Chapitre 23

245 19 10
                                    

Mélanie est rentrée peu avant l'aube, après nous avoir offert quelques heures d'angoisse, il fallait l'avouer. Nous n'avions pas eu le cœur de réveiller Ian, qui avait rattrapé son sommeil. Il fallait bien que l'un de nous soit alerte et reposé pour reprendre la route. Jared était resté debout toute la nuit, incroyablement immobile et stoïque dans son fauteuil, modèle de contrôle de soi. Seule la tension de son corps, perceptible uniquement car je le connaissais bien, trahissait son angoisse.

Moi, je m'étais vaguement assoupie par à-coups, sans vraiment dormir d'un sommeil réparateur. Nous sommes donc repartis, ce matin là, propres, présentables et le ventre plein, mais fatigués et las.

Mel, au moins, semblait aller mieux. Elle était réapparue les joues rosies par le mordant de la nuit, les cheveux emmêlés par le vent, mais beaucoup plus calme. Elle avait fondue sur Jared immédiatement, et je m'étais éclipsée pour les laisser à leur réconciliation.
Dans le véhicule, elle était moins tendue, moins impatiente. Elle n'appréciait toujours pas les heures à rester assise sur son siège, mais elle les supportait bien mieux. Elle semblait avoir fait un point avec elle-même. Je ne savais pas ce qu'elle avait été faire, cette nuit là, et je n'avais pas vraiment trouvé le temps de l'interroger, l'intimité était encore plus relative durant les raids que dans les grottes.

La ville dans laquelle nous nous sommes rendus ensuite était bien plus grande que toutes celles que nous avions traversé jusqu'alors, et il y avait beaucoup plus d'âmes dans les rues et les commerces. Les nerfs de Jared étaient mis à rude épreuve, et je ne pouvais m'empêcher de remarquer les petits coups d'œils réguliers qu'il jetait à Mélanie. Heureusement, nous étions un groupe bien rôdé, et les risques pris ont payés : j'ai pu me procurer une pile entière de livres sur la médecine extraterrestre. Nous n'avions pas perdu notre temps.

Tandis que nous revenions sur nos pas par des routes moins fréquentées, tout en continuant à s'arrêter ça et là dans diverses petites villes rencontrées sur le chemin, j'essayais de lire ces ouvrages médicaux, sans rien y comprendre cependant. Ils étaient clairement destinés à des Soigneurs déjà formés. Comme je ne comprenais pas les textes et leurs mots techniques, je regardais les images et les photographies qui illustraient chaque page. Lorsqu'il ne conduisait pas, Ian les regardait avec moi, visiblement fasciné. J'imaginais alors les expression de Doc, Jeb ou encore Jamie face à de telles merveilles, et je me sentais sourire.

Bientôt, la camionnette fut bien remplie, et il ne fut plus question de récupérer des objets encombrants. Je prenais des petits articles, en petite quantité, pour ne pas éveiller les soupçons. Ici quelques piles et des barres de chocolat, là des stylos et quelques sodas, ailleurs encore des conserves et du ruban adhésif. Dans une petite station essence au bord d'une route, j'avais ensuite déniché des posters, des cartes postales et diverses affiches. Je les avais pris, et devant l'air interrogatif de Jared, j'avais marmonné que cela pouvait peut-être égayer nos murs de pierre. Ce à quoi il avait répondu que l'intention était louable, mais que comme nous vivions la plupart du temps dans la semi-obscurité, embellir nos grottes n'était pas une priorité. Je me suis sentie idiote, après ça, et c'est Ian qui m'a réconfortée.

J'avais émis le souhait de garder la radio allumée tant que nous la captions. Je savais que mes camarades n'appréciaient pas les médias des âmes, qu'ils s'en agaçaient rapidement, mais étonnamment, personne n'a bronché, et la radio fonctionnait en sourdine tandis que nous roulions. J'écoutais attentivement, sur plusieurs stations, mais jamais je n'ai entendu le timbre de Douce-Fourrure. J'écoutais la musique (essentiellement des morceaux instrumentaux, très doux, ou des chansons aux paroles sans heurts), les informations et les petites émissions en direct, comme: 

« Bienvenue aux auditeurs qui viennent de nous rejoindre ! Je suis Souffle-Mille-Couleurs, et je vais vous parler de la meilleure façon de prendre soin de votre hôte vieillissant ! »

« Si vous venez d'arriver sur Terre, notre experte Pétales-Dorés vous sera d'une grande d'aide. Elle est à l'antenne avec nous pour parler des émotions humaines et de la meilleures façon de les appréhender. »

« Le temps se réchauffera dans les jours à venir ! N'oubliez pas de vous protéger la tête lorsque vous sortez, et de garder votre peau protégée ! N'hésitez pas à vous rendre dans le centre de soin de votre ville pour demander des conseils ! »

Mel roulait des yeux, souvent, mais n'osait pas dire un mot. Elle savait pourquoi je tenais tant à la radio, et je pense qu'une partie d'elle était curieuse d'entendre Douce-Fourrure nous parler de son enfant humain.

Nous roulions à présent sur de petites routes presque désertes, en route pour récupérer la réponse du groupe de Nate. Je m'étais occupée de remplir d'essence le réservoir dans la dernière station que nous avions rencontré. A présent, seul le sable du désert bordait la chaussée. L'impatience de notre groupe devenait presque palpable : il faudrait encore quelques jours de voyage, mais nous serions bientôt rentrés.

«C'est l'heure de notre bulletin d'information, avec Nuages-Sur-L'horizon. Alors, Nuage, quelle est l'information principale du jour ? » A demandé d'un ton affable la voix grésillante qui sortait de la radio. Plus nous nous éloignons, moins nous captions.

«Et bien, c'est un peu inhabituel aujourd'hui, nos scientifiques désirent en effet prévenir la population des risques de séismes dans les semaines à venir ! »

J'ai sursauté en entendant le mot. Des séismes ? Mais je semblais bien la seule inquiète : si mes compagnons s'étaient tournés avec attention vers la voix désincarnée, aucun ne semblait trop soucieux. Mel à même levé les yeux au ciel, une énième fois, en grommelant quelque chose qui ressemblait fort à « Manquait plus que ça ».

«Rien d'inquiétant », a reprit Nuage, «ils devraient être relativement modestes. Cependant, nous ne pouvons les prévoir avec exactitude, cette planète est pleine de surprises ! Mais, si vous suivez ces conseils, rien ne pourra vous arriver... »

J'ai cessé d'écouter Nuage qui expliquait d'une voix calme la démarche à suivre en cas de secousses. J'ai cherché Ian du regard, et il a prit ma main en la serrant, pour me rassurer.

- Ce n'est rien, Gaby, cela peut arriver dans la région.

- J'en ai déjà connus, plus jeune, à ajouté Mel d'un ton désinvolte, tu devrais t'en souvenir.

- Oui, d'accord, mais un tremblement de terre, dans les grottes...

- Elles sont anciennes et solides, a répondu Jared, en joignant la conversation. Pas de quoi se faire de la bile. On préviendra Jeb, mais je pense qu'elles ont connues bien pire.

Je me suis mordu la lèvre et je n'ai rien répondu. Ils semblaient tous sûrs de ce qu'ils avançaient. Moi-même, je ne savais pas trop si ma peur venait réellement de moi ou du corps de Petty. J'ai tenté de me raisonner : l'information était diffusée pour ne pas que les âmes s'inquiètent, mais dans les faits ce ne serait sûrement d'une vague secousse que nous risquions. Les âmes sont extrêmement prudentes.

Je suis restée perdue dans mes pensées le reste du trajet. C'est Jared qui est partir recueillir le mot de Nate, en quelques minutes seulement.

- C'est arrangé. Il faudra sûrement qu'ils partent juste après notre retour.

Il ne nous restait plus qu'à rentrer. 



Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant