Les deux jeunes hommes avaient quitté la caserne des gardes, Isendre offrant à ceux-ci de quoi boire pour la soirée afin d'acheter leur silence, pour se diriger vers le château de Port-Mauer. Alors qu'ils en parcouraient les couloirs, les yeux clairs de Synsivik scrutaient les murs immaculés auxquels les portraits des anciens membres de la maisonnée étaient accrochés ; leurs yeux anciens et sages les observaient, jugeant leurs actes comme s'ils étaient des dieux d'un temps perdu. Les cadres dorés qui encerclaient les visages d'hier intriguaient le fils de lumière, qui jamais n'avait connu la richesse ou le pouvoir. Et cette noblesse qui était celle de la famille Adiant le troublait.
De son regard, il interrogeait Isendre, qui ne répondait que par des froncements de sourcils et des agitations lasses de la tête. Il ne semblait pas comprendre le religieux, lui qui ne connaissait rien à rien en dehors de sa foi.
— Où m'emmenez-vous ?, demanda Synsivik.
— Nous allons voir mon père, pour lui emprunter un navire et un équipage.
Le fils de Lux ne répondit rien, ses yeux se laissant à nouveau captiver par la brillance des cadres rutilants, la beauté des soieries et la précision des dentelles des rideaux. Tout était si parfait, si beau, si doux pour l'œil. Il regarda à nouveau Isendre, oubliant naturellement le vouvoiement.
— Ton père, a-t-il une couronne ?
Le bâtard eut un sourire aux semblants moqueurs.
— Il n'est pas Roi.
Synsivik hocha la tête, mais alors qu'il tournait la tête vers Isendre pour le questionner encore, un bruit étrange attira son attention. Au détour d'un couloir, quelqu'un sanglotait. Le bâtard tourna la tête et son visage se décomposa tandis qu'il s'approchait d'une jeune femme qui se trouvait dans l'ombre, ses mains emprisonnant les siennes dans un geste délicat.
— Lady Daena, qu'y a-t-il ?
— Isendre, murmura-t-elle. C'est votre père.
Le fils naturel d'Arthos fronça aussitôt les sourcils sous le regard inquisiteur du religieux qui observait la scène. Dans l'ombre dans laquelle elle se trouvait, il ne pouvait distinguer les traits de la dame, mais il voyait les traits d'Isendre, tirés par une rage sourde et, probablement, une haine profonde qu'il vouait à son père, semblant le tenir pour responsable de bien des problèmes.
— Il m'a agressée, a tenté de me voler mon honneur.
Le visage d'Isendre se fit ombre et glace, rongé par la colère qui montait en lui. Il prit la dame par la main et l'amena à la lumière. Le cœur de Synsivik fit un bond dans sa poitrine lorsqu'il découvrit le visage de la lady.
— Lux, souffla-t-il.
Isendre fronça les sourcils et le regarda, indécis. Puis lorsque ses yeux revinrent sur lady Ephial, il saisit toute la ressemblance entre les représentations de la déesse et le visage de la jeune femme. De ses yeux à l'éclat pur aux lèvres fines en passant par son nez mutin, Daena ressemblait à l'image que l'on s'était faite de Lux.
Et cette même lueur, indéfinissable, se retrouvait dans son regard.
— Synsivik, je te présente lady Daena Ephial.
— Enchanté, ma dame, murmura le religieux.
— Il ne vous fera aucun mal, assura le bâtard à la noble.
Isendre observa le fils de Lux d'un œil critique, puis revint à la dame, la colère toujours accrochée à ses traits. Il serra doucement sa main dans la sienne pour qu'elle le regarde, et ses yeux lui transmirent toute sa volonté tandis qu'il plongeait son regard dans le sien.
— Je veux que vous restiez ici, ma dame. Je reviendrai vous chercher. J'ai certaines choses à régler, mais je peux vous promettre que mon père ne vous fera plus jamais de mal. Ni lui, ni personne.
Elle le regarda, l'effroi et l'appréhension luisant au fond de ses yeux frémissants. Le bâtard leva doucement la main pour caresser sa joue, mais renonça. Synsivik le regarda faire, fronçant légèrement les sourcils. Nul ne touchait à Lux.
Isendre reposa ses yeux sombres sur le religieux.
— Allons-y.
Après un dernier regard pour lady Ephial, Synsivik emboîta le pas à Isendre. Ils reprirent donc leur route dans les corridors, puis arrivèrent rapidement auprès d'une grande porte, gardée par deux hommes en armes dont le tabard était orné du fier griffon. Le demi-frère de l'Élue de Nox intima soudain au religieux de se taire et de le laisser parler, s'approchant des gardes.
— Il faut que je parle à mon père, dit-il fermement.
L'un des gardes renifla, visiblement amusé. Un sourire étrange tordait le coin de ses lèvres et, ouvrant la porte, il poussa presque Isendre à l'intérieur.
— Ça tombe b'en, il vous cherchait.
Alors que Synsivik lui emboîtait le pas, le même garde l'arrêta tandis que l'autre posait une main prudente sur le pommeau de son épée.
— Oh, oh, oh, où qu'tu vas, toi ?
— Il est avec moi, siffla Isendre.
Les deux hommes d'armes tournèrent la tête vers le bâtard, hésitant. Mais il était un bon bretteur, et sa colère n'était un secret pour personne – son regard embrassé par la fureur, le blond avait déjà porté une main à son épée, prêt à la tirer de son fourreau si c'était nécessaire. Tandis que son souffle se faisait plus profond, faisant se soulever lentement ses épaules musclées par l'entraînement, les gardes s'écartèrent, laissant Synsivik le rejoindre. Aussitôt, Isendre s'enfonça dans la pièce à peine éclairée par le soleil qui lentement se levait, le religieux sur les talons.
Dans la grande pièce, qui semblait être un cabinet de travail, le seigneur Adiant se trouvait assis derrière le bureau. Lorsqu'il entendit les deux jeunes hommes s'approcher, il leva la tête. Son regard foudroya Synsivik sur place, le faisant s'arrêter aussitôt. Jamais on ne l'avait ainsi regardé – la sévérité et le dédain marquaient le regard d'Arthos, alors qu'on l'avait habitué à l'admiration et à la reconnaissance.
Isendre avança seul, ne s'arrêtant qu'à un mètre du bureau.
— Qui est cet inconnu que tu ramènes en ma demeure ?
La voix était grave, percée de colère et de reproches. Synsivik fronça les sourcils, comprenant rapidement le genre d'homme qu'était Arthos. Isendre répondit avec assurance.
— Cet homme se nomme Synsivik, père. Il est venu à moi afin de m'aider à délivrer Alyssa de ses chaînes.
Le regard du seigneur, qui était allé se perdre sur les nombreux parchemins qui se trouvaient sur le bureau, se releva brusquement sur son fils naturel. Isendre avait serré les poings, son visage s'assombrissant sous la colère.
— Les chaînes que vous lui avez imposées, père.
La voix d'Isendre s'était faite plus dure, plus forte, percée de rancœur. Ses jointures avaient blanchi sous ses poings crispés et son regard s'était noirci. Arthos déjà semblait s'agacer, ses doigts se serrant autour de la plume qu'il tenait. Il la posa lentement, ses yeux ne quittant pas son fils.
— Pour qui te prends-tu ?
La rage avait parlé, s'échappant des lèvres du seigneur en un crachat plein de honte et de dégoût. Pourtant, un calme olympien marquait son visage, seuls ses yeux témoignant de son animosité. Isendre releva le menton, aussi fier que les griffons auxquels il n'avait jamais appartenu.
— Pour votre fils. Le seul qui vous ait toujours respecté, le seul qui jamais ne vous ait déçu. Mais aussi le seul que vous n'ayez jamais déçu avant ce jour, cracha-t-il avec véhémence.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ?
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Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)
ФэнтезиSur les terres de Nokrov, la noirceur a tôt fait de dévorer l'âme de chacun. Le peuple ravagé par une famine presque permanente voit les grands du monde se gaver lors de fastueux banquets, les hommes des îles Vatner sont en conflit perpétuel, les fo...