Chapitre 12.2, le nouvel échanson du roi

132 35 10
                                    

[...]

Après de trop longues explications et autres leçons  de savoir-vivre que Qeder connaissait déjà, en tant que noble, Maistal  et l'homme des sables arrivèrent finalement au patio royal. Là, la  silhouette imposante du Roi et celle, plus frêle, mais aussi plus  gracieuse, de sa femme se dessinaient. La camériste arrêta le jeune  homme d'un geste pour lui lancer un regard sévère, lui rappelant à  mi-voix de quelle façon se présenter à la famille royale. Lui faisant  signe de l'attendre, elle s'avança en premier et s'inclina au plus bas.

— Vos Majestés, les salua-t-elle avec respect.

— Maistal, répondit la Reine.

Sa  voix était doucereuse, soulignant les vices qui habitaient son esprit.  Il se disait que la Reine Karona était femme dangereuse, vipère la plus  venimeuse des jardins du palais. Elle mordait quiconque pouvait lui  servir d'yeux ou d'oreilles, son poison s'insinuant dans les veines de  chacun de ses serviteurs. Maistal tendit la main vers Qeder, et la  vipère tourna lentement la tête vers lui. Le nobliau se sentit comme  glacé par le regard de la Reine, ses membres se raidissant nerveusement  tandis que les yeux clairs semblaient sonder son âme, se plissant  l'espace d'un instant. Puisant jusqu'à sa dernière force, mettant de  côté sa nervosité, Qeder s'avança lentement.

— Vos Majestés, dit-il à son tour en s'inclinant.

— Vous venez de loin, Qeder.

La  voix de la Reine coula à ses oreilles avec la douceur inquiétante du  chant d'un oiseau bien trompeur. Il avait appris tout ce qui pouvait  bien se savoir des membres de la famille royale, et s'était promis  d'esquiver autant que possible le venin de Karona. Celle-ci le fixait  intensément, attendant une réponse satisfaisante.

— En effet, Votre Majesté. Mais comment puis-je vous servir ?

Les  lèvres de la Reine vipère s'étirèrent en un sourire mielleux, aux  accents étrangement bienveillants. Elle hocha la tête et indiqua le vin  d'un simple signe du menton. Jetant un coup d'œil au Roi qui le toisait,  hautain et orgueilleux, Qeder se détourna du couple royal pour se  saisir du vin, servant deux coupes. Derrière lui, il entendit de petits  pas rapides et, se retournant, il découvrit la princesse héritière. Ses  grands yeux noisette étincelaient d'une candeur sans égal, trahissant  également toute sa timidité. La voyant, trop frêle, avec un père trop  stupide, l'homme des sables comprit un peu plus les volontés de son  propre paternel. Pourtant, l'air de rien, il s'inclina avec respect.  Elle le regarda, un semblant de peur dans le regard, et effectua une  rapide révérence. Le Roi, Kreivis, n'attendit pas un instant pour la  reprendre.

— Nova, on ne s'incline pas face aux serviteurs.

— Pardonnez-moi, père, souffla-t-elle.

Elle  s'assit aux côtés de ses parents, tous deux fiers et pompeux, tandis  qu'elle paraissait presque cruche à la table. Servant une coupe de plus,  Qeder posa les godets face aux trois membres de la famille royale. Il  croisa le regard mauvais du Roi, et redressa la tête.

— Puis-je faire autre chose pour vous, Vos Majestés ? Vous souhaitez peut-être manger un peu.

— Ramène-nous du fromage, des fruits et de la charcuterie.

Heurté  par le ton froid, presque agressif, du Roi, Qeder hocha vivement la  tête avant de se détourner d'eux. Il rentra à l'intérieur du palais, où  Maistal le suivit. Lorsqu'ils furent suffisamment loin du patio, elle le  saisit par les épaules.

— Tu parles trop !, siffla-t-elle. Et cesse de les regarder comme ça !

— Pardon, murmura Qeder.

Maistal  le sermonna encore quelques secondes durant avant de lui annoncer  qu'elle l'abandonnait, devant aller s'occuper de la chambre de la Reine.  Le jeune homme se rendit aux cuisines, où il récupéra un grand plateau  rempli de gourmandises en tous genres qu'il rapporta à ses nouveaux  maîtres. Mais lorsqu'il revint au patio, il vit de nouvelles personnes  arriver. Surpris, ses sourcils s'arquèrent. Il posa le plateau au centre  de la table, remplit de nouvelles coupes et se mit en retrait, derrière  le couple royal. Du coin de l'œil, il aperçut la princesse qui  blêmissait.

— Qui sont tous ces gens ?, l'entendit-il chuchoter à sa mère.

—  Nova, voici quelques membres du conseil royal : Zakon Deargán, Oisín  Carria, Alessandre Adiant, Huldr Skogkatt et Virtus Falco.

Les yeux bleus de la Reine se tournèrent lentement vers son époux, et elle fronça légèrement les sourcils.

— N'avez-vous pas convié ser Conneden ?

À  l'entente de ce nom, le visage de Kreivis s'empourpra et la paume de sa  main s'abattit rageusement sur la table, faisant frémir le bois. Les  autres retinrent leur souffle face à l'accès de colère du Roi et Qeder  serra les poings pour ne pas se laisser aller à la panique. Où son père  l'avait-il donc envoyé ? Cette cour était-elle peuplée de fous ?

— Ne me parlez pas de lui ! Du vin !, réclama le Roi en vidant sa coupe d'une traite.

Qeder  se précipita à son côté, le cruchon entre ses mains frémissantes. Il  remplit le godet et s'écartant, le rire tonitruant du Roi résonnant à  son oreille.

— Regardez-le trembler celui-là !, se moqua-t-il.

Le  jeune homme des sables déglutit, se sentant honteux. Heureusement que  son père ne le voyait pas se faire humilier de la sorte... Il tâcha de  rester digne, le dos droit et la tête haute. Les nobles ricanèrent aux  mots du Roi avant de commencer à discuter, Virtus Falco faisant profiter  chacun de sa suffisance, tandis qu'Oisín Carria restait discret. Il put  apercevoir la princesse Nova, dont le regard était captivé par la  beauté d'Alessandre Adiant. L'ambassadeur de Tallen était un homme au  visage plaisant, au regard captivant ; qu'il ait  séduit la princesse de  sa simple présence n'était pas étonnant, surtout pour une demoiselle si  naïve.

Il vit alors une nouvelle silhouette  s'approcher de la table, et fut surpris de découvrir qu'il s'agissait  d'une jeune femme. Ses yeux sombres furent captivés par les voiles qui  semblaient flotter autour d'elle et le sourire empreint de bonté qui  s'étalait sur ses lèvres. Arrivée auprès du petit rassemblement, elle  s'inclina.

— Père, je me suis permis de convier dame Sibille à notre table, si cela ne vous dérange pas, souffla la princesse.

Le  Roi hocha simplement la tête, saluant d'un geste de la tête la dame qui  venait d'arriver. Qeder lui offrit une chaise et une coupe avant de  retourner à son poste, en retrait. Il observa curieusement les grands  nobles qui échangeaient, laissant traîner une oreille à la table.

—  Messieurs, permettez-moi de vous présenter Sibille Asinis. Elle est  arrivée il y a un peu plus d'une semaine pour servir ma chère fille  comme dame de compagnie. Je pensais vous la présenter au banquet  d'anniversaire de Karona, mais puisque l'occasion se présente...

Qeder  retint son souffle, ses yeux se posant sur la nouvelle venue à la cour.  Il tenta de ne rien montrer de l'angoisse qui montait un peu plus en  lui. Jamais il n'aurait dû venir, jamais il n'aurait dû obéir.  Déglutissant, il s'approcha pour remplir à nouveau la coupe d'Huldr  Skogkatt, écoutant toujours ce qui se disait, obéissant malgré tout,  pauvre pantin qu'il était. Au vu des sujets abordés, soit le banquet à  venir ou encore les exploits de chasse du Roi Kreivis, il n'apprendrait  rien de bien important. Mais il était toutefois une chose qu'il savait :  il devrait écrire à son père, et vite.

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant