Chapitre 33

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Trop d'événements s'étaient déroulés en trop peu de temps. J'avais trop à réfléchir, je remettais tout mon petit monde en question. Je repensais aux conversations avec Grâce, avec Douce-Fourrure et avec Doc, et j'essayais de concilier toutes ces visions du monde ensemble, sans y parvenir. 

- J'essaie de déterminer ce en quoi je crois, ma façon de penser, mais plus rien n'est clair, tentai-je alors d'expliquer à Ian, qui m'avait finalement rejoint avec de quoi manger.

- Cela t'a tant retournée, de comprendre que Grâce et Madison sont ensemble ? Mel m'a raconté.

Pour me donner le temps de répondre sans trop me trahir, j'ai enfourné une grosse bouchée de pain. Ian n'était pas au courant de mon altercation avec Grâce, ni de la teneur de ma conversation avec Doc, par conséquent, et je ne tenais pas à l'embêter avec ces futilités. Mais il semblait déjà flairer l'incohérence, il savait bien qu'être témoin de l'amour de deux femmes ne pouvait pas expliquer une crise existentielle.

J'ai repris la parole avant d'avoir complètement fini ma bouche, espérant étouffer le mensonge :

- Non, pas tant, c'est surtout... L'accumulation. Je pense encore beaucoup à Vit'âme. Et il y a toujours Kyle et Soleil ! Je ne vois pas comment les aider...

Là, je me suis sentie penaude. La vérité, c'était que le cas de Soleil m'avait moins occupé l'esprit que Vit'âme, ces derniers temps, et je m'en sentais un peu coupable. Si je n'avais pas surpris d'autres disputes, rien ne semblait avoir vraiment évolué avec Kyle. Soleil n'était pas revenue vers moi, mais peut-être aurais-je du, moi, aller à elle pour vérifier qu'elle allait bien. 

Bon sang, il y avait trop de choses à penser ! 

- Tu penses trop aux autres et pas assez à toi, m'a répondu Ian. « Tu aimerais pouvoir rendre tout le monde heureux, mais tout n'est pas de ton ressort, Gaby. Tu en as fait, tu en fais, déjà énormément ».

J'ai levé les yeux vers Ian. Les siens débordaient de tendresse, ce qui me fit rougir. Ce n'était pas la première fois que nous avions cette discussion, mais cela me rassurait toujours un peu de l'entendre ré-affirmer que je ne pouvais pas faire plus, que ce n'était pas à ma portée et que, par conséquent, je n'avais pas (trop) à m'en blâmer. 

- Si Mel était encore dans ma tête, elle me houspillerait, et me dirait d'arrêter de ressasser, ai-je fait remarquer d'une petite voix.

Ian a rit.

- Sûrement, a-t-il admit. Passons à autre chose, alors. Je n'avais pas encore trouvé le moment pour te le dire, mais une petite sortie va être organisée. Jeb a donné son accord pour envoyer un groupe prendre contact avec Nate.

- Quoi ?!

Je m'en suis presque étouffée. Quelques quintes de toux ont empêché le drame (quelles merveilles que ces corps humains!)

- Grâce et Madison sont inquiètes pour les leurs comme nous le sommes pour les notre. D'après elles, le canyon est solide et les gens ne vivent que dans les zones qui présentent le moins de risque d'éboulement, mais elles seraient rassurées de savoir que tout va bien. Il faudra encore désigner qui partira, mais on emportera quelques vivres, des médicaments au besoin, et le groupe passera dans quelques épiceries sur le chemin du retour.

Mes mains se sont mises à trembler. Une expédition n'était jamais sans risque, et ne devait jamais être menée sans bonne raison. M'avait-on caché quelque chose ? Les risques dans le canyon étaient-ils bien supérieurs à ce qu'on m'avait laissé entendre ? Était-ce une mission sauvetage ?
Ian a du remarquer le choc que la nouvelle me faisait, parce qu'il a saisit mes mains pour les enserrer dans les siennes.

- Gaby ! S'est-il écrié. «Cesse de t'en faire. Je te promet que nous n'avons aucune raison de penser que leur situation est pire que la notre. Tout le monde est juste à peu à cran et s'inquiète pour ses proches. En fait, c'est l'aspect psychologique qui nous inquiète le plus. Peut-être Lily et Jamie voudront rentrer plus tôt que prévu, tu comprends ? »

Je me suis mordue la joue et j'ai acquiescé. Je me sentais idiote, comme trop souvent ces temps-ci. J'ai tenté d'imaginer la voix de Mel dans ma tête : Allons, ressaisis-toi, Vagabonde ! Te mettre dans tous tes états n'aidera personne !

Malgré moi, je me suis mise à sourire, et Ian a parut soulagé. J'ai recommencé à manger, plus lentement cette fois.

- Je veux aider aux préparations, si vous partez, ai-je déclaré ensuite.

- Tu devrais te reposer, c'est ce que Doc t'as conseillé. Et je ne pars nul part sans toi, ce vous ne me concerne pas.

- Je me suis assez reposée, je veux être utile, ai-je continué. «Je peux aider à faire des inventaires ».

- Entêtée que tu es, a répondu Ian, mais il souriait. Il savait que je n'en démordrais pas.

Nous avons continué notre repas dans le silence. La nourriture me faisait du bien, si mes pensées continuaient de tourner dans ma tête, au moins mon corps se sentait vraiment mieux. L'idée de l'inventaire était bonne, elle m'aiderait à m'occuper l'esprit, à me concentrer sur une tâche, sans m'en demander trop d'un coup physiquement. J'avais besoin de me rendre utile autant que possible, comme je l'avais dit à Ian, j'avais besoin de contrer l'impuissance que je ressentais face aux caprices de cette étrange planète. 

Globalement, les autres planètes que j'avais visitées étaient plus calmes. Lorsque j'étais une Herbe-Qui-voit, enracinée profondément dans le sol d'un océan, rien ne venait nous perturber, hormis quelques courants paresseux, parfois plus chauds, parfois plus froids. Chez les Ours, le péril venait des Monstres, pas de la planète en elle-même, gelée et recouverte de glace, elle paraissait figée dans le temps. Avec une pointe de nostalgie, je me suis rappelé les merveilleuses cités de glace que nous sculptions amoureusement, la façon dont nous tailladions les cristaux pour qu'en les traversant, la lumière explose de mille couleurs chatoyantes et uniques. Je voyais davantage de couleurs, chez les Ours, et mon cerveau humain peinait à se représenter ces teintes qui lui étaient inconnues. C'était dommage d'avoir perdu ce savoir, mais je l'avais échangé contre bien d'autres. Là-bas, la palette de couleurs était plus variée, mais elle ne pouvait rivaliser avec la palette d'émotions et de sentiments qui pouvaient être ressentis par mon corps humain. 

- A quoi tu penses ? M'a demandé Ian avec douceur.

- A des couleurs qui n'existent pas ici, et à la chance que j'ai d'être ici, avec vous tous, et surtout avec toi.

Je me suis penchée pour l'embrasser, et j'ai senti ses lèvres s'étirer pour sourire.

***

Hello! Ce chapitre est un peu court et calme, mais comme le suivant est plus long... Je préfère garder ce découpage, c'est plus logique, ça a été pensé comme ça quand j'écrivais, alors j'espère que ça ne vous dérange pas trop d'avoir des chapitres dont la longueur varie!
Voilà, et je souhaite une bonne rentrée à tous ceux qui sont concernés :D

Les âmes indigènes [Les âmes vagabondes Fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant