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Après de trop longues explications et autres leçons de savoir-vivre que Qeder connaissait déjà, en tant que noble, Maistal et l'homme des sables arrivèrent finalement au patio royal. Là, la silhouette imposante du Roi et celle, plus frêle, mais aussi plus gracieuse, de sa femme se dessinaient. La camériste arrêta le jeune homme d'un geste pour lui lancer un regard sévère, lui rappelant à mi-voix de quelle façon se présenter à la famille royale. Lui faisant signe de l'attendre, elle s'avança en premier et s'inclina au plus bas.
— Vos Majestés, les salua-t-elle avec respect.
— Maistal, répondit la Reine.
Sa voix était doucereuse, soulignant les vices qui habitaient son esprit. Il se disait que la Reine Karona était femme dangereuse, vipère la plus venimeuse des jardins du palais. Elle mordait quiconque pouvait lui servir d'yeux ou d'oreilles, son poison s'insinuant dans les veines de chacun de ses serviteurs. Maistal tendit la main vers Qeder, et la vipère tourna lentement la tête vers lui. Le nobliau se sentit comme glacé par le regard de la Reine, ses membres se raidissant nerveusement tandis que les yeux clairs semblaient sonder son âme, se plissant l'espace d'un instant. Puisant jusqu'à sa dernière force, mettant de côté sa nervosité, Qeder s'avança lentement.
— Vos Majestés, dit-il à son tour en s'inclinant.
— Vous venez de loin, Qeder.
La voix de la Reine coula à ses oreilles avec la douceur inquiétante du chant d'un oiseau bien trompeur. Il avait appris tout ce qui pouvait bien se savoir des membres de la famille royale, et s'était promis d'esquiver autant que possible le venin de Karona. Celle-ci le fixait intensément, attendant une réponse satisfaisante.
— En effet, Votre Majesté. Mais comment puis-je vous servir ?
Les lèvres de la Reine vipère s'étirèrent en un sourire mielleux, aux accents étrangement bienveillants. Elle hocha la tête et indiqua le vin d'un simple signe du menton. Jetant un coup d'œil au Roi qui le toisait, hautain et orgueilleux, Qeder se détourna du couple royal pour se saisir du vin, servant deux coupes. Derrière lui, il entendit de petits pas rapides et, se retournant, il découvrit la princesse héritière. Ses grands yeux noisette étincelaient d'une candeur sans égal, trahissant également toute sa timidité. La voyant, trop frêle, avec un père trop stupide, l'homme des sables comprit un peu plus les volontés de son propre paternel. Pourtant, l'air de rien, il s'inclina avec respect. Elle le regarda, un semblant de peur dans le regard, et effectua une rapide révérence. Le Roi, Kreivis, n'attendit pas un instant pour la reprendre.
— Nova, on ne s'incline pas face aux serviteurs.
— Pardonnez-moi, père, souffla-t-elle.
Elle s'assit aux côtés de ses parents, tous deux fiers et pompeux, tandis qu'elle paraissait presque cruche à la table. Servant une coupe de plus, Qeder posa les godets face aux trois membres de la famille royale. Il croisa le regard mauvais du Roi, et redressa la tête.
— Puis-je faire autre chose pour vous, Vos Majestés ? Vous souhaitez peut-être manger un peu.
— Ramène-nous du fromage, des fruits et de la charcuterie.
Heurté par le ton froid, presque agressif, du Roi, Qeder hocha vivement la tête avant de se détourner d'eux. Il rentra à l'intérieur du palais, où Maistal le suivit. Lorsqu'ils furent suffisamment loin du patio, elle le saisit par les épaules.
— Tu parles trop !, siffla-t-elle. Et cesse de les regarder comme ça !
— Pardon, murmura Qeder.
Maistal le sermonna encore quelques secondes durant avant de lui annoncer qu'elle l'abandonnait, devant aller s'occuper de la chambre de la Reine. Le jeune homme se rendit aux cuisines, où il récupéra un grand plateau rempli de gourmandises en tous genres qu'il rapporta à ses nouveaux maîtres. Mais lorsqu'il revint au patio, il vit de nouvelles personnes arriver. Surpris, ses sourcils s'arquèrent. Il posa le plateau au centre de la table, remplit de nouvelles coupes et se mit en retrait, derrière le couple royal. Du coin de l'œil, il aperçut la princesse qui blêmissait.
— Qui sont tous ces gens ?, l'entendit-il chuchoter à sa mère.
— Nova, voici quelques membres du conseil royal : Zakon Deargán, Oisín Carria, Alessandre Adiant, Huldr Skogkatt et Virtus Falco.
Les yeux bleus de la Reine se tournèrent lentement vers son époux, et elle fronça légèrement les sourcils.
— N'avez-vous pas convié ser Conneden ?
À l'entente de ce nom, le visage de Kreivis s'empourpra et la paume de sa main s'abattit rageusement sur la table, faisant frémir le bois. Les autres retinrent leur souffle face à l'accès de colère du Roi et Qeder serra les poings pour ne pas se laisser aller à la panique. Où son père l'avait-il donc envoyé ? Cette cour était-elle peuplée de fous ?
— Ne me parlez pas de lui ! Du vin !, réclama le Roi en vidant sa coupe d'une traite.
Qeder se précipita à son côté, le cruchon entre ses mains frémissantes. Il remplit le godet et s'écartant, le rire tonitruant du Roi résonnant à son oreille.
— Regardez-le trembler celui-là !, se moqua-t-il.
Le jeune homme des sables déglutit, se sentant honteux. Heureusement que son père ne le voyait pas se faire humilier de la sorte... Il tâcha de rester digne, le dos droit et la tête haute. Les nobles ricanèrent aux mots du Roi avant de commencer à discuter, Virtus Falco faisant profiter chacun de sa suffisance, tandis qu'Oisín Carria restait discret. Il put apercevoir la princesse Nova, dont le regard était captivé par la beauté d'Alessandre Adiant. L'ambassadeur de Tallen était un homme au visage plaisant, au regard captivant ; qu'il ait séduit la princesse de sa simple présence n'était pas étonnant, surtout pour une demoiselle si naïve.
Il vit alors une nouvelle silhouette s'approcher de la table, et fut surpris de découvrir qu'il s'agissait d'une jeune femme. Ses yeux sombres furent captivés par les voiles qui semblaient flotter autour d'elle et le sourire empreint de bonté qui s'étalait sur ses lèvres. Arrivée auprès du petit rassemblement, elle s'inclina.
— Père, je me suis permis de convier dame Sibille à notre table, si cela ne vous dérange pas, souffla la princesse.
Le Roi hocha simplement la tête, saluant d'un geste de la tête la dame qui venait d'arriver. Qeder lui offrit une chaise et une coupe avant de retourner à son poste, en retrait. Il observa curieusement les grands nobles qui échangeaient, laissant traîner une oreille à la table.
— Messieurs, permettez-moi de vous présenter Sibille Asinis. Elle est arrivée il y a un peu plus d'une semaine pour servir ma chère fille comme dame de compagnie. Je pensais vous la présenter au banquet d'anniversaire de Karona, mais puisque l'occasion se présente...
Qeder retint son souffle, ses yeux se posant sur la nouvelle venue à la cour. Il tenta de ne rien montrer de l'angoisse qui montait un peu plus en lui. Jamais il n'aurait dû venir, jamais il n'aurait dû obéir. Déglutissant, il s'approcha pour remplir à nouveau la coupe d'Huldr Skogkatt, écoutant toujours ce qui se disait, obéissant malgré tout, pauvre pantin qu'il était. Au vu des sujets abordés, soit le banquet à venir ou encore les exploits de chasse du Roi Kreivis, il n'apprendrait rien de bien important. Mais il était toutefois une chose qu'il savait : il devrait écrire à son père, et vite.
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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)
FantasySur les terres de Nokrov, la noirceur a tôt fait de dévorer l'âme de chacun. Le peuple ravagé par une famine presque permanente voit les grands du monde se gaver lors de fastueux banquets, les hommes des îles Vatner sont en conflit perpétuel, les fo...