Chapitre 14.1, la maladie Iseal

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TOGOS

Des cris stridents sortirent Togos de son sommeil sans rêve. Il se redressa immédiatement, attrapant son épée d'un même geste et ne prit pas la peine de se vêtir plus qu'il sortait déjà en trompe de ses quartiers. Il n'avait jamais eu l'immense privilège d'être au plus près de la famille royale et on lui avait allouée une minuscule pièce proche de l'entrée et des cuisines. Celui qui avait été autrefois noble avait soulevé une narine de dégout mais aujourd'hui il comprenait toute la dimension stratégique de sa position.

En pantalon pour tout atour, il remonta un simple couloir avant de franchir la porte d'entrée du Palais. Il n'avait mis que quelques minutes à rejoindre la cour, juste assez pour qu'une foule de domestiques se soient déjà remis. Se redressant, affichant fièrement ce visage que tous ici connaissaient, il se fraya un passage, craignant déjà le pire.

Il n'aurait certainement pas, même au vu de toutes les horreurs qu'il avait rencontré pendant la guerre, pu imaginer ça. Le corps n'avait plus rien d'humain, transformé en une bouillie insipide ouverte en deux par son centre. On apercevait par endroit des restes de chair et sous la lumière rougeoyante de l'aube, le résultat n'en semblait que plus sanglant.  La tête de la victime, détachée pour être déposée sur le reste, voyait son front frappé de la marque que Togos avait déjà vu sur le vatner et les autres cadavres. C'était une femme cette fois, la première, et ses longs cheveux châtains poisseux de sang se perdaient dans ce qu'il restait de son corps. Ses yeux avaient été arraché, laissant derrière eux une énorme cavité vide qui fixait l'inconnu. Togos resta cois une seconde, une de trop.

Puis il reprit ses esprits, éloignant la vision d'horreur qui s'affichait devant son regard d'un reniflement rageur.

—     Dispersez-vous ! hurla-t-il

La foule ne semblait pas vouloir s'éloigner, ne prenant pas même la peine de l'écouter. Le spectacle morbide les tétanisant ou les fascinaient, le commandant n'aurait pu dire ce qu'il lisait dans les yeux tous résolument fixés sur le cadavre. Il releva son épée, son visage parlant pour lui alors que son regard glacé courrait sur les domestiques.

—     Ceux qui reconnaisse cette tête, je vous invite à me donner son identité. Les autres, cassez-vous avant que je ne vous face disparaitre pour de bon !

L'arrivé presque synchronisée du reste de la garde et de ses paroles firent disparaitre la foule comme une nuée d'oiseau dans laquelle aurait couru un enfant.  Ne resta sur place qu'un jeune homme dont les iris brillaient d'effroi. Sa bouche ouverte sur sa stupeur semblait capable de gober la cassie totalité des mouches de l'écurie royale. 

—     Nettoyez-moi ce merdier et filez la tête aux prêtres de Nox pour qu'ils lui trouvent une sépulture digne, ordonna le commandant à ses hommes. Je ne veux plus la moindre trace de ce charnier dans une demi-heure. Tius, tu viens avec moi.

Un gamin aux cheveux courts et aux gestes incertains sursauta à l'ordre avant de regarder autour de lui si le commandant ne s'était pas trompé en le hélant.  Le regard de Togos était pourtant sans appel. Il s'approcha à petit pas, les joues déjà rougies par l'attention que lui portait l'homme d'épée.  Levant les yeux au ciel, Togos s'avança jusqu'au domestique qui n'avait toujours pas bougé et qui fixait toujours la scène avec terreur. Il ne le connaissait pas. Ses cheveux blonds, aux frisottis courts, lui donnaient un air de tallenien mais il avait la peau trop claire pour avoir grandi dans les terres guerrières. Il semblait frêle et la paille sur ses vêtements indiquaient qu'il travaillait aux écuries. Certainement depuis peu.

—     Gamin ? gronda le commandant, le faisant sursauter. Tu la connaissais ?

—     Je....

Les yeux verts du palefrenier remontèrent jusqu'à l'homme d'arme et s'emplirent de larmes qui juraient avec la peur. 

—     Elle travaillait ici avant. L'a été renvoyée et obligée d'offrir ses services au Coq enchanteur... Faisait deux lunes qu'on la voyait plus et...

Il s'étouffa dans ses sanglots, parvenant enfin à se détacher de la vision morbide. Tius se porta immédiatement à ses côtés, tapotant gentiment dans son dos, tentant de réconforter le gamin. Le commandant leva les yeux au ciel, agacé par tant de cérémonie superficielle. Il ordonna à son subalterne de revenir vers lui et se pencha à sa hauteur, avant de souffler :

—     Amène-le aux cuisines et demande une infusion de passiflore pour le calmer. Ensuite tu ne le lâches pas des yeux. Je veux qu'il soit encore là lorsque je reviendrais compris ?

Le garde hocha la tête avant de se mettre au pas, offrant le soupçon d'un rire à Togos. Après un dernier regard pour le gamin encore sous le choc, l'épéiste tourna les talons. C'était pour le narguer qu'ils avaient agi en vue de tous, jetant ce corps comme un coup d'estoc en pleine poitrine. Cette fois, le roi ne pourrait plus faire comme si de rien n'était. Les traits de Togos étaient pourtant tirés par l'inquiétude alors qu'il retournait dans ses quartiers pour enfiler des vêtements moins à même de choquer. Si les disciples de Mageia allaient jusqu'à se dévoiler en plein milieu de la cour, ils ne craignaient plus véritablement le courroux du royaume et ça, Lux elle-même pouvait jurer que ce n'était pas bon signe.

Il enfila sa tenue de soldat, toute de blanc immaculé. Son plastron, sertie de fils d'argents portant les emblèmes de la couronne, lui rappelait qu'il n'était plus un Conneden et ne le serait plus jamais. Il appartenait au roi, ce même homme fils d'un autre qu'il avait admiré encore jeune, et qui n'avait rien de son royal père. Les caprices de Kreivis l'exaspéraient et pourtant, que pouvait-il bien faire contre celui qui avait depuis quinze ans assis son postérieur sur le trône sans en bouger pour autre chose que la chasse et les banquets ?

Un léger coup contre la porte l'interrompit alors qu'il fermait la boucle de sa ceinture. On n'attendit pas qu'il ait ouvert et un éphèbe brun franchit le palier, bouffi de suffisance insolente. Togos releva les yeux jusqu'à lui, accrochant son visage imberbe et ses yeux d'un marron banal. La richesse de ses vêtements jurait avec son port trop peu naturel. Il était né pauvre et pataugeait dans un luxe dont il ne connaissait rien. Narki était le chien de Virtus et Togos n'avait de fin de haïr cette hyène plus encore que celui qui tirait son collier.

—     Virtus....

—     Veut me voir immédiatement, termina le commandant, enfilant l'une de ses bottes de cuir. Pas besoin d'être si prévenant en t'envoyant toi. J'allais le retrouver. Il est où ?

—     Avec le roi, dans la salle du Conseil.

Togos attrapa sa seconde botte et sortie, sans plus un regard pour Narki.



[...]

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant