Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]

Chapitre 49

Le corps de Petty. Je ne pouvais plus dire « Le corps de Gaby », alors que Gaby ne s'y trouvait plus. D'un autre côté, Petty ne l'habitait plus depuis longtemps non plus. Et Gaby ne m'avait jamais dévoilé le nom originel de l'hôte, son nom humain. Je ne savais même pas si elle le connaissait. Elle m'avait confiée que Petty avait été insérée dans un corps très jeune, et qu'il y avait très, très peu de souvenirs humains dans ce corps...

La jeune fille à qui aurait du appartenir cette jolie frimousse était perdue depuis trop longtemps. Pourtant, à la contempler, avec ses paupières closes, ses boucles blondes étalées sur l'oreiller, et cet air si apaisé, si serein, je m'attendais presque à la voir se réveiller à tout instant.
J'avais oublié combien ce corps était beau, et combien il était fragile. Gaby l'avait pourtant renforcé, développant les muscles, travaillant le souffle, et elle l'avait habitée d'une force incroyable, mais maintenant qu'elle n'était plus là pour lui donner vie, ce que je voyais était tout ce qui restait : une petite créature pâle qui semblait en porcelaine, comme un ange qui était venu s'échouer ici-bas.

Gaby avait prit grand soin de cet organisme, cela se voyait. Les petites mains soignées, la peau douce et parfaite, les cheveux brillants malgré l'absence de lumière...

Des patchs transparents, à peine visibles sur la peau blafarde, étaient collés aux creux de ses coudes. Je me suis tournée vers Candy, qui se tenait, silencieuse, à côté de moi. Cela me permettait aussi de détourner mes yeux de la scène, qui était bien plus dure à regarder que je ne le pensais.

J'ai tendu mon doigt vers les patchs, délicatement, incapable de parler. Candy a suivi mon regard, d'abord l'air perplexe, puis a comprit mon interrogation silencieuse.

- C'est ce qui permet de la nourrir et de l'hydrater, expliqua la jeune médecin très doucement. «C'est une chance que d'en avoir. Ils ont été rapportés lors de... L'avant-dernier gros raid, je crois ? C'est Jared qui m'avait directement apporté le carton. Je n'avais pas compris leur utilité, au début. C'est Doc qui... »

Sa voix se brisa au milieu de sa phrase, qu'elle ne finit pas. Une vague de tristesse m'envahit. Je connaissais mal Doc, il m'intimidait un peu, mais il avait toujours eu l'air bienveillant, et s'était toujours montré très doux avec moi. De plus, je ne pouvais qu'être sensible à sa vocation : celle de soigner les autres, de les soulager, par tous ses moyens. Cette simple information suffisait à me convaincre que Doc était une bonne personne, bien loin de l'image initiale que je me faisais des humains.
Candy ne retrouvait pas le fil de ses pensées. J'ai tenté de la distraire, de l'aider à se concentrer sur autre chose que sa peine immense. Il y avait encore tellement de peine, tellement de douleurs dans ces grottes !

- Tu pourrais m'expliquer ce qu'elle a, s'il te plaît ? Et... Ce qu'il va se passer ?

Mon ton était un peu hésitant, mais Candy releva la tête vers moi, et hocha la tête, compréhensive. J'avais réellement besoin de connaître les détails, de comprendre...

Elle se rapprocha encore du lit du camp, et avec une extrême douceur, souleva la nuque du petit corps et en dégagea sa belle chevelure. Elle me montra un point particulier, non loin de la fine cicatrice rosée qui courait sous les cheveux.

- Là, tu vois, est le point le plus fragile pour vous. La désinsertion d'une âme... C'est quelque chose de rarissime, il faut une énergie énorme pour la provoquer. De gros accidents, en général. C'est d'autant plus rare que vous êtes si prudentes et mesurées... Je ne sais pas exactement comment ça s'est passé. Mes souvenirs sont flous. Mais je pense que les secousses, les pierres qui pleuvaient sur nous, et sa chute...

- Elle avait été frappée, avant, me rappelais-je, peinée. « Est-ce que ça a pu jouer ? Fragiliser quelque chose ? »

- Je n'en sais rien, avoua Candy, piteusement. «Peut-être. On ne saura jamais. De toute façon, une chose est certaine : une âme est faîte pour restée accrochée à son hôte. Le simple traumatisme physique ne suffit pas à enclencher le phénomène. Il faut aussi que le corps soit abîmé, malmené... Tout comme l'âme... C'est un peu comme une réponse réflexe du corps, qui rejette l'âme, qui elle-même est comme sonnée, et ne peut lutter... »

Je regardai Candy. Quel savoir elle détenait !

- Comment sais-tu tout ça ? Demandais-je, en espérant ne pas être impolie. « Je suis désolée si cette question t'importune. C'est juste que... »

- Ne t'en fait pas, Soleil. La majorité de mon savoir me vient de... De sa mémoire. Celle d'Aurore. L'âme qui était en moi. Mais c'est flou, parfois. Je réactive énormément grâce aux livres de médecine que Gaby nous avait apporté...

Une fois de plus, elle sembla se plonger dans ses pensées. Elle avait reposé la tête du corps... Du corps de Gaby, et palpait avec légèreté son abdomen.

- J'ai eu peur, tu sais. Peur que Vagabonde, l'âme, ne soit blessée également. C'était une chose que de lui faire subir, une nouvelle fois, une insertion traumatique... Et c'était un premier soulagement que de la voir se lier à nouveau à Mélanie, même si lentement... Mais attendre leur réveil...

- Je me souviens, soufflais-je, me remémorant les longues nuits d'angoisses, à craindre de les avoir perdues toutes les deux.

- Enfin... Répondit Candy. «Pour le moment, je ne peux pas envisager de rendre ce corps à Gaby. Il a subi des blessures. J'en ignore peut-être même certaines. Là-dessus, je n'ai guère de souvenirs pour m'aider. Les âmes utilisaient leur technologie pour détecter les problèmes et les soigner. Moi, ici, je ne l'ai pas, cette technologie, alors je dois recourir à la médecine humaine, ancienne. Mais j'en connais si peu, et elle n'est bien entendu pas apprise dans les livres des âmes... Doc m'avait apprit un peu... S'il était là... Désolée, je suis désolée. Tu vois, c'est lui qui m'a montré comment effectuer ces gestes. Je surveille tout ce que je peux surveiller, tous les jours. Sa respiration, son pouls. Je fais bouger ses membres, pour entretenir les muscles et les articulations, mais je ne peux pas faire grand-chose de plus, et j'ai l'impression que ce n'est pas assez.

- Et... Qu'est ce qu'elle a ? Ai-je demandé, bien malgré moi.

J'avais peur, peur d'entendre à quel point le corps de mon amie avait été malmené, peur de ce que ces blessures pourraient signifier, mais je devais le savoir. Je ne voulais plus être tenue à l'écart, surprotégée du monde extérieur. Je faisais partie du monde extérieur.

Candy a paru hésiter, mais elle a cédé.

- Des fractures, pour commencer. Nous avons quelque chose pour ressouder les os, mais c'est sous forme de gélule, je ne peux pas lui faire avaler. Pas mal de coupures et de bleus, des plaies, qui ne sont pas les plus compliquées à traiter. Musculairement parlant, c'est difficile à dire. Et puis... Il y a sa tête.

- C'est pour ça que tu ne peux pas la réintroduire dans son corps ?

Candy haussa les épaules, impuissante.

- Dans l'immédiat, je ne suis pas certaine que les fonctions cérébrales soient conservées. Il serait injuste d'imposer un corps trop blessé à Gaby. Et même si son cerveau allait bien, pour le moment, le corps est encore trop meurtri, il se répare comme il le peut, mais c'est une bonne chose qu'aucune conscience ne l'habite, à cause de la douleur potentielle...

Je ne répondis pas, laissant le silence s'installer. Je réfléchissais à tout ce que Candy venait de me confier. Elle avait un peu hésité, mais finalement, n'avait pas tenté de m'épargner inutilement, et avait fait au mieux pour que je comprenne ce dont elle me parlait. J'aimais cette attitude. Kyle était très protecteur envers moi, mais un peu trop, justement. Or, je n'avais pas besoin d'être protégée, pas sur ces choses là. Je désirais connaître la vérité, être lucide face aux évènements.

- Candy ?

- Oui ?

- Merci. Pas seulement pour notre conversation, là, maintenant, mais pour tout ce que tu as fait et continue de faire, et pour trouver la force de continuer à prendre de soin de nous malgré les... Circonstances.

Elle a paru surprise, mais touchée. Un sourire fantomatique a étiré ses lèvres pâles, et j'ai senti mon cœur se réchauffer.