Chapitre 88

104 14 6
                                    

Kyle dormit longtemps, de longues heures qui s'étirèrent pour former une journée entière. Candy m'assurait que c'était un phénomène normal ; que son organisme prenait le temps de sommeil dont il avait besoin, tout simplement, mais je refusais néanmoins de le quitter, hormis pour allez aux toilettes ou pour me laver rapidement et, dans ces moments-là, je laissais toujours quelqu'un à son chevet.

Dans les grottes, je savais que la grogne n'était pas retombée. Malgré une bonne nuit de sommeil pour la plupart des habitants, les tensions ne s'apaisèrent pas. La peur les rongeait tous, insidieuse et suffocante. Certains pensaient encore que Kyle pouvait être un Traqueur infiltré, et ce même en ayant vécu auprès d'une âme. J'avais vu les yeux de Kyle, nous avions tous constaté qu'il était toujours humain et lui-même, mais la terreur domine souvent la raison, et c'est ce qui se passa dans ce cas. Le temps seul saurait apaiser les craintes.

D'autres, plus pragmatiques, reconnaissaient volontiers que Kyle était bien Kyle, mais ils avaient peur qu'il ait pu être repéré et suivi. Au vu de l'état de faiblesse qui était le sien lorsqu'il avait été retrouvé, il était déjà miraculeux et insensé qu'il ait parcouru tant de chemin pour nous retrouver, mais il ne s'était sûrement pas offert le luxe de se faire discret ou prudent. Tel était le raisonnement de certains parmi nous, et ils s'attendaient à entendre le bruit des pales des hélicoptères au-dessus de nos têtes à tout instant. Mais, encore une fois, le temps seul leur donnerait raison – ou tort.

Au vu de l'état de paranoïa ambiant et du risque relatif à tenter une sortie, le raid qui était prévu dans les jours suivants fut annulé. Nos réserves de nourriture et de médicaments n'étaient pas encore à un stade critique, et Ian avait été soulagé à l'annonce de la nouvelle, car cela aurait dû être le premier raid pour Vagabonde depuis qu'elle avait réintégré son corps, et Ian la pensait encore trop faible pour s'aventurer au-dehors. C'est Gaby elle-même qui me racontait tout cela, lorsqu'elle m'apportait mes repas sur un plateau. Elle était partagée entre le soulagement et la frustration, car si elle ne pouvait nier que la situation l'inquiétait, elle avait désespérément envie de se sentir utile de nouveau.

Je m'attendais presque à voir des curieux défiler à l'infirmerie, mais ce ne fut pas le cas, et Gaby mentionna en passant que Jeb n'y était pas pour rien. Ainsi, en vingt-quatre heures, je ne vis que Gaby et Candy, ainsi que Jared et Mélanie, beaucoup plus brièvement. Le seul incident à relever se déroula au milieu de la nuit, alors que je m'étais assoupie contre Kyle. J'avais rapproché ma paillasse de la sienne, les collant l'une à l'autre, et en m'endormant je m'étais affaissée sur le côté, passant de la position assise à la position allongée, mon front contre le nez de Kyle. Je me souvenais que son souffle, lent et régulier, chatouillait ma peau à chacune de ses expirations, et que ce petit signe de vie m'avait remplie de bonheur, alors même que j'étais encore à moitié dans les bras de Morphée. Puis je m'étais figée, soudain consciente d'avoir été réveillée par un bruit non loin de moi. Immobile, le cœur battant la chamade, j'avais gardé mes paupières closes, écoutant avec attention. A travers elles, je percevais une vague lueur, et je sus que la personne qui venait d'entrer dans l'infirmerie portait une lampe. « Alors c'est vrai », entendis-je. La voix m'était familière, mais je l'identifiai surtout à cause du ton employé, monocorde et terne. « C'est vraiment vrai », répéta la voix de Sharon, mais cette-fois je devinai colère et rancœur qui suintaient de ses mots.

Elle n'avait rien ajouté. Elle s'était tenue là, silencieuse, puis avait tourné les talons, et le bruit de ses pas s'éloignant m'avait laissée tremblante et apeurée. J'avais appris à ne plus craindre les humains, mais Sharon me terrifiait plus que quiconque. Quand elle se contenter d'errer, le regard vide, j'arrivais à la prendre en pitié et à me sentir désolée pour elle, mais lorsqu'elle laissait entrevoir sa haine et son dégoût pour mon espèce...

Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant