NEVENOE
Ils s'étaient réuni autour d'un grand feu et dansaient. Les rires raisonnaient dans le camp improvisé. Nevenoe, assise, les regardaient s'amuser. Le cerf avait été vénéré avant d'être découpé et cuit. Régnait une douce odeur de chair crépitante et une bonne humeur généralisée. Deux femmes et un homme s'étaient réuni pour faire sonner leurs instruments, entraînant encore plus la foule de leurs rythme effréné. La Meute était pleine de vie, se remplissait de joie et de bonheur pour un dernier instant. Demain, ils partiraient, emportant le peu de bagage qui les accompagnaient toujours. Ils suivaient le gibier qui s'enfuyait de plus en plus profondément dans les terres. Normalement, les herbivores restaient dans les forêts ou dans les plaines, ne les quittant que pendant les saisons d'hivers. L'arrivée du Baron dans les Seascanns avait tout changé. Lui ne traitait pas la vie mais bien des nuées de cadavre dans sa foulée. Il s'était autoproclamé chef, avait détruit les nobles qui osaient se rebeller et régnait sans même que le roi n'intervienne. La région avait été abandonné par la couronne et si un seascannien siégeait bien au Conseil, il ne le faisait que pour la beauté des illusions. Aujourd'hui, seules les goules et les nécrophages se plaisaient dans les bourbiers, obligeant les paysans à apprendre à se défendre contre les créatures qui devenaient de plus en plus virulentes.
Nevenoe se releva, interrompant quelques danses. Seul son sourire les accompagna alors qu'elle s'éloignait. Elle avait créé son petit monde, ce havre de paix que personne ne pourrait détruire. La Meute était un refuge pour les âmes abîmées par le monde. Son refuge avant toute chose. Elle quitta la chaleur réconfortante du feu, la lueur apaisante des flemmes et la sécurité mentit du groupe pour les ténèbres qui l'entourèrent immédiatement. A travers les arbres, Nevenoe se fraya un passage, remontant une légère pente pour parvenir jusqu'à un chêne qui semblait avoir des millénaires. Son lourd feuillage avait vu passé bien des histoires et son écorce gravée bien des romances. Une clairière s'était étendue autour de lui, comme s'il avait eu besoin de toutes les ressources pour grandir, interdisant aux autres arbres de le rejoindre. Le chêne était finalement comme elle. Un solitaire au milieu d'une forêt de ses semblables. Elle s'assit à ses pieds, faisant tourner entre ses doigts le médaillon à son cou. Baignée par la lueur de la lune, Nevenoe se laissa porter par le silence. Elle aimait les siens. Mais elle restait un loup solitaire, un animal qui n'acceptait le groupe que par empathie. Elle aurait aimé qu'on lui tende la main à l'époque et refusait de devenir comme tous ceux qu'elle avait côtoyé. Le souvenir brutal du fouet contre sa peau ne l'avait pas abandonné, pas plus que les babines retroussées d'homme cruel. Enfermée, elle avait découvert toutes l'horreur des hommes et cette trace de lumière, là, au plus profond de l'un d'eux, qui lui avait redonné espoir.
— Encore perdue ? souffla une voix qui la fit sursauter et immédiatement porter sa main à son fourreau.
Le visage de Vuk se découpa sous la lumière de la lune. Il s'assit aux côtés de la Louve et s'enfonça dans le silence. Nevenoe n'était pourtant pas idiote. Elle voyait parfaitement qu'il jouait avec son pouce, comme toujours lorsqu'il était anxieux, et que son mutisme cachait des mots qu'il n'osait énoncer. Il savait que la rousse venait ici pour trouver du calme, pour avoir sa dose de solitude et il ne la dérangeait jamais sans véritable raisons.
Elle fit pourtant durer le silence avant de pousser un soupir. Ses yeux se détournèrent de la lune pour se porter jusqu'au chasseur. Dans la semie obscurité, ses cheveux paraissaient noirs et ses yeux ne brillaient plus autant qu'à leur habitude.
— Qu'est ce que tu veux Vuk ? Pourquoi tu n'es pas resté avec les autres ?
— Ils s'inquiètent tu sais ? On se plaisait bien ici et ils savent qu'un déplacement des troupes ne sera pas facile. Nous ne sommes plus cinq chasseurs et trois gosses....
— Parce que tu crois que j'ai pas pensé à ça Vuk ! s'emporta la Louve, son regard devenant aussi dur que l'acier. Que je sais pas que les gardes vont jamais nous laisser passer alors qu'on appartient pas à un ordre et qu'on devrait tous être pendu pour oser vivre sans les lois du ce connard de Baron ? Que je pense qu'on peut s'en sortir juste avec un beau sourire ? J'ai pas ça en stock Vul... J'ai que des espoirs et des rêves...Elle détourna les yeux, sentant gonfler dans sa poitrine une boule d'appréhension. Son visage disparu derrière ses cheveux roux alors que son regard se perdait sur les ténèbres. Elle aurait tellement aimé avoir la force des créatures d'autrefois, pouvoir tout détruire sur son passage et installer les siens dans un lieu où ils ne craigneraient plus jamais rien.
C'était impossible. La liberté n'était plus qu'une illusion en Nokrov. Encore plus dans les marécages des Seascann. Ceux qui ne se soumettaient pas n'avoir droit ni à un procès ni à une expulsion. Ils étaient pendus haut et court et les cauchemars de Nevenoe étaient peuplé de corps se balançant au grès du vent.
— Il faudrait que tu les rassures Nev'... murmura le chasseur, ils t'écouteront si tu le fais.
— Ils m'écouteront parce qu'ils n'ont pas le choix. Je les ai fait croire à un rêve que je suis pas capable de leur offrir. Nous sommes trop nombreux. Il y a trop de vieux, trop d'enfants. J'pourrais jamais les aider à tous s'en sortir. Il nous faudrait d'autres soutiens, plus puissants que ce connard de Baron. Qui nous protégeraient et veilleraient sur nous. J'aurais bien pensé aux loups mais ils sont devenus si sauvages...
— Et pourquoi pas les dragons ?Le regard de Nevenoe se fit éclair alors qu'elle tournait vivement le visage. Vuk n'avait pas le moindre sourire sur les lèvres et jamais il n'avait semblé aussi sérieux. Les sourcils froncés, elle le questionna du regard, incapable de croire aux mots qu'ils venaient de lui souffler. Les dragons n'étaient pas des animaux de compagnie et jamais personne n'avait réussi à les approcher. Ils avaient beau être en haut de la châine alimentaire, ils n'en demeuraient pas moins frileux à rencontrer des hommes.
On leur prétait milles légendes, enfants de Lux elle-même. Nombreux pensaient qu'ils avaient disparu durant le dernier siècle, détruit par des créatures de cauchemars dont personne n'osait prononcer le nom. Et pourtant... La nature ne mentait pas. Les ombres, le silence, tout prouvait que de gigantesque prédateur redescendait lentement de leurs hautes montagnes.
— Ce serait vous abandonner pendant trop longtemps si je devais aller les chercher. Sans aucune possibilité de savoir si je suis toujours en vie ou non. Vous pourriez attendre des années s'ils me préfèrent en diner qu'en allié...
— La gar'wa parle un peu trop lorsque l'on sait l'écouter Nevenoe. Elle a présentit leur retour parmi les hommes.
— Ils n'ont jamais disparu Vuk...
— Tu sais ce que je voulais dire. Elle pense que tu aurais une chance avec eux. Ils écoutent les coeurs purs et...
— Ils n'ont jamais pris parti, coupa-t-elle, ils ne vont pas commencer à le faire maintenant. Elle ne sait pas tout, malgré ce que vous vous evertuez à croire.
— Et quel risque on prendrait hein ? Ta vie, peut-être. Mais ne vaut-il pas mieux que tu la donnes là, en essayant, plutôt qu'en attendant que les troupes du Baron nous tombent dessus ? Avec les dragons de notre côté, nous serions visibles, c'est certain. Mais jamais les bandits qui lui servent de chevalier n'oseraient s'attaquer à nous.Nevenoe ne répondit pas. Il y avait tant de mots juste dans ses paroles mais tant d'inconnues qu'ils ne pouvaient pas prévoir. Elle ne voulait pas abandonner les siens. A l'exception de Vuk et de trois Loups, personne ne savait manier la moindre arme. Si le Baron les débusquait, ils se retrouveraient proie courant pour le plaisir d'un barbare en tentant de s'enfuir. Elle avait vécue les chasses sanglantes du monstre qui avait pris le pouvoir sur les Seascann et refusait que quiconque tombe entre ses griffes.
Avait-elle pourtant seulement le choix ? S'ils tentaient de migrer jusqu'à des terrains plus giboyeux, ils serraient repérés par les sentinelles montées du Baron. Les chevaucheurs d'hippogriffes avaient des yeux de rapaces et dès qu'ils s'éloigneraient du couvert des arbres...
Nevenoe déglutit, ses traits s'assombrissant alors qu'elle réfléchissait. Vuk garda le silence, se contentant d'observer la chef de la Meute. Ses ongles se mirent à grincer les uns contre les autres alors qu'elle les faisait claquer, son pouce rencontrant son majeur avec fureur. Si les dragons acceptaient de les suivre....
Elle se releva alors, suivit dans son mouvement par le chasseur. Ses traits étaient figés, son regard jeté sur l'horizon. Elle avait pris sa décision et, alors qu'elle allait ouvrir la bouche pour lui répondre, Vuk l'interrompit d'un geste. Il attrapa ses yeux, trop de compréhension dans les siens.
— Je leur expliquerais. Par demain matin, avant l'aube. Et s'il te plaît. Reviens nous avec une bonne nouvelle.
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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)
FantasySur les terres de Nokrov, la noirceur a tôt fait de dévorer l'âme de chacun. Le peuple ravagé par une famine presque permanente voit les grands du monde se gaver lors de fastueux banquets, les hommes des îles Vatner sont en conflit perpétuel, les fo...