ces accusations, elle avait souffert de sa propre faiblesse qui s'était imposée à elle – elle avait ouvert la bouche pour leur sommer de se taire, avait voulu les menacer de toute sa puissance de Reine.

Mais elle avait réalisé, alors, que la pire de ses craintes était devenue réalité : elle ne dirigeait en rien cette terre, cette cité, ce royaume. Elle n'était qu'un symbole, une tête couronnée qui servait uniquement à faire croire qu'elle régnait. Mais son propre conseil la gouvernait – c'étaient eux qui prenaient chaque décision, bloquaient les siennes. Les semaines qui étaient passées lui avaient prouvé qu'elle n'avait que trois alliés en son conseil : sa mère, dont on bloquait toutes les actions, Alessandre, qui en sa qualité d'ambassadeur n'avait que peu de pouvoir, et le commandant de la garde luxienne.

Mais Togos avait manqué à l'appel ce jour-ci. Et Nova avait dû se taire, elle avait dû écouter les insultes prononcées à l'égard de son père. La colère et le désespoir hurlaient en chœur en elle, et elle se savait impuissante. Elle était une Reine sans couronne ni pouvoir. Sans soutiens, aussi, car ses nouvelles fonctions, bien qu'encore officieuses, lui prenaient trop de temps pour qu'elle puisse en accorder à ceux qui étaient chers à son cœur.

Alors qu'elle filait vers ses appartements, le cœur lourd de trop nombreux maux, un homme qui lui avait emboîté le pas la héla. La princesse se retourna, découvrant le maître des ombres. Un homme effrayant à ses yeux encore enfantins, bien que la candeur s'en échappait lentement au fil des jours. Il restait un homme sans nom, sans visage, un mystère à lui tout seul.

— Votre Altesse, dit-il en inclinant à peine la tête. Je dois vous informer que le peuple gronde.
— Pourquoi donc ?

Les sourcils de la blonde se froncèrent, elle le somma de parler d'un regard sévère ; sous sa capuche, il lui sembla le voir sourire.

— L'Aîné est mort, et le peuple aime les Sides plus que tout. Et le trône est vacant depuis des semaines...
— Un nouvel Aîné sera bientôt désigné. Et je monterai sur le trône.

La princesse avait parlé d'un ton dur, comme interdisant à l'homme des ombres de ne pas répondre. Elle se détourna, prête à partir, mais à peine eût-elle fait deux pas que la voix sombre de l'homme résonna à nouveau dans les couloirs trop sombres du palais.

— C'est un problème aussi, pour le peuple. Vous êtes une femme.

Les poings de Nova se serrèrent, sa mâchoire se crispa. Comment osait-il ? Elle se retourna, le regard furieux.

— Ils s'adapteront.

A nouveau elle se détourna de lui, vexée par ses mots, par cet évident manque de respect. Ses doigts se lièrent, ses jointures blanchirent, et la colère monta à nouveau en elle. Elle ne pouvait se laisser faire ainsi ! Prenant son courage à deux mains, elle se retourna brusquement.

— Et que je ne vous entende...

Ses yeux se posèrent sur le vide des couloirs, sur sa propre solitude. Le maître des ombres, fidèle à lui-même, s'était évanoui dans la noirceur du soir. Ou peut-être était-ce une simple illusion ? Avait-elle imaginé sa présence, comme si les craintes de se voir peu respectée lors de son règne avaient pris le dessus sur sa raison ? De deux doigts, elle se pinça l'arête du nez et soupira. Peu importait, au final. Elle restait une Reine faible.

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant