SYNSIVIK
La semi-obscurité dans laquelle était plongé le bureau de l'Aîné laissait une atmosphère pesante se déposer sur la pièce. Le jeune Élu restait stoïque, ses yeux pourtant voilés d'inquiétude figés sur son mentor. Celui-ci l'observait, soupçonneux, le visage marqué par les ombres. Qu'est-ce qui avait pu faire sortir le sage et obéissant Synsivik de son lit, au beau milieu de la nuit ?
Le noir, l'obscurité. Tout cela glaçait le sang du jeune blond. Son regard fuit celui de son maître, trouvant un peu de réconfort auprès de la lueur vacillante d'une chandelle, seule source de lumière en ces lieux. Lux était là, au cœur du royaume de Nox elle veillait toujours.
— Que faisais-tu, Synsivik ?
La voix était lourde de reproches, grinçante et étrangement sourde. L'Élu déglutit difficilement, se demandant comment ne pas paraître fou en livrant ses explications. Une voix l'avait guidé, tout simplement, au cœur de la nuit. Son regard se leva lentement pour se heurter à nouveau à celui de l'Aîné. Son cœur battait à tout rompre, emporté par l'anxiété qui était sienne.
— Pourquoi t'es-tu levé cette nuit ?
À nouveau pleuvaient les reproches en cette simple question. Jamais Synsivik n'avait tenu tête à son maître, lui qu'il prenait pour exemple, qu'il respectait plus que nul être physique et mortel en ce monde. Il était un père, un frère, un guide, un héros. Il lui devait la vérité.
— Une voix m'a guidé dans la nuit, avoua-t-il.
— Une voix ?
— Une voix de femme, maître. Douce, chaleureuse, maternelle. Elle m'a réveillé, m'a guidé jusqu'à la fenêtre, et j'ai vu les nuées d'oiseaux migrer vers d'autres terres.
Les épais sourcils de l'Aîné se froncèrent, son regard plein de sagesse disparut derrière eux. Mais aucun signe d'étonnement ne marqua son visage.
— Le temps n'est pas aux migrations, remarqua-t-il. Mais cette femme.. Que t'a-t-elle dit d'autre ?
— Elle m'a simplement dit de regarder, maître.
— As-tu ressenti quelque chose de particulier en l'entendant, Synsivik ?
L'Élu fronça à son tour les sourcils. Les questions que lui posait l'Aîné ne semblaient indiquer qu'une chose : le temps était venu. Sa destinée, celle qu'on lui avait tant annoncé, qu'on lui avait promis comme une quête extraordinaire amenant la lumière sur le monde, enfin semblait se profiler. Son palpitant redoubla d'ardeur dans sa cage thoracique, son poitrail se gonfla de fierté dans une grande inspiration et Synsivik se redressa.
— La voix semblait venir de moi... Dans mon esprit, elle s'y est imposée, elle m'a appelé moi.
— Lux, murmura l'Aîné. Lux est revenue !
Son murmure était devenu cri, exclamation de joie, et le maître s'était levé de sa chaise, écartant les bras, les ouvrant à la noirceur des lieux. Sa déesse, la seule respectable, la seule vraie déesse, était revenue étendre pleinement sa puissance sur le monde. Il posa son regard brillant de foi, brillant d'amour et de fierté sur Synsivik ; et lui, sut alors qu'enfin commençait sa quête.
* * *
Les jours étaient passés, et les prières s'intensifiaient au Temple Supérieur. Les fils de Lux s'apprêtaient à accueillir leur déesse comme la mère bienfaisante qu'elle était, ils avaient attendu ce jour toute leur vie durant, et enfin elle allait amener sa lumière sur Nokrov. Enfin le bien allait triompher, rendre sa gloire au monde perverti par les ombres.
Lorsque l'Aîné avait appris le retour de Lux, il avait réveillé tous les religieux du temple, et ils s'étaient activé pour préparer la Cérémonie Blanche, au cours de laquelle Synsivik avait été officiellement sacré, son front ceint de la Couronne de Lux. Simple bandeau d'or blanc, le jeune homme fut honoré de porter la relique. Toute la journée, les frères avaient prié, fêté Lux, l'avaient remercié de son retour ; mais le jour déclinait, faisant place à la nuit, les feux sacrés s'éteignaient, et les frères avec. Il était temps pour eux de dormir, après trois jours de prière et de cérémonie.
Synsivik avait été couronné, mais son lit n'était pas celui d'un roi. Il ne dormit pas sur une couche de plumes d'oie, mais toujours sur la pierre dure et froide. Son sommeil était profond, sans rêves, et dès son réveil, la vie suivrait son cours. Il se lèverait, prierait, puis dormirait... Les jours passeraient ainsi jusqu'à ce que Lux ordonne, qu'elle lui dise quoi faire. Il serait patient, cela faisaient dix-neuf ans qu'il attendait que vienne sa déesse. Il attendrait encore, si telle était la volonté de sa déité.
— Synsivik.
Ses paupières, lourdes, collées, s'ouvrirent difficilement. Il chercha qui pouvait bien s'adresser à lui. La voix était douce, maternelle, il ne lui fallut qu'un instant pour la reconnaître. L'Élu se redressa brusquement, regardant autour de lui, cherchant la lumière de la Side.
— Lux ?, demanda-t-il.
— Synsivik, lève-toi.
Dans la voix mystérieuse, il percevait de l'angoisse. Ses sourcils se froncèrent, ses yeux continuèrent de fouiller la pièce. Inquiété par le ton qu'employait sa déesse, il chuchota :
— Lux, qu'y a-t-il ?
— Va à la fenêtre, regarde au-dehors.
L'inquiétude transparaissait toujours dans la voix, aussi se leva-t-il prudemment, allant à la fenêtre de sa chambre à pas de loup. Se penchant pour regarder ce que voulait lui montrer Lux, il perçut des lueurs rougeoyantes, pareilles à des milliers de lucioles embrasées, qui bourdonnaient auprès du temple. Il tourna la tête vers la lune, haute et fière dans le ciel.
— Qu'est-ce que c'est ?, murmura-t-il.
— Tu dois partir, Synsivik. Vite.
Un hurlement déchira la quiétude de la nuit, et un infernal tumulte troubla les couloirs silencieux du Temple Supérieur. Synsivik se retourna brusquement vers sa porte, ses yeux fouillant l'obscurité avec terreur.
— Qu'est-ce que c'était ?
— Synsivik, pars !
Le murmure de la voix s'était fait cri à ses oreilles, et il se sentit poussé par une force mystérieuse vers la porte. Tentant de lutter contre cette puissance supérieure, il poussa pourtant la porte, ses jambes ne répondant plus qu'aux volontés de l'étrange force et l'emmenant dans le couloir. Les hurlements déchiraient l'accalmie nocturne pour lui donner une atmosphère horrifique, et Synsivik put percevoir l'écho strident des armes.
— Qui nous veut du mal ?, demanda-t-il.
La voix ne répondit pas, et il sut qu'il devait fuir.
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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)
FantasySur les terres de Nokrov, la noirceur a tôt fait de dévorer l'âme de chacun. Le peuple ravagé par une famine presque permanente voit les grands du monde se gaver lors de fastueux banquets, les hommes des îles Vatner sont en conflit perpétuel, les fo...