Chapitre 19, 1. l'adieu de la louve

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NEVENOE

Ils s'étaient réuni autour d'un grand feu et dansaient. Les rires raisonnaient dans le camp improvisé. Nevenoe, assise, les regardaient s'amuser. Le cerf avait été vénéré avant d'être découpé et cuit. Régnait une douce odeur de chair crépitante et une bonne humeur généralisée. Deux femmes et un homme s'étaient réuni pour faire sonner leurs instruments, entraînant encore plus la foule de leurs rythme effréné. La Meute était pleine de vie, se remplissait de joie et de bonheur pour un dernier instant. Demain, ils partiraient, emportant le peu de bagage qui les accompagnaient toujours. Ils suivaient le gibier qui s'enfuyait de plus en plus profondément dans les terres. Normalement, les herbivores restaient dans les forêts ou dans les plaines, ne les quittant que pendant les saisons d'hivers. L'arrivée du Baron dans les Seascanns avait tout changé. Lui ne traitait pas la vie mais bien des nuées de cadavre dans sa foulée. Il s'était autoproclamé chef, avait détruit les nobles qui osaient se rebeller et régnait sans même que le roi n'intervienne. La région avait été abandonné par la couronne et si un seascannien siégeait bien au Conseil, il ne le faisait que pour la beauté des illusions. Aujourd'hui, seules les goules et les nécrophages se plaisaient dans les bourbiers, obligeant les paysans à apprendre à se défendre contre les créatures qui devenaient de plus en plus virulentes.

Nevenoe se releva, interrompant quelques danses.  Seul son sourire les accompagna alors qu'elle s'éloignait. Elle avait  créé son petit monde, ce havre de paix que personne ne pourrait  détruire. La Meute était un refuge pour les âmes abîmées par le monde.  Son refuge avant toute chose. Elle quitta la chaleur réconfortante du  feu, la lueur apaisante des flemmes et la sécurité mentit du groupe pour  les ténèbres qui l'entourèrent immédiatement. A travers les arbres,  Nevenoe se fraya un passage, remontant une légère pente pour parvenir  jusqu'à un chêne qui semblait avoir des millénaires. Son lourd feuillage  avait vu passé bien des histoires et son écorce gravée bien des  romances. Une clairière s'était étendue autour de lui, comme s'il avait  eu besoin de toutes les ressources pour grandir, interdisant aux autres  arbres de le rejoindre. Le chêne était finalement comme elle. Un  solitaire au milieu d'une forêt de ses semblables. Elle s'assit à ses  pieds, faisant tourner entre ses doigts le médaillon à son cou. Baignée  par la lueur de la lune, Nevenoe se laissa porter par le silence. Elle  aimait les siens. Mais elle restait un loup solitaire, un animal qui  n'acceptait le groupe que par empathie. Elle aurait aimé qu'on lui tende  la main à l'époque et refusait de devenir comme tous ceux qu'elle avait  côtoyé. Le souvenir brutal du fouet contre sa peau ne l'avait pas  abandonné, pas plus que les babines retroussées d'homme cruel. Enfermée,  elle avait découvert toutes l'horreur des hommes et cette trace de  lumière, là, au plus profond de l'un d'eux, qui lui avait redonné  espoir.

— Encore perdue ? souffla une voix qui la fit sursauter et immédiatement porter sa main à son fourreau.

Le  visage de Vuk se découpa sous la lumière de la lune. Il s'assit aux  côtés de la Louve et s'enfonça dans le silence. Nevenoe n'était pourtant  pas idiote. Elle voyait parfaitement qu'il jouait avec son pouce, comme  toujours lorsqu'il était anxieux, et que son mutisme cachait des mots  qu'il n'osait énoncer. Il savait que la rousse venait ici pour trouver  du calme, pour avoir sa dose de solitude et il ne la dérangeait jamais  sans véritable raisons.

Elle fit pourtant durer le silence avant  de pousser un soupir. Ses yeux se détournèrent de la lune pour se  porter jusqu'au chasseur. Dans la semie obscurité, ses cheveux  paraissaient noirs et ses yeux ne brillaient plus autant qu'à leur  habitude. 

— Qu'est ce que tu veux Vuk ? Pourquoi tu n'es pas resté avec les autres ?
— Ils  s'inquiètent tu sais ? On se plaisait bien ici et ils savent qu'un  déplacement des troupes ne sera pas facile. Nous ne sommes plus cinq  chasseurs et trois gosses....
— Parce que tu crois que j'ai pas pensé à  ça Vuk ! s'emporta la Louve, son regard devenant aussi dur que l'acier.  Que je sais pas que les gardes vont jamais nous laisser passer alors  qu'on appartient pas à un ordre et qu'on devrait tous être pendu pour  oser vivre sans les lois du ce connard de Baron ? Que je pense qu'on  peut s'en sortir juste avec un beau sourire ? J'ai pas ça en stock  Vul... J'ai que des espoirs et des rêves...

Elle détourna les  yeux, sentant gonfler dans sa poitrine une boule d'appréhension. Son  visage disparu derrière ses cheveux roux alors que son regard se perdait  sur les ténèbres. Elle aurait tellement aimé avoir la force des  créatures d'autrefois, pouvoir tout détruire sur son passage et  installer les siens dans un lieu où ils ne craigneraient plus jamais  rien.

C'était impossible. La liberté n'était plus qu'une  illusion en Nokrov. Encore plus dans les marécages des Seascann. Ceux  qui ne se soumettaient pas n'avoir droit ni à un procès ni à une  expulsion. Ils étaient pendus haut et court et les cauchemars de Nevenoe  étaient peuplé de corps se balançant au grès du vent.

— Il faudrait que tu les rassures Nev'... murmura le chasseur, ils t'écouteront si tu le fais.
— Ils  m'écouteront parce qu'ils n'ont pas le choix. Je les ai fait croire à  un rêve que je suis pas capable de leur offrir. Nous sommes trop  nombreux. Il y a trop de vieux, trop d'enfants. J'pourrais jamais les  aider à tous s'en sortir. Il nous faudrait d'autres soutiens, plus  puissants que ce connard de Baron. Qui nous protégeraient et  veilleraient sur nous.  J'aurais bien pensé aux loups mais ils sont  devenus si sauvages...
— Et pourquoi pas les dragons ?

Le  regard de Nevenoe se fit éclair alors qu'elle tournait vivement le  visage. Vuk n'avait pas le moindre sourire sur les lèvres et jamais il  n'avait semblé aussi sérieux. Les sourcils froncés, elle le questionna  du regard, incapable de croire aux mots qu'ils venaient de lui souffler.  Les dragons n'étaient pas des animaux de compagnie et jamais personne  n'avait réussi à les approcher. Ils avaient beau être en haut de la  châine alimentaire, ils n'en demeuraient pas moins frileux à rencontrer  des hommes.

On leur prétait milles légendes, enfants de Lux  elle-même. Nombreux pensaient qu'ils avaient disparu durant le dernier  siècle, détruit par des créatures de cauchemars dont personne n'osait  prononcer le nom. Et pourtant... La nature ne mentait pas. Les ombres,  le silence, tout prouvait que de gigantesque prédateur redescendait  lentement de leurs hautes montagnes.

— Ce serait vous abandonner  pendant trop longtemps si je devais aller les chercher. Sans aucune  possibilité de savoir si je suis toujours en vie ou non. Vous pourriez  attendre des années s'ils me préfèrent en diner qu'en allié...
— La gar'wa parle un peu trop lorsque l'on sait l'écouter Nevenoe. Elle a présentit leur retour parmi les hommes.
— Ils n'ont jamais disparu Vuk...
— Tu sais ce que je voulais dire. Elle pense que tu aurais une chance avec eux. Ils écoutent les coeurs purs et...
— Ils  n'ont jamais pris parti, coupa-t-elle, ils ne vont pas commencer à le  faire maintenant. Elle ne sait pas tout, malgré ce que vous vous  evertuez à croire.
— Et quel risque on prendrait hein ? Ta vie,  peut-être. Mais ne vaut-il pas mieux que tu la donnes là, en essayant,  plutôt qu'en attendant que les troupes du Baron nous tombent dessus ?  Avec les dragons de notre côté, nous serions visibles, c'est certain.  Mais jamais les bandits qui lui servent de chevalier n'oseraient  s'attaquer à nous.

Nevenoe ne répondit pas. Il y avait tant de  mots juste dans ses paroles mais tant d'inconnues qu'ils ne pouvaient  pas prévoir. Elle ne voulait pas abandonner les siens. A l'exception de  Vuk et de trois Loups, personne ne savait manier la moindre arme. Si le  Baron les débusquait, ils se retrouveraient proie courant pour le  plaisir d'un barbare en tentant de s'enfuir. Elle avait vécue les  chasses sanglantes du monstre qui avait pris le pouvoir sur les Seascann  et refusait que quiconque tombe entre ses griffes.

Avait-elle  pourtant seulement le choix ? S'ils tentaient de migrer jusqu'à des  terrains plus giboyeux, ils serraient repérés par les sentinelles  montées du Baron. Les chevaucheurs d'hippogriffes avaient des yeux de  rapaces et dès qu'ils s'éloigneraient du couvert des arbres...

Nevenoe  déglutit, ses traits s'assombrissant alors qu'elle réfléchissait. Vuk  garda le silence, se contentant d'observer la chef de la Meute. Ses  ongles se mirent à grincer les uns contre les autres alors qu'elle les  faisait claquer, son pouce rencontrant son majeur avec fureur. Si les  dragons acceptaient de les suivre....

Elle se releva alors,  suivit dans son mouvement par le chasseur. Ses traits étaient figés, son  regard jeté sur l'horizon. Elle avait pris sa décision et, alors  qu'elle allait ouvrir la bouche pour lui répondre, Vuk l'interrompit  d'un geste. Il attrapa ses yeux, trop de compréhension dans les siens.

— Je leur expliquerais. Par demain matin, avant l'aube. Et s'il te plaît. Reviens nous avec une bonne nouvelle.

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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant