Chapitre 21.2, pour l'amour du griffon

154 31 13
                                    

Ils s'installèrent à la table qui avait été préparée dans les hauteurs des jardins, là où ils avaient vue sur la cité. Nova observa celle-ci, son regard se voilant de doutes tandis que les souvenirs de la balade au cœur de la ville lui revenaient. Cet homme les avait attaquées sans que la princesse ne comprenne pourquoi. Sa main semblait animée par un être supérieur dont la princesse ne savait rien. Et résonnaient à ses oreilles ces mots – Mageia est guide, Mageia est foi. Elle fronça les sourcils, tentant de comprendre quel mal pouvait bien toucher le monde.

La perte de pouvoir de la Couronne, les meurtres qui se multipliaient en Nokrov et gagnaient la cité de Talumen, la soudaine maladie de son père, et maintenant ce nom... Ce fanatique au visage de lion, qui était-il ? Qui vénérait-il ?

Mageia. Écho sourd et lointain dans l'esprit de la princesse, il faisait naître en elle de nouvelles inquiétudes, et l'absence de Sibille à ses côtés n'aidait pas.

— Votre Altesse ?

Nova tourna la tête vers Alessandre, rencontrant son regard et blêmissant légèrement. Elle se força à sourire, tentant de masquer son anxiété derrière une expression faussement joviale. Mais le griffon n'était pas dupe ; se penchant sur la table, il posa doucement sa main sur celle de la jeune fille, la faisant frémir à son contact.

— Qu'y a-t-il ? Vous semblez préoccupée.

Elle hésita. Elle avait promis à Sibille de garder le secret de leur escapade, et s'était jusqu'ici tue concernant les événements de la semaine précédente. Pourtant, les questions qui l'assaillaient lui pesaient, et le besoin de parler se faisait ressentir. La dame des Carmines, totalement sous le choc, s'était plongée dans le mutisme, comme la princesse l'avait fait avant elle. Et Nova se retrouvait seule avec ses doutes et ses pensées. Peut-être pourrait-elle se confier au Adiant...

— Êtes-vous digne de confiance, ser Alessandre ?

Il parut étonné par l'interrogation mais se fendit toutefois d'un sourire, hochant doucement la tête et se penchant sur la table.

— Bien entendu, princesse.

— Il est arrivé quelque chose, murmura-t-elle. Je n'en ai parlé à personne, mais... Sibille et moi avons été agressées il y a une semaine. Nous étions parties nous promener en ville, je devais voir mes sujets, voir qui ils étaient et sur qui je régnerai un jour... Mais un homme a tenté de me tuer, et elle m'a défendu. Elle l'a poignardé. C'est pour cela qu'elle reste enfermée dans ses appartements, la culpabilité la ronge.

Alessandre fronça les sourcils, ses doigts s'emparant de la main de la princesse pour en caresser doucement la paume. Dans les yeux du griffon s'était allumée une étincelle enragée, empreinte de colère. Du coin de l'œil, Nova vit la main libre du chevalier fermée, les jointures blanchies – était-il énervé à ce point que l'on ait attenté à sa vie ?

— Savez-vous qui était cet homme ?, demanda-t-il d'une voix percée de colère.

— Non... Son visage était masqué. Nous avons fui tout de suite après qu'elle l'ait tué. Mais je sais au nom de qui il œuvre, souffla la demoiselle.

Le regard du chevalier se plongea dans le sien, plein de questions. Nova déglutit, ses mains tremblant sous la nervosité tant celle-ci l'assaillait alors qu'elle se remémorait ce triste événement.

— Mageia, hésita-t-elle. J'ignore de qui il s'agit, jamais je n'ai entendu ce nom. Le savez-vous ?

— Je ne crois pas avoir déjà entendu ce nom, déplora le griffon. Mais je peux vous promettre une chose, princesse.

Nova l'interrogea du regard tandis qu'il se levait pour la rejoindre, enfermant sa main dans les siennes et s'agenouillant devant elle. Jamais le regard d'Alessandre ne l'avait tant brûlée, jamais elle ne s'était sentie considérée à un tel point. Elle, l'invisible, l'idiote, l'inutile princesse, enfin, existait au regard de quelqu'un. Elle plongea dans les yeux d'océan du chevalier, prête à s'y noyer, s'accrochant à ces iris comme si sa vie en dépendait. Sa poitrine se soulevait au rythme de son souffle devenu saccadé, son palpitant s'emballait dans sa cage thoracique. Elle l'entendait battre jusque dans ses tempes, et la voix du chevalier résonna sourdement à ses oreilles.

— Princesse Nova, au regard des Sides, je promets de toujours vous protéger. Je défendrai votre honneur, votre intégrité. Nul homme ne le fera avec tant d'ardeur que moi car je suis votre obligé. Et sous la lumière de Lux, sous l'ombre de Nox, dans le jour et dans la nuit, je suis vôtre. Mon épée est vôtre, mon honneur est vôtre, mon cœur est vôtre. Dès à présent, princesse, je vous appartiens.

Nova le regarda, les lèvres entrouvertes en quelques remerciements muets. Il était tant de choses qu'elle aurait aimé lui dire, tant d'amour qu'elle aurait aimé lui donner. Un sourire s'imposa à elle, faisant trembler la commissure de ses lèvres. Sa bouche semblait crispée par la stupeur, ainsi que chaque partie de son visage et de son corps. Sa main frémissait entre les doigts d'Alessandre et elle ne parvenait pas à détacher ses yeux noisette de l'océan de promesses qui habitait les iris du chevalier. Le cœur de la princesse était sien, désormais.

Alessandre était sien, Nova était sienne. Et le rêve de mariage d'amour semblait se rapprocher d'elle. Un fils de Talen, l'héritier plus encore, n'était-il pas un prétendant idéal pour la princesse héritière du trône de Talumen ?

— Ser Alessandre, murmura-t-elle.

Les yeux du chevalier s'ancrèrent un peu plus dans les siens tandis qu'il se redressait, s'approchant doucement d'elle. Elle pouvait sentir son visage s'embraser tant elle rougissait, et pourtant, rien ne lui importait plus que cet amour qu'elle sentait brûler au fin fond d'elle.

— Mon cœur est vôtre.

Ce fut son seul aveu avant que leurs lèvres ne se rencontrent. L'une des mains d'Alessandre vint caresser sa nuque avec douceur, prolongeant le baiser. Nova ferma les yeux, se laissant aller à cet amour qui l'inondait maintenant. Son cœur battait chaque seconde un peu plus fort, son souffle se faisait plus profond. Elle ne sentait plus rien, plus de douleur, uniquement la caresse délicate des lèvres du chevalier contre les siennes, sa main flattant son cou, et cette chaleur réconfortante au fond d'elle. Elle était l'enfant bénite de Lux, son Élue, et la Blanche avait adouci sa vie de ce simple amour qu'elle lui avait amené.

Alessandre s'écarta avec lenteur, ses yeux se rouvrant pour fixer le visage de la princesse.

— J'en prendrai grand soin, murmura-t-il.

Les dents de la jeune femme se dévoilèrent en un sourire gorgé de bonheur. Jamais elle ne s'était sentie si bien. Et alors qu'elle profitait du contact des mains du chevalier avec les siennes, de cet amour et cette joie partagés, un hurlement fendit l'air, provenant du palais. 

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant