Le chapitre qui suit aborde des thématiques difficiles et des scènes dures. Âme sensible, s'abstenir.
ALYSSA
Elle tenait la main de Seïa, fermement, ses ongles enfoncés dans la paume de la camériste. Pour ce soir, Alyssa avait refusé que son amie s'occupe d'elle, que les souvenirs liés à leur histoire soient entachés de l'horreur qui soufflait ses mauvais présages. Les doigts dans ses cheveux étaient bien moins précis mais tout aussi doux alors qu'ils remontaient les boucles, qu'ils enroulaient les mèches et glissaient entre chacune des perles d'argents, laissant la chevelure d'Alyssa se transformer lentement en une nuit d'étoiles. Elle aurait préféré que rien ne soit fait de la sorte, qu'elle remonte l'allée du temple au bras de son père dans une robe trop simple qu'elle aurait brûlé dès le petit jour revenu. Mais les Adiant ne lui avaient pas laissé le choix. Même si c'était un vatner qu'elle épousait ce soir, elle garderait son rang. Alyssa en hurlait de rage devant cette injustice. Elle avait envie de frapper, de mordre avec fureur, de se débattre et de s'enfuir. Elle voulait faire disparaitre la morgue sur le visage de son futur époux, bander les yeux des griffons qui veillaient sur Port Muaer, jeter au visage de son père tous les mots qui hurlaient dans son esprit, toute la trahison qui était la sienne.
Mais elle se contentait du silence, comme la jeune fille bien élevée qu'elle devait être.
On lui demanda de fermer les yeux et elle s'acquitta, heureuse de s'arracher à son reflet. Ses paupières furent recouvertes de pigment d'onyx, ses cils allongés de cire d'abeille et son teint rehaussé par de la poudre de coquillage, d'une blancheur pailletée qui masquait les tâches de son. D'une main habille, la camériste ourla ses lèvres d'une peinture que les artistes avaient réussi à voler aux roses et lorsque le pinceau s'éloigna de ses lippes, Alyssa refusa d'ouvrir les yeux. Elle s'était imaginée mariée quelque fois. Vieux ou jeune, beau ou laid, grand ou frêle. Mais jamais elle n'aurait pu croire que son père trahirait le sang des Adiant qui coulaient dans leurs veines et l'offrirait à un barbare aux coutumes sanglantes. Les griffons devaient hurler d'une rage si forte derrière les épais murs du château.
Un bijou fut accroché à son oreille droite, enroulant cette dernière d'argent alors que reposait sur l'hélix la gueule ouverte de son blason. Les ailes de l'ornement attaquaient la peau sensible d'Alyssa mais elle ne dit rien, ne ressentait déjà plus rien. Elle entendait le sourire de la camériste mais refusait d'ouvrir les yeux. Son reflet la renverrait à ces vérités terribles. Elle était belle, elle le savait. Sa mère lui avait offert des traits dessinés par les déesses, d'une finesse sans pareil et des yeux aux myriades de couleur qui faisaient sombrer bien des cœurs. Elle avait pourtant toujours haï ce physique enjôleur, certaine qu'il lui empêcherait la dureté des bateaux en rappelant sa condition de petite chose fragile. Aujourd'hui plus que jamais, elle aurait voulu enfoncer dans ses chairs un morceau de miroir pour griffer à jamais la peau. Noirsonge ne la voudrait peut-être pas ainsi ? Elle se savait rêver. Ce n'était pas elle qu'il désirait. C'était le nom qu'elle portait, l'honneur qu'elle charriait.
— Alyssa ?
La question la ramena sur Nokrov, l'arrachant à ses introspections. Ses yeux s'ouvrirent, évitèrent son visage et se posèrent sur Seïa. Apercevant ses ongles fermement enfoncé dans la chair, Alyssa lâcha immédiatement la main qu'elle tenait, libérant des gouttes de sang. Ses joues rosirent alors qu'elle commençait à balbutier des excuses incompréhensibles qu'un doux sourire de sa servante stoppa.
— Il faut que tu mettes ta robe ma jolie. Ils nous attendent déjà tous, tenta la camériste qui s'était occupée de la furie jusqu'à présent.
Alyssa releva la tête jusqu'à son interlocutrice, lisant dans les yeux de Mata une bonté infinie. Celle qui s'était autrefois occupée de sa mère et qu'elle avait toujours connu dans les couloirs de Port Maur. Celle dont la grandeur d'âme n'était plus à prouver, qui l'avait mise au monde et qui la préparait maintenant à son destin. La Adiant n'eut pas le cœur de grogner. Elle se plia aux moindres demandes, enfilant une tenue pointée des armoiries de sa famille, bien plus fade que les véritables couleurs des griffons, sans le jaune de cette couleur qu'ils avaient autrefois abordés. Ces derniers grondaient sur le corsage, fièrement dressés sur leurs pattes arrière. Tout d'argent formé, ils descendaient le long des manches, agrippant entre leurs serres les serpents du Noirsonge qui s'enroulaient pourtant autour de leur nuque. Les motifs auraient pu être guerrier sans le lien entre les deux créatures là, juste sous la poitrine, soulevant cette dernière pour la faire sembler bien plus lourde. Alyssa devait ressembler à une femme, non plus à cette gamine dont elle n'avait jamais quitté le corps, pour son mariage.
Le jupon unique retomba sur ses jambes abîmées, arrachant sous sa douce couleur violine les traces de celle qu'avait été Alyssa. Ne manquait qu'une paire de chausson dont le talon haut ne plaisait pas à la griffonne et elle était fin prête à embrasser son destin. De physique seulement.
— Tu es superbe, tenta la camériste, gagnant un regard noir pour toute réponse.
— Ne t'inquiète pas Alyssa. Nous sommes toutes passées par là. C'est une mauvaise nuit. Donne-lui au plus vite un enfant et il te laissera vaquer à tes occupations.
— Ça Mata, j'en doute, répondit la jeune femme, sa voix cinglant dans l'air épais.
Elle jeta enfin un regard à son reflet et ne se reconnu pas dans le miroir. Sans s'attarder sur cette femme qui n'était pas elle, Alyssa attrapa un pan de sa jupe et se mit en marche, chancelant sur les talons hauts qu'elle n'avait pas l'habitude de porter, leur préférant depuis toujours de belles bottes en cuir particulièrement crottées et tout indiquées pour la pratique de l'équitation.
Seïa se porta à sa droite, attrapant son bras pour l'aider à assurer sa démarche alors que Mata fermait la boîte à bijoux des Adiant. Il ne manquait, autour de la gorge d'Alyssa, que le médaillon de sa famille qu'Hevar aurait dû glisser à la sienne pour le remplacer par un autre. Lord Artos avait refusé net, grondant que des barbares ne sauraient de toute manière pas faire la différence dans cette cérémonie dont ils ne connaissaient aucuns rites.
Mata leur fit travers les couloirs déserts du château, abandonnés de toute vie. Même les oiseaux refusaient de chanter alors que la tombée de la nuit apportait normalement avec elle l'arrivée des créatures diurnes et de leurs chants qu'Alyssa avait toujours trouvé fascinant. Le trio sorti du château, s'aventurant dans les jardins jusqu'au temple offert aux deux Sides. Lux et Nox les regardaient de leur immenses yeux vides de statues, le doux sourire de la première rassurant la seconde. C'était sous son égide qu'Alyssa allait se marier. Et pour la première fois, la jeune femme supplia la déesse aux corbeaux d'intervenir.
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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)
FantasySur les terres de Nokrov, la noirceur a tôt fait de dévorer l'âme de chacun. Le peuple ravagé par une famine presque permanente voit les grands du monde se gaver lors de fastueux banquets, les hommes des îles Vatner sont en conflit perpétuel, les fo...