Chapitre 13.2, le coeur des serpents

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La noirceur s'était emparée de son esprit et l'avait plongée dans un monde bien loin de celui des rêves où régnaient fées, lutins et braves chevaliers. Les cauchemars. Voilà bien longtemps qu'elle n'en avait plus fait, elle qui ne voyait que la douceur, que la lumière, que la beauté. Elle n'aimait pas l'ombre imposante des peurs sur sa couche, ni les histoires horrifiques avant de dormir. Le frisson ne la ravissait guère, tout ce qu'elle désirait était beauté, magie, fantaisie. Nova n'aimait pas avoir peur, elle ne connaissait pas l'excitation liée à l'angoisse. Elle ne souhaitait même pas la connaître. Tremblante dans son lit, le front baigné de sueur et les yeux injectés de sang, elle sécha ses larmes avant de s'extirper de sa couette pour s'asseoir.

La nuit s'était emparée du monde, Nox avait étendu son royaume. On lui avait appris qu'il ne fallait pas craindre la nuit, que celle-ci était tout aussi bienveillante que le jour. La lune de Nox n'était que complémentarité au soleil de Lux. Le jour, la nuit, le soleil, la lune, Lux, Nox, les Sides. C'était tout ce qui importait, l'essence du monde, sa bienveillance. Mais pourtant, le noir l'effrayait.

Mais son lit trempé de sa propre sueur, lui rappelant les cauchemars terribles qui l'avaient hanté ces dernières heures, n'était pas plus rassurant que la nuit. Elle décida de s'échapper de sa prison de coussins de plumes d'oie et de satin pour aller à travers les couloirs, d'un pas lent, comme si elle craignait que l'obscurité ne la dévore comme elle avait dévoré chaque âme vivante cette nuit-ci. L'ombre lui donnait l'impression que jamais plus la lumière reviendrait, arrachant chaque petite parcelle d'espoir luisant au fond de son cœur. La nuit, la joie n'était plus, elle se terrait et attendait le petit matin pour échapper aux créatures maléfiques de la pénombre.

C'est ainsi que Nova s'était toujours représenté la nuit, c'était ainsi qu'elle se la représenterait toujours.

La peur fit remonter une vieille histoire qu'une ancienne camériste lui raconta un jour, une vieille femme que le temps avait trop esquinté. En huit décennies de vie, âge exceptionnel pour une dame de la plèbe, elle avait connu la véritable angoisse et l'avait contée à la douce princesse. Cette histoire résonnait désormais à ses oreilles, la voix chevrotante étant comme un écho ténébreux dans les longs corridors sinueux, semblables à des boyaux, se répercutant contre les murs faiblement éclairés par quelques chandeliers. La nuit s'était emparée du château, et ses habitants savaient au fond d'eux que jamais la lumière ne reviendrait. Elle regarda, inquiète, la lune aux dimensions rendues menaçantes par son esprit d'enfant, par la première fenêtre qu'elle croisa. Ses sourcils se froncèrent quelque peu. Et les loups ont profité de l'angoisse de chacun, tournée vers la nuit éternelle, pour entrer dans la demeure des gens au bon cœur. Son estomac se noua, son souffle se fit court.

— Princesse Nova ?

Elle sursauta. Son souffle se fit court, sa bouche sèche, elle se mit à trembler de la tête aux pieds, et se retourna vivement. Ses yeux effarés affrontèrent la silhouette toute vêtue de blanc qui lui faisait face, se plissant pour tenter d'en découvrir l'identité. Mais la voix qui reprit la rassura tandis que l'ombre soudainement moins terrifiante s'approchait.

— Que faites-vous donc à cette heure-ci, à arpenter les couloirs ?

N'était-ce pas indigne d'une princesse d'aller se perdre dans les corridors une fois la nuit venue ? Peut-être bien... Sûrement, même. L'innocente demoiselle se mordit la lèvre, inquiétée par la question. Elle ne devrait pas être là. Et les loups dévorèrent chaque âme, et les dieux oubliés, ceux que l'on avait interdit et dont on n'avait plus jamais entendu parler, reprirent le royaume qui était leur. Elle frémit ; cette voix imposée à son esprit ne se tairait-elle donc jamais ?

— Sibille, souffla-t-elle. Je n'arrivais pas à dormir, je souhaitais donc prendre un peu l'air.

— L'obscurité vous effraie-t-elle, princesse ?

Nova grinça légèrement des dents, encore honteuse face à sa dame d'atour. Elle, ne craignait rien, affrontait les grands hommes en grande femme qu'elle était. La douce orchidée qu'était Nova, belle fleur mais sans pouvoir aucun, enviait les épines de la rose des Carmines. Elle hocha pourtant la tête, avouant une crainte de plus. Ses yeux noisette croisèrent ceux, taillés dans la glace, de sa dame d'atour.

— Je vais vous accompagner aux balcons, alors. Vous serez sous bonne garde. La lune vous rassurera.

Elle observa le sourire délicat que lui adressait la rose, si douce, si bienveillante. Acceptant la main que lui tendait Sibelle, elle s'en saisit, et toutes deux partirent pour les balcons. Alors qu'elles arrivaient sur l'un d'eux, le plus grand et celui faisant face directement à l'astre de la nuit, son cœur se calma dans sa poitrine. Elle inspira longuement et se laissa happer par la beauté de l'astre. Ses yeux caressèrent la lune, si blanche et si pure, et cela la rassura ; elle n'était pas plus imposante qu'à l'accoutumée, et elle semblait prête à s'évanouir dans la nuit... Et la nuit s'évanouirait à son tour, faisant place au jour.

— Votre Altesse. Souhaitez-vous que je dispose pour vous laisser profiter des balcons seule ?

Elle tressaillit et regarda l'homme qui avait parlé, capturant ses yeux et son cœur sans peine. Elle sourit légèrement en le voyant, lui qui était si beau, et dont la voix lui paraissait si rassurante. Elle ne l'avait pas vu, et pourtant, ne pas le remarquer était chose compliquée...

— Ser Alessandre, c'est toujours un plaisir de vous voir. Vous ne me dérangez nullement, restez donc.

Du coin de l'œil, elle capta le sourire bienveillant de Sibelle, son œillade appuyée. Oh, la fille des Carmines avait bien compris quels étaient ses sentiments, quelle flamme l'animait en la présence du griffon... Prenant son courage à deux mains, elle reprit.

— Peut-être même pourrons-nous même apprendre à nous connaître un peu...

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant