Chapitre 29

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Lorsque je repris connaissance, je n'étais pas désorientée. C'était l'un des avantages de la médecine des âmes. Je me sentais reposée, l'esprit un peu plus clair que lorsque je m'étais endormie. J'ai porté ma main à mon visage, et j'ai senti que ma lèvre avait reprit sa taille normale. Mon corps m'élançait encore par endroit, mais je savais qu'il s'agissait seulement des muscles et que la sensations s'estomperait. J'ignorais l'heure qu'il était, mais il faisait très sombre, et les ronflements de Doc résonnaient avec régularité dans la pièce. J'ai tâtonné autour de moi, appelant à voix très basse « Ian ? », mais je n'ai pas eu de réponse. 

- Il est repassé un peu plus tôt, mais il n'est pas resté. Lui et Madison voulaient terminer de nettoyer les matelas des chambres, pour ne pas dormir dans la poussière.

J'ai vivement tourné la tête vers la voix, que j'avais identifiée comme celle de Grâce. Mes yeux s'habituaient doucement à l'obscurité, malgré tout je ne distinguais d'elle qu'une vague forme. Elle semblait assise, les genoux ramenés vers elle. Elle a bougé, et quelques instants plus tard, elle avait allumé l'une de nos petites lampes, qu'elle a posé devant elle. Ainsi éclairé, son visage détruit me faisait frissonner comme jamais, mais je me suis sagement tenue, cette fois-ci, et je n'ai rien laissé paraître. 

- Ça ne m'étonne pas vraiment, ai-je réussi à murmurer, consciente qu'il serait impoli de ne pas répondre. Je comprenais la démarche de Ian, mais son absence à mon réveil me blessait. Je ne lui dirais pas, toutefois, car c'était un sentiment égoïste, que je ne devrais pas ressentir. Endormie, je ne faisais pas la différence entre sa présence et son absence, c'était évident qu'il devait profiter de mon sommeil pour aider au nettoyage.

- C'est un bon, ton Ian, a commenté Grâce.

- Pardon ?

- C'est une chose d'apprendre à cohabiter avec l'envahisseur, c'en est une autre de développer une relation amoureuse avec une autre espèce... Et encore une autre d'être si prévenant envers toi !

J'ai frissonné en entendant le mot « envahisseur ». Je savais qu'il était mérité, et Mélanie m'avait gratifiée de bien pire, au début, mais je ne tenais pas à revivre cette période de haine et de méfiance vis-à-vis de moi. 

- Tant que j'habite ce corps, je suis autant âme qu'humaine, ai-je protesté faiblement, malgré la peur qui me nouait toujours le ventre.

- Relax ! Elle a éclaté de rire, sans parvenir à réveiller Doc pour autant. « Je sais comment ça marche. Je connais Rott depuis... un moment. » Un drôle de rictus a déformé sa bouche. «Je sais aussi que vous ne pensez pas faire le mal ou quoi que ce soit, tout comme je sais que ce n'est pas facile de cohabiter, au début. »

J'ai observé un instant de silence, en imaginant l'arrivée de Rott dans le groupe de Nate. Comment s'étaient-ils rencontrés ? Dans quelles circonstances ? Rott avait-il du composer avec autant de haine et de violence que moi au début ? Plus, moins ? Et comment des liens avaient-ils finis par se former ? Moi, j'avais eu la chance d'avoir Jeb de mon côté, mais sans lui, ma vie aurait été autrement plus courte... Toutes ces questions me brûlaient les lèvres, mais je n'osais pas les poser, pas à Grâce, du moins. Comme le silence m'inconfortait, j'ai tenté de détourner la conversation, maladroitement.

- Madison aussi à l'air très gentille. Et très attachée à toi.

- Ah, Madison... Son regard s'est adouci, et elle m'a parue moins menaçante. «Madison est plus que ce que je ne mérite. »

- Je comprends, ai-je répondu, et c'était vrai. « Pourquoi... » J'ai laissé ma question en suspend, incertaine de la réaction qu'elle provoquerait, mais Grâce sembla lire dans mes pensées.

- Pourquoi ne s'affiche-t-on pas autant que vous autres dans ces grottes ? Mais parce que nous autres humains avons connu un monde où chacun se mêlait de la vie privée des autres ! Elle a rit à nouveau, mais ce rire me paraissait amer. « Beaucoup des nôtres ont décrétés que des relations entre deux femmes ou deux hommes étaient contre natures. On nous regardait différemment. On nous insultait, on nous agressait. Peut-être certains d'entre vous gardent cette façon de penser. Madison n'aime pas se cacher, mais je n'aime pas prendre de risques inutiles. »

- Venir ici, ce n'était pas un risque inutile ?

- Je l'ai fait pour elle. Elle en avait envie.

Je n'ai rien répondu. Je réfléchissais à toute allure. Cela me paraissait insensé de reprocher à quiconque sa façon d'aimer, à partir du moment où aucun mal n'était causé. J'étais terriblement frustrée par la mémoire de mon hôte, qui n'avait été humaine que très peu de temps, et qui n'en gardait pas beaucoup de souvenirs. Je tentais de mobiliser ceux qu'il me restait de Mel, de me représenter le monde qu'elle avait connu et que Grâce me décrivait, mais je n'arrivais à rien, je ne m'étais pas intéressée à ces souvenirs lorsque j'étais dans le corps de Mel. J'étais comme une enfant, sur ce sujet. 

J'aurais aimé pouvoir affirmer à Grâce qu'elles ne risquaient rien, mais ce serait mentir. Je pensais au tempérament colérique de Kyle et à sa haine initiale envers moi, je repensais à Maggie et à Sharon qui n'avaient pu se résoudre à mettre la leur de côté, je pensais à l'hôte de la Traqueuse... Comment aurai-je pu affirmer qu'il n'y avait pas de danger ? Je connaissais trop bien les réactions insensées des humains. J'ai  soudain ressenti l'envie d'en parler avec Ian, avec Mel, et j'ai regretté notre harmonie mentale une fois de plus. 

Le silence s'éternisait, et je ne savais que dire, que faire. M'endormir me paraissait impossible, réveiller Doc me paraissait égoïste et inutile, et j'ignorais ce que faisais Candy. Je ne me sentais pas non plus la force de me lever pour partir à la recherche de Ian ou de Mel...

- On dirait que tu es coincée avec moi jusqu'à ce qu'ils reviennent, a noté Grâce à côté de moi. «Mais l'inverse est également vrai. Passons le temps comme nous pouvons ! Tu as sans doute des questions à me poser ? »

Je l'ai regardé, incertaine. Si sa première remarque était narquoise, sa proposition de la questionner avait été énoncée d'une voix plus douce, plus avenante. Et c'était vrai, j'avais énormément de questions pour elle, même si je n'oserais pas toutes les poser. Avec un soupir, j'ai rendu les armes : elle m'intimidait encore terriblement, mais elle avait raison, autant s'occuper et apprendre à nous connaître. 

J'ai commencé par une question parmi les plus anodines :

- Qu'est ce que vous mangez, chez vous ?

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Et voilà pour cette semaine! Les chapitres qui arrivent on tendance à être vraiment longs, donc j'essaie parfois de les couper en deux pour rester régulière sur les longueurs publiées (et ça me donne du temps pour, parfois, modifier quelques bricoles sur le chapitre suivants, j'en suis jamais satisfaite ^^'), mais attendez vous à quelques chapitres beaucoup plus longs dans les semaines à venir! :)

Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant