Chapitre 16.1, entre frère et sœur

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ALYSSA

Alyssa s'était blottie entre les couvertures en plume d'oie, des traces de larmes pleins le visage, refusant que quiconque pénètre dans sa chambre. Elle avait pleuré toute la nuit durant et n'avait pas daigné se présenter au petit déjeuné. Elle sentait encore les mains du vatner sur sa peau, son regard lubrique glisser sur ses formes et elle avait passé la nuit à frémir au moindre bruit, terrifiée à l'idée qu'il pénètre dans sa chambre consommer ce mariage qu'on lui avait promis. Ce matin, elle avait la gorge sèche et les yeux lourds. Un terrible mal de crâne lui cillait la tête en deux mais elle préférait mourir que de sortir de sa chambre.

Vêtue en tout et pour tout d'une chemise de nuit trop légère, elle s'extirpa de ses couvertures pour se diriger jusqu'à une table poussée dans un coin de sa chambre, où elle avait passé de nombreuses heures plus jeunes à tenter de recopier et d'apprendre ce que son instructeur essayer de faire entrer dans sa cervelle, obstrue à tout ce qui n'était pas militaire. Elle s'assit, attrapant une plume d'oie et ouvrant une petite bouteille d'encre. Alyssa étala un parchemin sur la table et entreprit d'écrire, adressant sa missive au seul qu'elle pensait encore capable de la sauver. Mais Alessandre était loin, occupé à cette capitale qu'elle ne connaîtrait jamais. Helvar allait l'emporter dans ses îles et elle ne sortirait plus du château ou du taudis qu'il appelait foyer. Elle n'était pas prête à se marier, encore moins à quitter les siens.... Ses rêves de grands départs se faisaient dans le silence, avec la lune comme seule témoin et un sourire immense sur les lèvres. Pas les yeux gonflés et le cœur meurtrie.

Un petit coup contre sa porte la tira de la missive où elle confiait toute sa peur et sa tristesse, vomissant ses sentiments à travers l'encre qui lui tachait déjà la main. Elle n'avait jamais été appliquée et son sursaut ne l'aida pas plus. Alyssa se retourna vivement, attenant un second coup qui témoignerait de l'identité de celui derrière la porte. Il ne se fit pas attendre, suivi d'un bref doublée.

Elle bondit immédiatement de sa chambre et le battant n'eut pas le temps de finir de s'ouvrir qu'elle bondissait déjà dans les bras de son frère. Isendre était là lui. Il avait beau être un bâtard et afficher ses traits Adiant comme un affront aux enfants légitime du seigneur des lieux, il était là. Ses bras protecteurs s'entourèrent autour des épaules de la jeune fille et il la serra fort contre son cœur.

-Ils veulent me marier, murmura Alyssa, à cette espèce de brute de vatner....

-Les cuisinières arrêtaient pas d'en parler ce matin, répondit-il en la serrant un peu plus fort. S'il touche ne serait-ce qu'à un de tes cheveux....

Un rire faux glissa des lèvres de la Adiant. Qu'est-ce que pourrait faire Isendre ? Il était bon à l'épée, ce n'était un secret pour personne. Mais il n'était qu'un bâtard, plein d'honneur et de grandeur. Il se ferait marcher dessus en quelque secondes par l'insulaire s'il tentait de le combattre. Alyssa releva la tête, attrapant le regard plein de courage de son frère et un pauvre sourire ourla son visage.

-Ne va pas te mettre en danger. Tu te souviens de ce que nous disait le maître d'arme ? Réfléchit avant d'attaquer Isendre ou tu vas te faire fracasser ta tête de piaf.

Son frère éclata de rire avant d'ébouriffer la crinière d'Alyssa. Cette dernière, fidèle à ses habitudes, grogna, plus pour la forme que parce que le geste la dérangeait vraiment. Sa complicité avec le bâtard de son père avait fait hurler sa mère mais la jeune fille n'avait que faire des sifflements de la vipère. Elle préférait vivre et tenter d'attraper quelques bouffées d'air pur.

-Allez enfile une tenue princesse. Je veux finir ton apprentissage avant que tu finisses entre les mains de ce salopard.

-On va se battre ? demanda Alyssa, des étoiles brillant déjà dans ses yeux.

-J'ai quelques passes à t'enseigner.

Immédiatement, le visage de la jeune fille s'illumina et elle bondit jusqu'à son armoire, sortant la première chemise et le premier pantalon qui tombaient entre ses mains. Sans la moindre pudeur, elle enfila ces derniers avant de chausser une paire de bottes à la semelle plate. Sa mère, ou toutes autre femme de Port Mauer, exploseraient de rage en la voyant ainsi vêtue, le cheveu ébouriffé et la tenue masculine mais elle n'en avait que faire. Ils lui volaient tout ce qu'elle avait alors elle comptait bien profiter de ses dernières journées libres. Abandonnée la missive à son frère. Alyssa attrapa seulement un morceau de bois taillé pour attacher sa longue chevelure et son sourire contagieux agrippa les lèvres d'Isendre alors qu'elle lui emboîtait le pas.

Le château était silencieux, plus encore que d'habitude. Les vatners avaient jeté un froid gigantesque sur le lieu. Jamais de tels invités n'avaient osé franchir les murs de Port Mauer autrement qu'enchaînés. De mémoire de griffons, personne n'avait jamais considéré ces brutes comme des hommes. Même les statues représentant le blason des Adiant, ouvragées à la naissance de l'illustre maison semblaient étonnées, encore plus par la nouvelle du mariage. Alyssa priait, secrètement, pour que cette dernière ne franchisse pas les terres de Talen. La mésalliance était de taille et choquerait certainement jusqu'au roi.

Isendre fut le premier à entrer dans le cercle de sable que formait l'arène des chevaliers. Il jeta une épée en bois à sa soeur qui l'intercepta avec adresse, se mettant déjà en garde. Son pied droit se recula légèrement alors que son visage perdait toute son innocence pour n'y gagner que de la concentration. Alyssa se battait étrangement, loin du code d'honneur des chevaliers. Elle parait à l'envers, frappait le dos et n'hésitait pas à parler pour déconcentrer son adversaire. Isendre avait beau hurler qu'elle ne respectait aucune règle, elle se gaussait de gagner en toute circonstance.

Lui salua alors qu'elle restait droite comme un I, ses iris ne lâchant pas les mouvements de son frère. Un sourire fleurit sur les lèvres du bâtard avant qu'il ne se fende en avant, mouvement qu'Alyssa évita avec souplesse. Elle enchaîna, sans lui laisser le temps de retrouver sa place par une passe qu'il para avec habilité. Le regard de combattant s'accrocha avant qu'ils ne se lancent dans une danse dont eux seuls maîtrisaient les pas. Ils se battaient ensemble depuis tant d'années que leurs gestes semblaient synchronisés. Seul l'œil avisé aurait remarqué le pli de concentration sur le visage de la jeune fille et les mouvements compliqués qu'elle obligeait à son épée, qu'elle tenait de la main gauche. Un maître d'arme aurait hurlé sans qu'elle ne daigne lui accorder un regard. De la pointe de sa lame, elle visa l'échine mais un simple pas de côté de son frère l'éloigna de son flanc. Il passa dans son dos et elle sut qu'elle avait perdu au moment même où elle entendit le sable se soulever de l'arène. Isendre bondit, vif comme l'éclair et abattit son épée sur son dos. Un glapissement s'échappa des lèvres d'Alyssa alors que le coup la jetait au sol.

Elle se releva pourtant vivement, se contentant d'une roulade. Isendre avait gagné mais ils avaient l'avantage de s'entraîner avec des épées et bois et les deux n'avaient jamais compté les victoires, seulement les nouveaux mouvements. Ses sourcils se froncèrent, ligne sombre au-dessus de ses yeux de glace. Elle recula, le laissant percer sa garde avec facilité pour mieux s'échapper et frapper le bras droit de son adversaire. Bon prêtre, il le glissa dans son dos pour mieux continuer la danse. Un jour, Alyssa se battrait avec du fer et le ferait chanter. Pour l'heure, elle jouait de ses pieds, suivant un cercle parfait autour de sa proie d'arène. Aussi patiente que le félin, elle écoutait les conseils qui raisonnaient dans son esprit. Attend. Et au moment opportun, bondit. En combat, tu n'auras pas le temps d'épuiser ton adversaire car tu seras toujours plus faible que lui. Dès qu'une brèche s'ouvre, engouffre-toi en elle et frappe, frappe et frappe encore ! Jusqu'à le faire mourir dans son propre sang. Alors elle attendait, elle dansait, ombre mouvante au-dessus du sable blanc de l'arène.

Puis elle bondit et toucha.

Nokrov, Tome 1 : Les Ombres du Pouvoir (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant