Chapitre 24.1, pour chaque mensonges offerts

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ALESSANDRE


Le chevalier se battait dans la large arène qui avait été dévouée aux hommes d'armes. En armure légère, son épée claquait contre celle de son adversaire, promesse de mille tourments pour celui qui avait eu l'audace de défier l'ambassadeur. Ce qui aurait dû être une rixe amicale avait rapidement pris une autre tournure alors que chacun, bouffé d'orgueil, refusait de plier l'échine. Le combat avait attiré à lui des courtisans curieux, empêchant un peu plus les deux hommes de reconnaitre leur défaite.

Alessandre accusa le coup violent qu'on lui jeta du plat de son épée, faisant rouler la lame avant de mieux attaquer. L'autre l'avait senti arriver, reculant d'un pas. Le chevalier s'engouffra dans la garde de son ennemi. Il tenta un estoc, rencontra le vide, s'échappa de la lame qui filait jusqu'à ses côtes. La sueur tâchait déjà leurs fronts alors que leurs poitrines se soulevaient en rythme. Contre toute attente, leurs rires illuminaient pourtant leur visage. Ils étaient heureux car ils étaient égaux. Car ils frappaient en cadence et car ils jouaient l'un de l'autre.

L'ambassadeur vit pourtant son heure arriver alors qu'une demoiselle approchait. Elle offrit un petit signe à son adversaire et Alessandre se glissa dans la brèche qui s'était ouverte. À la guerre, il n'y avait pas d'honneur. Il ne fallait jamais détourner les yeux, jamais se déconcentrer. Si le chevalier savait parfaitement qu'il ne mettrait pas les pieds sur un champs de bataille, il avait retenu les quelques leçons que son père avait daigné lui offrir. Son épée accrocha les reflets du soleil trop tard. Sa lame claqua contre la main de son adversaire, le désarmant. L'autre écarquilla les yeux, ne recevant qu'un sourire victorieux d'Alessandre. Le griffon récupéra l'épée avant de s'incliner bien bas, sous des tonnerres d'applaudissements. La rage et la haine qu'il lisait dans les yeux du valenien vaincu valait plus encore que la fierté qu'il éprouvait.

Son sourire disparu pourtant comme neige au soleil alors que courrait vers lui un page, tenant entre ses doigts une lettre. Depuis la maladie du roi, tous les courriers étaient ouverts, pour mieux vérifier que du poison n'avait pas été glissé entre leurs lignes. Vu le visage du coursier, les nouvelles n'étaient pas bonnes.

Alessandre jeta ses deux épées à l'un des gamins en bordure. Il releva ses cheveux, dévoilant son visage et attrapa la missive. Le symbole des griffons étaient déchirés sur le milieu, où le sceau avait été brisé et, à l'écriture désordonnée, le chevalier sut immédiatement que quelques choses de grave avait eu lieu.
Lord Artos Adiant le sommait de revenir en vitesse à Port Mauer. Alyssa, sa tendre petite sœur, y avait été marié à un vatner et, si son père ne s'attardait pas sur les détails, l'ambassadeur savait parfaitement qu'entre les lignes se cachaient des détails sordides. Comme une Adiant avait pu épouser un vatner ? Comment diable son propre géniteur avait pu accepter qu'Alyssa soit vendue comme une pouliche ?! La colère plissa les yeux du chevalier et s'amplifia alors que la suite des mots lui volait sa liberté. Alessandre était rappelé pour un mariage avec les renards, pour une jeune femme dont il n'avait jamais entendu parler. Pas l'ombre d'un portrait n'accompagnait la lettre, témoignant qu'il n'avait pas son mot à dire. Artos voulait ses enfants à ses côtés et voulait que son héritier se range enfin.

Le chevalier refusait. Il avait d'autre plans, d'autre projets pour lier son nom à quelque chose de bien plus prestigieux que celui les Ephial.

Et la rage l'aveugla alors qu'il froissait la missive entre ses doigts couvert de sueur. Contrôle-toi. Il entendait déjà sa voix courir dans son esprit mais il la repoussa. Alessandre ! Que pouvait-elle bien comprendre elle, à la douleur qui étranglait son cœur ? Tu ne pourras pas la sauver en t'exposant à la rage des hommes. Elle pouvait bien parler, elle n'était rien d'autre que la rémission d'une conscience que le chevalier avait depuis bien longtemps enfermée.

Il ne prit pas la peine de récupérer son épée, de rincer son visage, de parfaire ses traits enjôleurs. Il aurait dû se rendre auprès de son aimée, il aurait dû poser milles questions, la laisser réconforter son cœur blessé. Pire encore ; il aurait dû écouter, rentrer, sauver sa sœur. Ce mariage n'était qu'un leurre que ne l'attirerait pas dans sa lumière.

Il ne fit rien de tout cela, n'écoutant que sa colère.

Apercevant un page affairé aux graissages des cuirs, le chevalier tenta d'accrocher à son visage des brides de sympathie. Il connaissait le jeune homme, à peine plus vieux que lui et s'approcha.

— Moose.

L'autre sursauta, relevant ses yeux jusqu'au chevalier. Alessandre lut des accents qu'il n'avait jamais vu dans son regard, un soupçon de peur et de tension qu'il préféra pourtant ne pas relever. Le page était normalement plus que jovial, préférant les catins et la bière à ses devoirs. Il rêvait de devenir écuyer, d'embrasser la chevalerie mais jamais aucun des hommes d'armes du roi n'aurait accepté un adulte de si basse extraction. Alessandre était bien le seul à lui témoigner un soupçon de reconnaissance, à s'intéresser à lui pour autre chose que des services. Et Moose lui rendait bien.

— Toi qui passes ton temps avec lui, où est Skogkatt ?

— Le chat ?

— Non son cousin germain. Bien sûr que oui. Où est ce fils de pute de vatner ?!

Le langage, bien trop grossier, d'Alessandre, surpris Moose. Le chevalier serra les poings, sentant déjà son visage reprendre les traces de sa haine.

— Doit être dans ses appartements avec une pute vu l'heure qu'il est. Z'avez pas un Conseil ou un truc comme ça dans pas longtemps les ambassadeurs ? Avec c'qu'il s'est passé à la cour et l'attaque du commandant, j'pense bien que le roi va sévir non ?

Alessandre ne prit pas la peine de répondre et, sans un au revoir, tourna les talons.

D'un pas décidé, il remonta la piste de terre qui joignait l'arène et le Palais Blanc. Il en franchit les portes, abandonnant la chaleur bienfaitrice de Lux. Après la tempête, le ciel s'était brutalement dévoilé, comme si la Side essayait de rappeler à tous qu'elle, et elle seule, régnait sur leur monde. Alessandre, ne fait pas ça. La petite voix revenait déjà, insidieuse dans son esprit. Comme toujours, il ne l'écoutait pas.

Son pas se fit plus vif encore alors qu'il s'approchait des appartements du vatner. Qu'on ait donné de tels lieux à un barbare, fut-il ambassadeur, avait toujours fait bouillir la colère dans le cœur du griffon. L'envoyé du grand Herrevann, leur pseudo roi, n'était pas un nokrovien, n'avait rien d'un nokrovien. Aujourd'hui plus que jamais, Alessandre estimait qu'il n'avait rien à faire ici. La paix, cette sacro-sainte paix que son père avait toujours défendue, lui avait arraché sa sœur sans que personne à la couronne ne réagissent. Les terres de Tallen étaient des boucliers mais ils n'avaient pas à tout sacrifier pour ce monarque qui ne méritait pas la couronne seinant son front.

Alessandre ouvrit la porte sans frapper, s'engouffrant dans les appartements. Comme Moose l'avait prédit, le vatner n'était pas seul, en témoignait les cris de plaisir qui raisonnaient. Le chevalier ne s'en formalisa pas, entrant dans la chambre comme une furie. Les mensonges des demoiselles changèrent d'octave, le délice se transformant en stupeur.

— Dégagez. Immédiatement, ordonna-t-il.

Elles ne tentèrent pas de répondre, n'essayèrent même pas de contredire le chevalier. Rassemblant leurs vêtements, elles déguerpir.

Huldr se redressa, son éternel sourire remplacé par un air contrarié qui n'allait pas avec son visage. Il se releva, attrapant le pichet de vin à côté de son lit, sen servant un plein verre. Nu comme un ver, ne semblant nullement se soucier des règles les plus élémentaires de la pudeur, le vatner releva les yeux jusqu'à Alessandre. Il ouvrit la bouche, prêt à poser des questions lasses mais l'ambassadeur ne lui en offrit pas l'occasion.

Son poing parti, rencontrant le nez d'Huldr qui explosa dans une gerbe de sang. Le cri de douleur du vatner n'arrêta pas la rage du griffon, pas plus que la vue du sang. Il frappa. Encore et encore. L'hémoglobine avait cet effet galvaniseur sur lui qui le forçait à s'enfoncer plus dans sa haine. Elle le rendait fou, elle l'attirait. Il voulait le faire couler plus encore. Il voulait tuer cette ordure de vatner. Il voulait lui faire payer ce qu'avait fait les siens. La rage l'habitait. Le contrôlait. Depuis elle, depuis leur rencontre, depuis ses serments, depuis ....

— Ser Alessandre !

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant